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Lettre ouverte aux parlementaires - 17 septembre 2020

jeudi 17 septembre 2020

Faut-il soigner un système avec les outils qui l’ont rendu malade ?

Depuis l’automne 2019 est annoncée une loi de « programmation pluriannuelle de la recherche » ou LPPR, présentée comme décisive par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Rebaptisée « Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur », LPR pour faire court (après intervention du Conseil d’État dénonçant le caractère peu crédible d’engagements à deux ans d’une fin de mandat), cette loi doit, après moult reports, être examinée dans les prochains jours. Elle le sera à la va-vite, dans le cadre d’une procédure d’urgence limitant au strict minimum l’intervention de la représentation nationale. Aucune discussion sérieuse n’a eu lieu en commission, alors même que toutes les instances représentatives de la communauté universitaire et cette dernière se sont dressées depuis des mois de façon quasiment unanime contre les principales mesures de ce projet, alertant avec la plus grande force sur leurs conséquences dramatiques pour l’enseignement supérieur et la recherche.

Le gouvernement a obstinément refusé d’entendre que ce projet de loi organise la faillite de la recherche scientifique publique en France, et menace le bon fonctionnement de l’Université comme institution de formation et de recherche. Pour contrer les arguments des chercheurs et enseignants-chercheurs, il n’a eu d’autre recours que le mensonge. Le mot est fort, sans doute. Exagéré ? Lisons les points essentiels du texte présenté à l’Assemblée nationale.

  1. Effort financier de l’État ? L’effort de la nation pour la recherche n’est ni unique ni exceptionnel. À peine plus de 200 millions pour 2021, et pour les deux budgets suivants, les seuls sur lesquels le présent gouvernement peut s’engager, les chiffres sont ridicules. Ils le sont encore davantage au regard des efforts budgétaires consentis ces derniers mois dans d’autres secteurs de la vie de la nation. La France va donc continuer d’être un des pays économiquement développés qui investissent le moins dans la recherche publique.
  2. Attention portée aux conditions de l’emploi scientifique ? En lieu et en place du plan de recrutements que la profession attend depuis des années (comme à l’hôpital…), la LPR se contente de créer de nouveaux statuts à durée déterminée, qui renforceront la précarité dont tous les personnels s’accordent à dire qu’elle nuit au bon fonctionnement comme à la réussite de la recherche et de l’enseignement. Elle risque aussi de conduire de jeunes chercheurs à une expatriation durable.
  3. Égale distribution des financements ? L’actuel président du CNRS l’a annoncé, cette loi sera férocement « darwinienne ». Elle entend renforcer les inégalités de distribution des moyens octroyés ainsi que le rôle de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Elle fait radicalement le choix d’une recherche sur projets. La ministre n’a-t-elle pas entendu le vœu unanime des chercheurs lassés de passer plus de temps à chercher de l’argent qu’à faire leur métier ?
  4. Libertés académiques et intégrité de la science ? L’épreuve du Covid en est une pour la science. Elle nous montre que la recherche a besoin de temps, de liberté et d’intégrité : doit-on rappeler qu’il y a quatre ans, avec une grande capacité de projection, l’ANR a écarté d’un revers de main des demandes de financements de recherches sur les coronavirus ? En faisant dépendre les carrières des chercheurs et des enseignants-chercheurs de leur capacité à apporter des financements à leur laboratoire, la loi favorise le conservatisme des sujets de recherche et la fraude scientifique qui explose actuellement à l’échelle mondiale. Les situations de concurrence exacerbée, la course effrénée à la publication, l’évaluation quantitative n’ont rien à voir avec la science.
  5. Recherche ou innovation ? La seule mission assignée à la recherche par la loi est l’innovation et la valorisation. L’idée même de recherche fondamentale est en péril. Sous couvert d’exalter l’« innovation », la loi organise et généralise le contrôle par les entreprises de pans entiers de la recherche, balayant la distinction entre recherche publique et intérêts privés, faisant perdre à la première ses véritables capacités innovatrices qui reposent sur l’autonomie et la durée.
  6. Une loi ambitieuse ? Le projet de loi ne dit rien du lien entre recherche et enseignement, de la préservation des missions de l’université, des libertés académiques, du temps de la recherche, de la formation des jeunes. Il ne dit rien des missions et des décisions que l’urgence de la question environnementale devrait pourtant susciter. Ajoutons à cela la faiblesse des moyens financiers mis en œuvre et l’application paresseuse de la pensée libérale en matière de remise en cause des statuts de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, sans aucune attention aux besoins réels de la recherche scientifique : c’est bien l’absence totale et criante d’ambition scientifique pour la France qui caractérise cette loi.

Les quelques mesures sur lesquelles s’accorde la très grande majorité de la communauté universitaire sont pourtant connues et peu coûteuses :

  • Respecter les engagements pris depuis vingt ans sur le niveau de l’engagement financier de l’État pour la recherche publique (3% du PIB pour la recherche, dont 1% pour la recherche publique),
  • limiter le montant du crédit impôt recherche dont même la Cour des Comptes a dénoncé l’inefficacité et l’opacité (alors même qu’un petit tiers des 6 milliards qui lui sont alloués annuellement suffirait à rétablir l’équilibre financier de l’université française),
  • rapatrier toutes les instances qui participent au financement de la recherche sous le contrôle du ministère de tutelle (à commencer par le Crédit Impôt Recherche et la gestion des Projets d’investissements d’avenir (PIA)),
  • limiter le pourcentage des appels à projet dans les budgets de recherche ; augmenter les crédits récurrents attribués aux laboratoires et équipes de recherche,
  • refonder la collégialité, seule à même de garantir la scientificité des jugements sur la recherche ; limiter les personnes nommées dans les instances de décision à 50% au plus, sans pouvoir de veto,
  • garantir l’indépendance et l’éthique scientifiques, par exemple en étendant à tous les chercheurs et enseignants-chercheurs la protection que la loi accorde aux professeurs d’Université,
  • engager un « plan pluriannuel » de recrutement en instaurant un quota maximum de personnels non-fonctionnaires dans les universités et les grands établissements, engager un « New Deal » de protection de la vie étudiante.

Mesdames et messieurs les député.e.s et sénateurs-trices, la loi qui vous est présentée est indigne. Elle sonne le glas de la place que la recherche française avait acquise dans le monde grâce à son service public et aux efforts financiers consentis jadis. Elle accentue un sous-financement reconnu par tous et promeut la politique même qui l’a fait décrocher au cours des quinze dernières années. C’est avec solennité que nous vous disons : l’heure est grave. Puissiez-vous en prendre la mesure.

Vivent l’Université et la Recherche quand même.

[rouge]Sauvons l’Université !, 17 septembre 2020[/rouge]