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A l’université du Mirail à Toulouse : « Mai 68, ils commémorent, on recommence » - Sarah Finger, Libération, 21 mars 2018

mercredi 21 mars 2018

Au lendemain de son placement sous tutelle, l’université Jean-Jaurès, bloquée depuis deux semaines, vit toujours au rythme des AG, avec la crainte d’une évacuation policière.

Aux abords du grand amphi, murs et mobilier sont recouverts de tags multicolores. Rien n’a échappé aux pulsions créatrices des étudiants : ni les tables, ni les canapés, ni les ascenseurs, ni même les plafonds. Et parmi les graffitis, celui-ci : « Mai 68. Ils commémorent. On recommence. » A la fac du Mirail, certains se verraient bien déclencher, un demi-siècle plus tard, un nouveau mai. Des tracts posés en vrac devant le bâtiment principal appellent d’ailleurs à la « coordination nationale des luttes ». Les étudiants sont déjà maîtres des lieux depuis trois mois et ça se voit dès l’entrée : un buffet propose du café chaud et des patates froides, des sardines, des chips et des spaghettis. Des bols et des saladiers vides s’entassent sur une table, des matelas encore tièdes reposent dans un coin.

Tout près de là, dans l’enceinte du grand amphi, d’AG en AG, la lutte s’organise. Ce mercredi matin, les débats se tiennent devant une assemblée dense. Ici aussi, l’occupation a laissé des traces, comme ce tas de sacs de couchage et de couvertures abandonné sur l’estrade. Près de là, un corps enfoui sous un plaid semble chercher le sommeil. « Ça fait trois mois qu’on est en grève. Ça a commencé avec le projet de fusion des universités, auquel on est opposés, explique Marina, 23 ans, militante au NPA Jeunes et à Solidaires étudiants. Cette fusion nous ferait perdre notre personnalité morale et juridique, des postes seraient supprimés, les frais d’inscription augmenteraient, les différentes filières seraient mises en concurrence… »

« Le président a trahi ses engagements »

Ce matin, l’AG réunit les personnels administratifs, eux aussi très mobilisés. « Une grande partie d’entre nous est en grève depuis le début du mouvement, mi-décembre », détaille Maxime, 25 ans, personnel de bibliothèque et membre de SUD Education. « Dans le projet de fusion des universités toulousaines, le personnel administratif n’est pas pris en compte, affirme-t-il. C’est un manque de considération absolu, d’autant qu’on veut nous imposer des contraintes de mobilité. »

C’est une décision du président, Daniel Lacroix, qui a fini de mettre le feu aux poudres, explique le gréviste : « Il s’était engagé à consulter la communauté universitaire sur ce projet de fusion, et à respecter le résultat de cette consultation. Environ 95% des étudiants et 60% des personnels se sont prononcés contre ce projet en décembre. » Mais finalement, le président a utilisé sa voix, prépondérante, pour se prononcer en faveur de la fusion. « Ce jour-là, le président a trahi ses engagements », dénonce Margot, une étudiante de 21 ans. « Et la grève a été votée », poursuit Maxime.

Depuis, la situation s’est peu à peu crispée. « On occupe l’Arche depuis un mois et demi, on s’est complètement approprié ce bâtiment, claironne celui qui se fait appeler Loupi, 21 ans. La nuit dernière, on était 45 à dormir là-bas. » Tables, chaises, matelas et branches d’arbre bloquent les accès à ce vaste bâtiment campé à l’entrée du site. Seuls les initiés savent comment pénétrer dans cette Arche devenue l’emblème du mouvement.

« La carotte qui menait à la fusion »

L’université est totalement bloquée depuis le 6 mars. Et en début de semaine, une nouvelle a redonné des forces aux contestataires : la candidature de la communauté universitaire toulousaine pour décrocher le label Idex (Initiative d’excellence) n’a pas été retenue. « Avec la fusion, notre université perdrait sa personnalité morale et juridique, et pâtirait d’une gouvernance concentrée. Mais on refuse aussi la logique de l’excellence qui instaure une université à deux vitesses », explique Brigitte, professeure de psychologie sociale et du travail, en grève depuis la mi-décembre. « Pour nous, renchérit Marina, cet échec de labellisation constitue une première victoire, car l’Idex, c’était la carotte qui menait à la fusion. »

Mais cette semaine, tout s’est brusquement accéléré. « Mardi, un membre de la sécurité de la fac m’a dit que les keufs allaient intervenir pour nous évacuer. Ça a été le branle-bas de combat, raconte Loupi. J’ai dit ça en AG, on a tous couru mettre à l’abri nos affaires et nos papiers. » La rumeur a enflé, et s’est répandue parmi les troupes. « En l’espace d’une heure, on était environ 800 dans l’amphi alors qu’on était à peine 250 juste avant. Tout le monde est venu pour défendre les lieux, affirme Margot. Si on a réagi aussi vite, c’est qu’on croit à la menace d’une répression policière depuis que l’Etat a mis la fac sous tutelle et que l’ancien président est parti. » Quelques heures plus tôt, en effet, le ministère de l’Enseignement supérieur avait décidé de dissoudre les conseils centraux de l’université(et, par ricochet, sa présidence) et de placer l’établissement sous tutelle. « La nouvelle a fait l’effet d’un coup de massue. Personne ne s’y attendait », résume Brigitte, enseignante à la faculté qui « ne comprend pas ce qui a pu justifier une telle mesure ».

Richard Laganier, chercheur au CNRS à Paris-VII, est arrivé mercredi à l’université toulousaine pour prendre en charge, provisoirement, son administration. Il doit organiser d’ici trois mois de nouvelles élections générales. Personne ne l’a encore rencontré, mais tout le monde reste mobilisé. « L’Etat veut casser le mouvement au Mirail, mais on a des soutiens de toute la France, assure Margot. Des grévistes du CHU de Toulouse sont venus nous soutenir, on a été invités sur leurs piquets de grève, des cheminots se sont exprimés chez nous… » Jeudi, jour de mobilisation nationale, tous vont défiler ensemble. « Ensuite, dit Marina, on discutera en AG de notre plan de bataille. » Le grand amphi n’est pas près de désemplir.


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