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Vogue la galère du DNB… et coulent les élèves - Véronique Servat, Fanny Layani, Vincent Mespoulet, Hypothèses.org, 30 juin 2013

mercredi 3 juillet 2013

À lire ici.

Le comique de répétition aura donc accompagné les enseignants d’histoire-géographie et leurs élèves jusqu’au bout de l’année scolaire. Comme si, après les indigestes programmes de 1ère S, et les pantagruéliques programmes de Terminales, auxquels s’ajoutent cette année ceux de 3ème, nous n’avions pas assez goûté aux conséquences des running gags qui présidèrent à leur écriture.
Vraisemblablement, il manquait un soupçon tragi-comique à cette fabuleuse mascarade. Ouf ! Le dernier acte s’est joué le 28 juin, apothéose grandiose apportée au grotesque d’un édifice qui ne manquait pourtant pas d’allure.

Ce qu’il y a d’ennuyeux, c’est que nos élèves, composant vendredi matin sur le sujet, après un an de travail et des révisions dans l’ensemble consciencieuses à défaut d’être efficaces, n’ont pas trouvé ça drôle. Tant et si bien que, d’après nos nombreuses remontées de terrain, du collège parisien du VIIe arrondissement, aux ZEP du 93, en passant par les collèges ruraux du Jura, le Nord ou la corniche monégasque, 50 à 75 % des salles étaient vides à partir de 10H soit une heure après le début d’une épreuve qui en compte deux. Il faut se rendre à l’évidence : pour nos élèves, les plaisanteries les plus courtes sont donc bien les moins longues.

Comment expliquer ce désamour chez les élèves et les enseignants vis-à-vis de cette première mouture métropolitaine du DNB [1], alors qu’ils ont travaillé toute l’année à sa préparation ?

Les professeurs avaient alerté, à de multiples reprises, par des courriers à leurs inspecteurs pédagogiques (restés sans réponse) ou par des tribunes, sur ce site même, des dangers qu’ils pressentaient tant concernant la mise en œuvre des programmes que la nouvelle forme de l’examen. Ce fut vain. Ils avaient également demandé au cours de l’année des éclaircissements sur certains points de l’épreuve : ainsi, la connaissance des repères doit elle être développée et expliquée ou faire l’objet d’une simple restitution (date, lieux, personnage) ? Ici, les réponses de l’inspection pédagogique ont varié suivant les académies, ce qui – on en conviendra – n’aide pas vraiment. Puis les réunions de présentation sur les programmes sont arrivées, à l’orée du 3ème trimestre : il était déjà trop tard, même si nous reconnaissons leur utilité relative. Les éléments apportés lors de ces réunions n’ont d’ailleurs pas toujours été cohérents avec l’épreuve telle qu’elle fut finalement soumise aux élèves (ils devaient bénéficier de “conseils” d’aide à la rédaction pour la question longue… pourtant absente du sujet ). Déstabilisés et dans l’incertitude beaucoup d’entre nous avons accéléré le rythme, voyant la fin d’année approcher et à la faveur d’un 3e trimestre croupion (surtout en zone C), au détriment de la compréhension des élèves qui nous signalaient pourtant régulièrement que “ça va trop vite”, se raccrochant aux seules consignes tangibles que nous avions : les programmes, que nous avons enseignés vite mais au plus près du texte.

Le jour J de l’épreuve, les exercices proposés aux élèves de 3ème ont favorisé les questions de fin de programme (le chapitre sur la Vème République sur lequel portait l’étude de documents est le dernier du programme d’histoire, et celui sur l’Union Européenne sur lequel portait une partie de l’épreuve de géographie en est l’avant-dernier), ou ont porté sur des points marginaux (il faut dire qu’au regard de la quantité à travailler, on ne passe plus beaucoup de temps sur grand-chose : le marginal est donc vite atteint). Exemple concret : Nous disposons au maximum de 3 heures (évaluation comprise) pour traiter la Guerre Froide, à partir de l’exemple de l’Allemagne et de Berlin, tout en présentant également la Guerre de Corée ou la crise de Cuba : chanceux est celui qui peut les signaler autrement que sur une carte et en quelques malheureuses phrases en guise d’exemples supplémentaires emblématiques de l’affrontement est-ouest. Pourtant au DNB, on demandait au candidat de produire 20 lignes pour raconter cet exemple, ce qui suppose du bachotage sur un cours consistant qu’il n’était matériellement pas possible de dispenser.

Que dire des épreuves de géographie ? Le support de travail cartographique était totalement inadapté (une carte des régions de France pour situer les Alpes ! On anticipe déjà, à quelques jours de la correction, les formes patatoïdes diverses et variées qu’il nous faudra considérer comme exactes pour respecter les consignes de correction). Par ailleurs, un tableau statistique appelait les élèves à discrétiser des données statistiques relatives au revenu par habitant de 27 pays et à en justifier le découpage ; ne sont-ce plutôt des attendus de lycée ? Il est certain, en tous cas, que bien peu d’élèves de 3ème en sont capables, a fortiori lorsqu’un programme “à marche forcée” nous empêche de travailler réellement la méthodologie de l’étude des divers documents. Que dire du choix des termes de « territoire », « conflit d’usages » ou d’ « espace productif » qu’il fallait « définir » ? Tous ces concepts de la nouvelle géographie sont bien peu accessibles à un public de collégiens, lorsqu’ils ont été traités en une paire d’heures. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l’éducation civique qui s’appuyait sur une capture d’écran du débat présidentiel de 2012, dans lequel l’élève est questionné sur le logo de Facebook, sur l’image du décor (où il est censé identifier l’Elysée, ce qui n’est nulle part demandé dans le programme), ou sur le décompte du temps de parole de façon totalement hétéroclite ? Difficile aussi pour les candidats de rattacher la thématique des réseaux sociaux, abordée en quatrième, à la question de la vie démocratique. « La République française est-elle sociale ? » : les auteurs des sujets auront, par des formulations absconses, vraiment oeuvré à rendre la tâche ardue pour les candidats. Ne parlons même pas du travail proposé aux élèves des séries professionnelles à qui on a demandé d’identifier Hitler sur une photo… à partir de sa nuque puisqu’il y figurait de dos !

Car il faut bien finalement poser la question : qu’évalue ce type d’épreuve ? Des compétences du socle ? Etrange, discrétiser des données statistiques n’y figure pourtant pas (identifier un acteur de l’histoire à partir de sa coupe de cheveux non plus, du reste). Maîtriser la langue ? On en doute quand l’énoncé de la question longue ne permet pas à la majorité des élèves d’écrire plus deux lignes (à titre d’exemple dans la salle que surveillait l’un des auteurs de ce texte, sur 17 candidats, 11 ont rendu cette question vierge, 1 a écrit 3 lignes, les autres une dizaine, et les premiers échos des commissions d’harmonisation montrent que c’est bien une tendance commune à tous les centres d’examen). L’argumentation, peut être ? Si l’on pense à cette question sur le texte de Bérégovoy évoquant la réduction du temps de travail : « L’intervention de Pierre Bérégovoy est-elle objective ? Justifiez votre réponse. », les premiers corrigés diffusés à l’échelle académique nous permettent d’affirmer que non, car l’élève pourra répondre aussi bien par oui que par non pour décrocher des points. Mais surtout quel élève de 3° est capable de déjouer les implicites de cette question sachant qu’en tant que membre du gouvernement la parole d’un de ses représentants n’est pas libre ? Pour ce faire il aurait fallu que nous ayons le temps de travailler méthodologiquement sur les documents d’histoire et la question du point de vue. C’est pourtant pour être mis en conformité avec ce fameux socle de compétences que cette épreuve a été totalement redessinée ; du moins était-ce ainsi qu’elle avait été présentée. Et si ce n’est pour attester de la maîtrise du socle commun, pourrait-on supposer qu’elle vise à préparer au lycée ? Que nenni, bien au contraire : son caractère éclaté en de multiples questions courtes, abordant de nombreux points du programme sans rapport les uns avec les autres est bien éloigné de la composition que doivent encore – jusqu’à quand ? – réaliser les élèves de lycée lorsqu’ils arrivent au baccalauréat. Le paragraphe argumenté de la mouture précédente du DNB avait des défauts. Mais du moins permettait-il d’initier les élèves à la composition d’un texte organisé, au tri et au classement des idées, à l’ébauche d’une problématisation.

Alors tout ça pour quoi ?

Pour confirmer d’abord que le pilotage de l’éducation Nationale est devenu totalement inopérant. Incapable d’accompagner le travail des collègues et des élèves de façon bienveillante, il se réduit au mieux à une cacophonie inaudible au pire à une entreprise de mise au pas (comment interpréter autrement la présence à TOUTES les épreuves de cette fin d’année, DNB comme baccalauréat, centres d’examens de l’étranger comme France métropolitaine, de sujets portant sur les derniers chapitres du programme ?). La tentaculaire DGESCO s’avère impuissante à diffuser ses préconisations, le courant ne semble pas mieux passer entre les Inspections générales et les Inspections pédagogiques régionales. Quant aux transmissions d’informations à l’échelle académique, nous avons prouvé plus haut que les dissonances étaient de règle. Le pilotage se fait au jugé, et surtout aux dépens de la qualité du travail des enseignants et donc de la formation des élèves.

Comment dès lors éviter que ces disciplines scolaires jusque-là appréciées des collégiens (les auteurs de ce texte enseignent tous depuis plus de dix ans et ont donc un recul suffisant pour le mesurer) ne deviennent chaque jour un peu plus, pour eux, une corvée ? Comment dès lors ne pas susciter la colère des professeurs dont le travail est nié, possiblement mis en accusation pour avoir mal préparé leurs classes, même s’ils ont appliqué les prescriptions à la lettre ? Comment faire comprendre à nos élèves que l’histoire comme la géographie sont des matières nécessitant réflexion, recul et esprit critique, lorsqu’on leur demande avant tout bachotage et reproduction mécanique ? Comment, dès lors, ne pas les voir s’engouffrer dans la consommation irraisonnée d’autres formes de productions de « savoirs » historiques, plus accessibles mais de faible rigueur, quand elles ne sombrent pas plus avant dans les falsifications qui sont pourtant jugées responsables de la baisse de leur niveau de connaissances ? Jeudi, à la veille du brevet, le Monde accordait sa une à l’enquête de la DEPP affirmant que le niveau des élèves au collège baissait en histoire géographie, sans jamais évoquer le volume et les exigences des programmes et les besoins méthodologiques. Nous sommes tous conscients que ce qui s’est passé le lendemain ne risque pas d’inverser les tendances ! Et les consignes de corrections “bienveillantes” qui seront données, visant à aller chercher, partout où c’est possible, des bribes de points destinés à masquer la catastrophe, n’y pourront rien devant les copies parfois aux trois-quarts vides. Cette fois, il ne sera pas possible d’enfumer tout ça d’un épais brouillard au travers duquel on ne distinguera plus qu’un seul mot, « valorisez ! »

Aussi, on cherche frénétiquement et désespérément où est la refondation de l’école quand une nouvelle majorité au pouvoir met en œuvre la même politique de pilotage par les résultats et par les examens que ses prédécesseurs ? Le pilotage par les chiffres de l’Education nationale, met à genoux un système à bout de souffle où ni les élèves ni les enseignants ne trouvent leur compte : fixez des objectifs irréalistes, mais qui “sonnent” tellement bien, en termes de communication. Refusez de voir que le réel, obstiné, n’atteint pas vos espérances. Et au lieu de devenir un peu plus réaliste, pour le bien de tout le monde, cassez le thermomètre qui, le bougre, ne vous donne pas raison (ici, les examens, qui n’ont plus qu’un sens tout à fait relatif, les programmes, déconnectés et absurdes) et désignez des boucs-émissaires (à tout hasard, le collège et ses enseignants, dans la vogue du moment).

Aujourd’hui, nous rejoignons nos collègues de lycée dans la colère qu’ils exprimèrent le 18 juin dernier, et plus encore parce que le collège est le maillon faible du système éducatif fragilisé par des réformes nombreuses, déstabilisantes, par la démultiplication des injonctions contradictoires, par la création de hiérarchies intermédiaires inutiles (conseils pédagogiques), par de massives suppressions de postes, par des injonctions à faire tout et n’importe quoi sur le temps consacré d’ordinaire au cours (histoire des arts, orientation, note de vie scolaire, photos de classe, vie de classe, sécurité routière, secourisme…). On ne sera alors guère surpris de constater que dans les études statistiques de la DEPP – tout aussi opaques que la fabrication des sujets d’examen : qui les fait ? Quand ? De quelle manière ? Selon quels critères ? Avec quelles intentions ? – ce soient les élèves les plus faibles, issus des milieux les plus défavorisés, pour lesquels l’entrée dans les apprentissages est la plus difficile et longue, qui paient le plus lourd tribut à cette invraisemblable gestion de l’école. Discriminante, l’Ecole de la République ? Les nouveaux programmes et les nouvelles épreuves de collège et de lycée, dont sans capital culturel extérieur et préalable, il est bien difficile de tirer quoi que ce soit de cohérent, ancré, approprié (en bref, ce qui permet de penser par soi-même), en sont une funeste illustration.

Il faut revoir les programmes trop lourds et prescriptifs, revoir les examens, rendre transparente la fabrication des sujets, cesser de tenter de faire appliquer des programmes infaisables en menaçant les enseignants de n’interroger leurs élèves que sur des questions pièges, en installant un climat de défiance et de suspicion généralisées. Il faut laisser les enseignants faire leur travail et leur donner les moyens de le faire, les entendre et prendre en compte leur parole. A nos détracteurs qui prétendent que nous passons notre temps à critiquer, nous répondons que nous aurions bien mieux à faire mais hélas, les évènements valident trop souvent nos mauvais pressentiments, et ce n’est pas à nous d’en porter le chapeau. Nous avons l’expertise et les idées, encore faut-il leur laisser une chance et accepter de considérer la parole du terrain comme légitime !

Certains d’entre nous pensent aussi qu’il est temps de remettre à plat le DNB et le baccalauréat en eux-mêmes, car, en l’état actuel, ce rituel républicain est non seulement dispendieux, mais il obère et dénature complètement l’enseignement de beaucoup de disciplines, notamment l’histoire-géographie. C’est un débat parmi d’autres que nous n’occultons pas, même s’il ne fait pas consensus. Afin de “coller” au contenu prévisible des épreuves et d’assurer la réussite des élèves, les professeurs en sont arrivés à ne plus avoir d’autre choix qu’un véritable gavage d’oies, au détriment de tout ce qui fait le sens de nos matières. « Il existe peu d’occasions, pour une classe d’âge, de vivre une telle expérience commune, avec une solennité qui permet d’éprouver le sentiment d’un destin collectif » écrivait récemment la sociologue Marie Duru-Bellat… Quelle formidable « expérience commune » en effet que ce jeu de massacre qui n’a que trop duré.


[1Diplôme National du Brevet (pour les nuls qui ont tout oublié du collège)