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Économie de la connaissance : quelles alternatives à partir des SHS et humanités ?
par Martine Boudet, (Professeure agrégée de Lettres Modernes, Docteure en littérature française, Toulouse)- membre de SLU
lundi 13 octobre 2008, par
La politique de réforme de la recherche et de l’enseignement menée en France depuis 2007 s’inscrit dans un contexte universitaire, national et géo-politique chargé. A l’heure où la spéculation boursière est à l’origine de la plus grave crise socio-économique internationale connue depuis un demi-siècle, il est nécessaire de débattre du mode de développement qui favorisa cette dérive. En effet, même l’économie réelle, dopée par les dispositifs récemment créés en matière d’économie de la connaissance -pôles de compétitivité, plan campus et pôles d’excellence…- peut engendrer une autre bombe à retardement, celle qui concerne la régression démocratique, socio-culturelle, psycho-socio-éthique…dont nous voyons les prémisses dans l’arène politique, dans les médias, à l’école en France. Remédier à cette deuxième crise de société, tout aussi grave que la première quoiqu’immatérielle, nécessite de valoriser l’interdisciplinarité et de rééquilibrer, en matière de recherche, d’enseignement et de politique éducative, les termes de l’échange entre champs disciplinaires. Cela de manière à enrayer tant l’instrumentalisation à des fins mercantiles des sciences et techniques que la marginalisation proportionnelle des sciences humaines et sociales, arts et humanités comme acteurs du service public d’éducation à la démocratie, à la diversité culturelle et à la conservation patrimoniale, à la créativité...
En effet, s’inscrivant dans le processus de Bologne et appliquant la stratégie de Lisbonne (2000), le dispositif français des réformes de la recherche et de l’enseignement renforce dangereusement cette tendance. La mise en jeu de l’intérêt général s’assortit à chaque fois d’une minorisation du statut des SHS, arts et humanités .
Concernant la recherche :
création des pôles de compétitivité qui intègrent les seuls laboratoires des sciences de la nature et de l’information et marginalisent
l’industrialisation de type culturel/patrimonial et artistique/artisanal.
Création de l’ANR (Agence nationale de Recherche) et de l’AERES qui, depuis ce « ballon d’essai » consensuel qu’ont été les pôles régionaux de compétitivité, gèrent, contrôlent et évaluent la recherche au nom du gouvernement et en l’absence d’un conseil scientifique démocratique et pluridisciplinaire.
Projet de « décentralisation » du CNRS qui mettrait fin à son rôle de pilotage national ainsi qu’à tout objectif d’envergure en matière de coopération interdisciplinaire et qui démantèlerait les sciences humaines et sociales : refus du projet d’un institut pluridisciplinaire porté par Marie France Courel directrice des SHS, limogée depuis lors. Tentative de séparer les SHS de l’économie.
Obligation faite par l’AERES de publication en anglais, pour l’évaluation des travaux de recherche, spécialement dans les sciences de la nature et de l’information. Risque pour le français, de perte de son statut de langue scientifique internationale .
Concernant l’enseignement supérieur et secondaire :
- la loi LRU, votée en 2007 sur le renforcement du rôle des entreprises privées dans les universités et de Présidents managers omnipotents sur cette base, défavorise les départements des Lettres, arts et SHS, peu concernés par ce dispositif
-sur la base des directives du rapport Attali reprenant les critères faussés du classement de Shangaï, officialisation d’un plan campus qui sélectionne dix pôles de recherche-enseignement, au détriment des universités « moyennes », de certains territoires et du droit de tous les étudiants à bénéficier d’une formation reconnue de qualité. Mais aussi des départements en Lettres, arts et sciences humaines : un seul pôle autonome en SHS est créé (celui d’Aubervilliers) et il ne sera opérationnel qu’en 2012.
-remise en cause de l’existence des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres), des sciences de l’éducation (psycho-pédagogie et didactique) et de la formation professionnelle des maîtres comme cadres de la nation : celle-ci doit au contraire être améliorée, les conditions d’enseignement s’avérant de plus en plus difficiles.
- Abandon du système des filières en lycée, sous prétexte de l’inégalité, bien réelle au demeurant, entre celles-ci. Dans les faits, c’est la filière littéraire, pour laquelle l’Inspection Générale de l’Education Nationale (IGEN) avait proposé une réhabilitation intégrant les SHS, sciences du langage et arts…qui en pâtira le plus .
-Abandon des options dites facultatives dans le secondaire, certaines disciplines, linguistiques ou artistiques, étant sacrifiées.
-remise en cause de l’enseignement de l’histoire-géographie en lycée, cette mesure handicapant gravement la transmission aux nouvelles générations de la mémoire historique, des repères géo-historiques de manière générale…
Abandon d’épreuves écrites de culture générale (français) pour certains BTS.
L’ensemble des syndicats et associations dénonce ce diktat et préconise de manière parfois unitaire des remédiations à caractère généraliste, ne faisant pas intervenir les questions programmatiques. Dans les faits, certains ont une identité disciplinaire marquée : SLR (celle des sciences de la nature à qui fut accordée, suite à la tenue des Etats généraux de la recherche, la création des pôles de compétitivité), ATTAC (dont l’altermondialisme est alimenté surtout par des économistes). Ne resterait-t-il pas à SLU, dernière née, à renforcer une stratégie interdisciplinaire bien comprise, sur la base de la solidarité à l’égard des champs discriminés ? A l’opposé de l’unilatéralisme de l’ « économie de la connaissance », se construirait une démarche de « démocratie cognitive et culturelle ».
Concernant le champ SHS-arts-humanités, pourrait être impulsée une stratégie fondée entre autres sur les principes suivants :
1- reprendre à notre compte la stratégie impulsée par les décideurs en fonction de la trilogie suivante : recherche-formation-innovation et concernant l’ensemble du dispositif de réformes :
-Au plan citoyen, pourraient être renforcés le lobbying à l’égard des décideurs (élus, acteurs économiques, médias…) , les convergences entre mouvements associatifs de défense des savoirs disciplinaires : SLU, SLR, groupe inter-IUFM, ATTAC, associations de disciplines…Pour exemple, l’université d’automne de SLR (Toulouse, octobre 2008) a conclu sur la nécessité d’Etats généraux des SHS.
-Au plan idéologique et académique, il serait pertinent d’accompagner et de théoriser les expériences sociétales, médiatiques et institutionnelles en matière de démocratie culturelle : parité homme-femme, diversité culturelle, construction européenne et francophonie, alternatives altermondialistes dans le domaine des relations Nord-Sud…comme autant d’alternatives au néo-libéralisme comme pensée unique ou dominante.
-Au plan de la formation des maîtres et de l’enseignement, la promotion d’une recherche-formation, qui didactise les fondamentaux des SHS dans le cadre d’IUFM rénovés à destination de l’enseignement secondaire, participe d’une même perspective fédératrice .
2- investir les institutions sur la base d’une meilleure répartition des champs disciplinaires dans ce cadre.
-au CNRS, la défense du projet d’institut interdisciplinaire en SHS, préconisé par l’équipe sortante des SHS et la demande de sa réintégration, s’inscrirait dans un débat sur le refus des discriminations disciplinaires et l’autonomie de chacune au sein de l’institution
-dans le cadre des pôles de compétitivité, la programmation des nouvelles labellisations de pôles porte, semble-t-il, sur les éco-technologies. Il serait pertinent de faire un lobbying auprès de l’ANR et des régions pour demander l’élargissement des critères aux industries culturelles, artisanales/artistiques patrimoniales ou innovantes, du tourisme et de la coopération en matière de recherche-développement dans le cadre non seulement européen ou occidental mais aussi francophone, des relations Nord-Sud…
-dans le cadre de la recherche et de l’université, campagne pour une péréquation des bénéfices, dans le cadre de la collaboration entre les établissements publics et les entreprises privées, en faveur des universités ou départements moins bien lotis (plan campus, LRU…)
-dans le cadre de l’enseignement secondaire, défense de toutes les disciplines minorées par les projets de réformes en cours et du français comme discipline fondamentale. Défense du projet de l’IGEN de réhabilitation d’un pôle littéraire de qualité.
3- renforcer notre force de propositions alternative en matière d’innovation institutionnelle, pour prendre à contrepied les décideurs et ne pas leur laisser le monopole de l’inventivité : demande de création d’institutions autonomes et valorisant notre champ disciplinaire, institut franco-européen des SHS (idée de Marie France Courel, retenue par l’université d’automne de SLR), institut pluridisciplinaire et pluriculturel de la francophonie, IREF (instituts de recherche et de formation en français et dans le champ disciplinaire correspondant), en complément des IREM créés en 1969 …