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Le passé colonial français à l’heure du révisionnisme et de l’histoire officielle - Olivier Le Cour Grandmaison, blog sur Mediapart, 19 février 2011

samedi 19 février 2011

Loin d’avoir été mis aux oubliettes, « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » est plus que jamais défendu par Nicolas Sarkozy. Par Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire.

« Nous tenons d’abord à affirmer que ce qui a caractérisé l’action de l’armée française en Algérie, ce fut d’abord sa lutte contre toutes les formes de torture, d’assassinat, de crimes idéologiquement voulus et méthodiquement organisés. C’est cela vérité et non le contraire. » Manifeste des 521 officiers généraux ayant servi en Algérie. 18 mars 2002.

« La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine. » Article 1er de la loi du 23 février 2005.

« Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient,(...), le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. » Nicolas Sarkozy. Toulon, 7 février 2007.

23 février 2005. 23 février 2011. Sixième et triste « anniversaire » d’une loi scélérate qui, contrairement à ce que beaucoup pensent, n’a pas été abrogée en dépit du retrait de l’article 4, l’un des plus controversés, qui avait pour fonction de réviser le contenu des « programmes scolaires » afin d’y inclure « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Demeure donc un texte qui sanctionne, l’article premier le prouve, une interprétation officielle, mensongère et apologétique du passé colonial. Pour les amateurs d’exception française, en voilà une remarquable mais sinistre au regard des principes libéraux supposés limiter les pouvoirs de la puissance publique : à ce jour, ce pays est le seul Etat démocratique et la seule ancienne puissance impériale européenne où des dispositions législatives qualifient de façon positive cette période de l’histoire.

Epilogue d’un combat politique désormais dépassé et sans conséquence sur notre présent ? Prologue bien plutôt car le manifeste des officiers supérieurs engagés dans les opérations militaires en Algérie d’abord, le discours précité de Nicolas Sarkozy ensuite, et l’inauguration, le 19 octobre 2010, de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie enfin prouvent que le chef de l’Etat, le gouvernement, la majorité qui les soutient, et de nombreux militaires de haut rang mènent depuis fort longtemps une campagne méthodique et obstinée de réhabilitation de l’histoire coloniale. Pire encore, cette offensive révisionniste, qui prend beaucoup de libertés avec les faits établis par de très nombreux historiens et spécialistes français et étrangers de l’empire français et du conflit algérien, n’est pas seulement assumée par les plus hautes autorités de l’Etat ; elle dispose désormais d’une institution : la Fondation récemment créée par Hubert Falco. Celui qui fut secrétaire d’Etat aux anciens combattants dans le précédent gouvernement, s’était vu confier, par le président de la République et le premier ministre, entre autres missions de travailler à la mise en place, conformément à l’article 3 de la loi du 23 février 2005, de cette Fondation longtemps restée dans les limbes. Ainsi fut fait puisque cette institution, reconnue d’utilité publique par un décret du 3 août 2010, a vu le jour au mois d’octobre de la même année et a été installée par Hubert Falco lui-même dans le site très prestigieux des Invalides.

Présidée jusqu’à présent par l’ancien dirigeant du groupe AXA, Claude Bébéar, qui ne s’est pas fait connaitre par ses ouvrages d’histoire, dotée de fonds publics, à hauteur de trois millions d’euros, et de fonds privés - quatre millions d’euros -, cette Fondation doit être pensée comme la continuation, et l’institutionnalisation, du combat apologétique mené par le chef de l’Etat et l’UMP dans un contexte de concurrence toujours plus vive avec le Front national. A la veille de commémorations majeures : le cinquantième anniversaire des massacres d’octobre 1961 à Paris puis, un an après, le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie qui sera célébré dans un contexte politique très particulier : celui des élections présidentielles, nul doute que cette Fondation sera mobilisée pour faire entendre ce message cher à Nicolas Sarkozy, à son parti et à une fraction de leur électorat, celle-là même qu’ils disputent avec âpreté à l’extrême-droite : « la colonisation française a été une œuvre de civilisation. »

Qui siègent au conseil d’administration de cette Fondation réputée « ni politicienne, ni partisane » comme a tenté de le faire croire le député de l’UMP Elie Aboud à l’Assemblée nationale ? Trois généraux notamment qui ont tous combattu en Algérie : Bernard de La Presle, qui fut aussi commandant de la Forpronu de 1994 à 1995, François Meyer, qui fut membre des cabinets ministériels de Jean-Pierre Chevènement, Pierre Joxe et François Léotard, et enfin Jean Salvan qui s’est récemment illustré en déclarant, à propos de jeunes afghans réfugiés en France, qu’ils devraient être considérés comme des « insoumis » ou des « déserteurs » et, à ce titre, renvoyés dans « des avions » à destination de Kaboul pour être confiés « aux centres de formation des polices et des armées afghanes. » Délicate attention, assurément. Elle devrait être transmise au ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, pour l’aider dans la dure tâche qui est la sienne : expulser le plus grand nombre d’étrangers en situation irrégulière afin d’atteindre les quotas fixés par l’Elysée et Matignon, et satisfaire ainsi à l’abjecte « culture du résultat » tant vantée par le chef de l’Etat.

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