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Les mathématiciens français au pinacle - Le Monde, 19 août 2010

vendredi 20 août 2010

Paradoxe des palmarès. Aux Olympiades internationales de mathématiques 2010, la France s’est classée au 31e rang mondial. Mais à Hyderabad, en Inde, où ont été décernées, jeudi 19 août, les médailles Fields - l’équivalent du Nobel en mathématiques -, les scientifiques français ont obtenu une reconnaissance exceptionnelle : sur les quatre distinctions décernées, deux reviennent à des Français.

Ngo Bau Chau, professeur à l’université de Chicago, et Cédric Villani, directeur de l’Institut Poincaré à Paris, représentent deux facettes de l’"école mathématique française" : le premier, d’origine vietnamienne, évolue dans les cercles abstraits de la théorie des nombres, dont il a forcé une porte que beaucoup croyaient inviolable. Le second met en équations des phénomènes physiques plus concrets. Ces médailles Fields, octroyées tous les quatre ans à des chercheurs de moins de 40 ans, sont accompagnées d’un prix Gauss, attribué à un autre Français, Yves Meyer. Ses travaux sur la théorie des ondelettes ont permis le développement de systèmes de compression des images, comme le fameux JPEG.

C’est donc toute la palette des mathématiques françaises qui est mise à l’honneur. Et une longue tradition d’excellence nationale dans ce domaine qui est confirmée : depuis la création de ce prix en 1936, près du quart des médailles Fields ont été décernées à des mathématiciens français ou ayant fait leurs études en France, le plus souvent à l’École normale supérieure. Il faut se réjouir de ce nouveau succès, sans pour autant se laisser aller à d’excessifs "cocoricos".

Si les mathématiques constituent le socle ou la boîte à outils de bien d’autres disciplines scientifiques, elles ne sont pas toute la science française. Portée au pinacle à Hyderabad, la France était, il y a quelques jours encore, humiliée par le classement de Shanghaï, où sa première université, Paris-VI, n’apparaît qu’en 39e position. Cette évaluation des meilleures universités de recherche dans le monde est certes sujette à caution ; elle n’en pointe pas moins un problème de visibilité que le système de recherche français n’a pas encore résolu.

Les mathématiques restent donc une exception glorieuse. Elles ont jusqu’ici bénéficié du système des grandes écoles, les classes préparatoires drainant vers les Ecoles normales supérieures et Polytechnique les meilleurs cerveaux. En outre, il s’agit d’une discipline peu coûteuse, contrairement à la physique ou à la biologie, où une masse critique - financière, technique, voire industrielle - est indispensable pour bien figurer dans la compétition mondiale. La concurrence internationale, notamment salariale, est âpre. Elle conduit souvent les mathématiciens français à aller exercer leurs talents à l’étranger. Il faut y prendre garde.

Cette reconnaissance, enfin, est une réponse cinglante aux doutes fréquemment exprimés, jusqu’au sommet de l’Etat, sur l’utilité de la recherche fondamentale, dont les prolongements et les applications ne sont ni immédiats ni même automatiques. Il est à souhaiter que cette leçon soit retenue.


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/idees/article...