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Conseil d’État, 22 décembre 2017, Associations SOS Éducation, Promotion et défense des étudiants et Droits des Lycéens
dimanche 21 janvier 2018, par
La décision du conseil d’Etat confirme l’illégalité d’une circulaire ajoutant un critère (celui du tirage au sort, en médecine, sur les filières dites "en tension"), après applications des critères légaux, au motif de l’insuffisante capacité d’accueil.
Le Conseil d’État statuant au contentieux (Section du contentieux, 4ème et 5ème chambres réunies), sur le rapport de la 4ème chambre de la Section du contentieux
Séance du 13 décembre 2017 - Lecture du 22 décembre 2017
Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 410561, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 mai et 24 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association SOS Education demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la circulaire n° 2017-077 du 24 avril 2017 de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
L’association SOS Education soutient que la circulaire attaquée :
est entachée d’incompétence en ce que, d’une part, elle a été signée par le chargé des fonctions de directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle par intérim et, d’autre part, en ce qu’elle excède la compétence donnée au ministre chargé de l’éducation par l’article L. 612-3 du code de l’éducation ;
est entachée d’un vice de procédure dès lors que ni le Conseil supérieur de l’éducation ni le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche n’ont été consultés, en méconnaissance des dispositions L. 231-1 et L. 232-1 du code de l’éducation ;
est entachée d’erreurs de droit en ce que, d’une part, l’article L. 612-3 du code de l’éducation dispose que les conditions par lesquelles le recteur chancelier décide des inscriptions, lorsque l’effectif des candidatures excède les capacités d’accueil d’un établissement, ne peuvent être prévues que par voie réglementaire et non par le biais d’une circulaire, en ce que, d’autre part, elle ne prévoit pas l’intervention du recteur chancelier et, enfin, en ce qu’elle modifie un des trois critères prévus par l’article L. 612-3 du code de l’éducation, en fixe un quatrième et les hiérarchise entre eux ;
méconnaît les dispositions de l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et est entachée d’erreur manifeste d’appréciation en ce que la procédure de tirage au sort ne permet pas de garantir l’égal accès de tous aux études supérieures, en fonction du mérite.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2017, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation conclut au rejet de la requête. Elle soutient que ses moyens ne sont pas fondés.
Les parties ont été invitées à indiquer au Conseil d’Etat quelles seraient les conséquences d’une annulation rétroactive de la circulaire attaquée.
Par un mémoire, enregistré le 16 novembre 2017, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation expose qu’une annulation rétroactive emporterait, au regard de l’intérêt qui s’attache au bon fonctionnement du service public de l’enseignement supérieur des conséquences manifestement excessives.
2° Sous le n° 410641, par une requête, enregistrée le 17 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Promotion et défense des étudiants demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la même circulaire ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
L’association Promotion et défense des étudiants soutient que cette circulaire, en mentionnant qu’un tirage au sort pourra être effectué entre les candidats qui n’ont pu être classés par les critères de sélection qu’elle définit, méconnaît les dispositions de l’article L. 612 3 du code de l’éducation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2017, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation conclut au rejet de la requête. Elle soutient que le moyen soulevé n’est pas fondé.
Les parties ont été invitées à indiquer au Conseil d’Etat quelles seraient les conséquences d’une annulation rétroactive de la circulaire attaquée.
Par un mémoire, enregistré le 16 novembre 2017, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation expose qu’une annulation rétroactive emporterait, au regard de l’intérêt qui s’attache au bon fonctionnement du service public de l’enseignement supérieur des conséquences manifestement excessives.
3° Sous le n° 411913, par une requête, enregistrée le 27 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Droit des lycéens demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la même circulaire ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
L’association Droits des lycéens soutient que la circulaire attaquée :
est entachée d’incompétence en ce que, d’une part, elle a été signée par le chargé des fonctions de directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle par intérim et, d’autre part, en ce qu’elle excède la compétence donnée au ministre chargé de l’éducation par l’article L. 612-3 du code de l’éducation ;
est entachée d’un vice de procédure dès lors que ni le Conseil supérieur de l’éducation ni le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche n’ont été consultés, en méconnaissance des dispositions L. 231-1 et L. 232-1 du code de l’éducation ;
est entachée d’erreurs de droit en ce que, d’une part, l’article L. 612-3 du code de l’éducation dispose que les conditions par lesquelles le recteur chancelier décide des inscriptions, lorsque l’effectif des candidatures excède les capacités d’accueil d’un établissement, ne peuvent être prévues que par voie réglementaire et non par le biais d’une circulaire, en ce que, d’autre part, elle ne prévoit pas l’intervention du recteur chancelier et, enfin, en ce qu’elle modifie un des trois critères prévus par l’article L. 612-3 du code de l’éducation, en fixe un quatrième et les hiérarchise entre eux ;
méconnaît le principe d’égalité en ce qu’elle n’offre pas suffisamment de garanties sur la régularité de la mise en œuvre de la procédure qu’elle instaure ;
est entachée de détournement de procédure en ce que l’administration a procédé par circulaire en vue de se soustraire à des consultations obligatoires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2017, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Les parties ont été invitées à indiquer au Conseil d’Etat quelles seraient les conséquences d’une annulation rétroactive de la circulaire attaquée.
Par un mémoire, enregistré le 16 novembre 2017, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation expose qu’une annulation rétroactive emporterait, au regard de l’intérêt qui s’attache au bon fonctionnement du service public de l’enseignement supérieur des conséquences manifestement excessives.
Par un mémoire, enregistré le 9 décembre 2017, l’association Droits des lycéens soutient qu’une annulation rétroactive de la circulaire attaquée n’emporterait aucune conséquence manifestement excessive.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
le code de l’éducation ;
le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
le décret du 13 avril 2017 portant cessation de fonctions de la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle et chargeant de ces fonctions par intérim ;
l’arrêté du 8 avril 2011 relatif à la procédure de préinscription en première année d’une formation post-baccalauréat ;
le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, auditeur,
les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
1. Considérant que l’association SOS Education, l’association Promotion et défense des étudiants et l’association Droits des lycéens demandent l’annulation pour excès de pouvoir de la même circulaire du 24 avril 2017 de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ; que, ces requêtes ayant le même objet, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la légalité de la circulaire attaquée :
2. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 612-3 du code de l’éducation, tout candidat, titulaire d’un baccalauréat ou équivalent « est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix, sous réserve d’avoir, au préalable, sollicité une préinscription (…). Il doit pouvoir, s’il le désire, être inscrit en fonction des formations existantes lors de cette inscription dans un établissement ayant son siège dans le ressort de l’académie où il a obtenu le baccalauréat ou son équivalent ou dans l’académie où est située sa résidence. Lorsque l’effectif des candidatures excède les capacités d’accueil d’un établissement, constatées par l’autorité administrative, les inscriptions sont prononcées, après avis du président de cet établissement, par le recteur chancelier, selon la réglementation établie par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, en fonction du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimées par celui-ci » ; que, pour l’application de ces dispositions, le ministre chargé de l’enseignement supérieur a, par la circulaire attaquée du 27 avril 2017, défini les règles suivant lesquelles sont prononcées les inscriptions à une première année de licence, ou à une première année commune aux études de santé (PACES), dite « en tension », c’est-à-dire pour laquelle le nombre de candidats excède les capacités d’accueil de la formation ; qu’à cet effet la circulaire dispose que les candidats à cette formation, qui ont dû inscrire leurs différents vœux de formation sur le portail « admission post-bac » (APB), sont admis à s’inscrire dans l’ordre d’un classement réalisé de la façon suivante : les candidats sont, en premier lieu, classés en deux catégories, en plaçant dans la catégorie prioritaire ceux qui résident ou ont obtenu leur baccalauréat dans l’académie du siège ou du site de l’établissement proposant la formation demandée ; au sein de chacune de ces deux catégories, les candidats sont, en deuxième lieu et le cas échéant, classés selon le rang de priorité qu’ils ont accordé à cette formation, parmi ceux de leurs vœux inscrits sur APB qui correspondent à des formations de première année de licence ou de PACES ; au sein des catégories issues de ces deux classements successifs, les candidats sont, en troisième lieu et le cas échéant, classés selon le rang de priorité qu’ils ont accordé à cette formation, parmi l’ensemble de leurs vœux inscrits sur le portail APB ; enfin, au sein de chacune des catégories issues de ces trois classements successifs, les candidats sont, en quatrième lieu et le cas échéant, classés en deux catégories, en plaçant dans la catégorie prioritaire les candidats qui sont mariés, ou qui ont conclu un pacte civil de solidarité, ou qui vivent en concubinage, ou qui ont une ou plusieurs personnes à charge ; que la circulaire attaquée ajoute que, si, compte tenu de la capacité d’accueil dans la formation demandée, l’application de ces classements successifs laisse subsister des ex-æquo parmi les derniers candidats susceptibles d’y accéder, il est recouru à un tirage au sort pour les départager ;
3. Considérant qu’il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 612-3 du code de l’éducation citées au point précédent, ainsi que des dispositions du troisième alinéa du même article aux termes desquelles « les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection », que le législateur a entendu établir un droit pour les candidats à une première année de licence ou de PACES à être inscrits dans l’établissement d’enseignement supérieur de leur choix situé dans le ressort de l’académie dans laquelle ils ont obtenu leur baccalauréat ou dans laquelle ils résident ; qu’il a toutefois admis qu’une restriction soit apportée à ce droit lorsque, dans les formations qui sont alors dites « en tension », les candidatures excèdent les capacités d’accueil d’un établissement ;
4. Considérant que, pour répondre à cette dernière hypothèse, il appartient au ministre chargé de l’enseignement supérieur de prendre les dispositions réglementaires qui précisent les modalités selon lesquelles doivent être mis en œuvre les trois critères de classement des candidatures limitativement prévus par les dispositions citées ci-dessus de l’article L. 612-3 du code de l’éducation, à savoir le domicile du candidat - lequel, éclairé par les travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de ces dispositions, doit être entendu comme étant l’académie dans laquelle celui-ci réside ou dans laquelle il a obtenu son baccalauréat – les préférences exprimées par lui et sa situation de famille ; qu’en outre, en vue de répondre à l’objectif d’intérêt général d’assurer l’accès à ces formations « en tension » du plus grand nombre de candidats les ayant demandées, ces dispositions doivent être regardées comme ayant également donné compétence au ministre pour fixer les règles selon lesquelles il est, le cas échéant, procédé au départage des candidats ayant obtenu le même classement ; qu’un tel départage, dont aucun texte ni aucun principe ne fait obstacle à ce qu’il repose sur le tirage au sort, ne peut toutefois, sauf à méconnaître le caractère limitatif des critères fixés par les dispositions de l’article L. 612-3, intervenir qu’à titre exceptionnel pour départager un nombre limité de candidats ; qu’à cette fin, il appartient au ministre de fixer des modalités de mise en œuvre des trois critères prévus par cet article qui soient de nature à garantir qu’un éventuel départage n’interviendra effectivement qu’à titre exceptionnel, entre un nombre limité de candidats ;
5. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’application des règles mentionnées au point 2 a conduit, pour les inscriptions de l’année universitaire 2017-2018, à départager par tirage au sort, dans un nombre important de formations « en tension », les dernières places disponibles entre, chaque fois, plusieurs centaines de candidats classés ex aequo sur la base des trois critères prévus par l’article L. 612-3 du code de l’éducation ; que, dès lors, les modalités selon lesquelles la circulaire attaquée prévoit la mise en œuvre successive des trois critères du domicile, des préférences exprimées par les candidats et de leur situation de famille, ne permettent pas de garantir que l’éventuel départage, par tirage au sort entre les candidats ayant obtenu le même classement, n’interviendra qu’à titre exceptionnel et entre un nombre limité de candidats ; que, par suite, les associations requérantes sont fondées à soutenir que les modalités de classement retenues par la circulaire litigieuse ne permettaient pas, sans méconnaître les dispositions de cet article, d’introduire une règle de départage ; que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de leurs requêtes, ils sont fondés à demander l’annulation de la circulaire qu’ils attaquent ;
Sur les conséquences de l’illégalité de la circulaire attaquée :
6. Considérant que l’annulation rétroactive de la circulaire attaquée serait susceptible de remettre en cause, pour l’année universitaire 2017-2018, toutes les décisions d’inscription dans les formations « en tension » de première année de licence ou de PACES qui ne sont pas devenues définitives ; qu’au regard du nombre de ces décisions et, par suite, des effets manifestement excessifs qu’emporterait, pour le bon fonctionnement du service public de l’enseignement, une telle annulation rétroactive, il y a lieu de prévoir que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets de la circulaire attaquée doivent être réputés définitifs pour les étudiants inscrits en première année de licence ou de PACES pour l’année universitaire 2017-2018 ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacune des associations requérantes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : La circulaire n° 2017-077 du 24 avril 2017 de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche prise en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 612-3 du code de l’éducation est annulée. Toutefois, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets de cette circulaire doivent être réputés définitifs pour les étudiants inscrits en première année de licence ou de PACES pour l’année universitaire 2017-2018.
Article 2 : L’Etat versera à l’association SOS Education, à l’association Promotion et défense des étudiants et à l’association Droits des lycéens une somme de 1 000 euros chacune, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association SOS Education, à l’association Promotion et défense des étudiants, à l’association Droits des lycéens et à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.