Accueil > Évaluation / Bibliométrie / Primes > Ça ressemble à l’AERES, ça a la couleur de l’AERES mais ce n’est pas l’AERES : (...)

Ça ressemble à l’AERES, ça a la couleur de l’AERES mais ce n’est pas l’AERES : c’est le HCERES…

vendredi 27 septembre 2013, par B. Blanc & W. Bonnet

Pistes de réflexion autour du futur Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur

CNRS Hebdo (Aquitaine), 20 septembre 2013

La loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche votée le 9 juillet 2013 institue le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), supprimant ainsi l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). Au-delà d’un nouveau nom, quels changements sont en perspective ? Denise Pumain (géographe, professeur à l’université Paris I) et Frédéric Dardel (biologiste, président de l’université Paris Descartes) sont chargés par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de proposer, d’ici début décembre 2013, des modalités d’organisation pour cette nouvelle autorité indépendante [1].



Alors que les consultations viennent de démarrer, Frédéric Dardel livre à CNRS Hebdo quelques pistes de réflexion sur l’évaluation de la recherche.`

CNRS hebdo : Quelles sont les attentes du ministère relativement au futur HCERES ?
Frédéric Dardel  : Nos travaux serviront à préparer le décret de création du HCERES, décret dont la publication est prévue d’ici la fin de l’année. Si la loi précise les missions, les grands principes et la composition du Haut Conseil, elle reste elliptique sur ses modalités d’organisation [2]. Le ministère attend donc que nous dégagions un consensus le plus large possible au sein de la communauté scientifique et universitaire sur des modalités d’organisation, de restitution et de publicité des évaluations. C’est pourquoi nous consultons les instances d’évaluation dont l’AERES, les directions des organismes de recherche, la conférence des présidents d’université (CPU), les organisations représentatives des personnels et des étudiants. Dans la limite de nos disponibilités, nous recevons également tous ceux qui souhaitent être entendus sur le sujet.

La loi réaffirme que l’organisation de l’évaluation doit suivre des principes d’objectivité, de transparence et de neutralité. Comment les mettre concrètement en œuvre, par exemple, concernant les comités d’experts qui évaluent les laboratoires ?
FD : La constitution des comités d’experts se faisait auparavant d’un commun accord entre le délégué scientifique, responsable de l’évaluation d’un laboratoire, et le président de l’AERES. Un besoin de collégialité plus grande dans la constitution des comités d’experts émerge de nos premiers entretiens. Cette discussion élargie, en amont de l’évaluation, pourrait permettre d’en améliorer la légitimité et l’efficacité. Par ailleurs, la présence de représentants des instances d’évaluation des personnels dans les comités d’experts a été évoquée afin de mieux articuler les évaluations collectives et individuelles.

Où en sont les réflexions concernant la notation des unités de recherche ?
FD : Une chose est certaine, plus personne ne veut de la note unique. Elle avait d’ailleurs été supprimée par l’AERES elle-même, et remplacée par plusieurs notes associées à des critères. La note unique a cristallisé le mécontentement contre l’AERES et cela peut se comprendre car son impact sur l’allocation des moyens ou la réussite à des appels d’offres a été réel. Cependant, si les notes ont parfois été utilisées de manière inconsidérée, la responsabilité en incombe largement aux décideurs, ministère, directions des établissements et des organismes, collectivités territoriales. Quoi qu’il en soit je n’ai pas le sentiment que l’on veuille supprimer toute notation. En effet, la question de la notation doit être reliée à l’utilisation des résultats et à la publicité de l’évaluation. Les décideurs ont besoin d’un résultat utile à des fins de pilotage stratégique. Du côté des évalués, le besoin est celui d’un retour qui permette de progresser. Faut-il pour cela qu’un rapport unique soit publié sur Internet ? Il me semble que l’hyper-transparence, en plus d’être douloureuse, s’est révélée infructueuse car, au fil du temps, les rapports de l’AERES se sont édulcorés. Certains proposent donc qu’un rapport synthétique soit rendu public et que les évaluations plus détaillées ne soient divulguées qu’aux intéressés et à leurs tutelles directes.

La loi offre la possibilité aux établissements de réaliser l’évaluation en interne - le HCERES ne validant que les procédures appliquées - ou bien de faire appel directement au HCERES. Comment cela est-il perçu ?
FD : Les statuts de l’AERES le permettaient déjà, mais cela n’avait pas été mis en place faute d’accord entre les différentes tutelles. A ce stade de nos consultations, j’ai le sentiment que la communauté universitaire et scientifique est attachée au maintien d’une évaluation identique pour tous, mais nous n’avons pas encore recueilli l’avis de tout le monde…

Avez-vous une idée du budget du futur Haut Conseil de l’évaluation ?
FD : Le ministère a été très clair, le budget doit être constant par rapport à celui de l’AERES. Or les experts internationaux, très prisés, ont un coût plus important que les experts français. Les visites sur site sont jugées incontournables, mais les frais induits sont élevés. La granularité, c’est-à-dire le degré de précision des évaluations - équipe, laboratoire, établissement, discipline, site, etc. - aura également un impact direct sur le budget du Haut Conseil. Une piste consisterait à optimiser l’évaluation au niveau des institutions existantes. C’est probablement pourquoi le ministère nous a demandé de réfléchir à l’articulation des travaux de l’HCERES avec ceux d’autres instances, internes aux établissements (conseils, comités…) ou externes comme la Cour des comptes et les inspections générales.

Quel a été l’apport de l’AERES de votre point de vue ?
FD : Souvenons-nous que l’AERES a été créée pour que l’évaluation repose sur un standard commun et soit plus transparente et indépendante. J’ai vécu l’arrivée de l’AERES en 2007 alors que j’étais directeur scientifique du département des sciences biologiques [3] du CNRS. Nous avions jusque-là des critères et des grilles de notation qui n’étaient pas connus des laboratoires évalués. Par ailleurs, à l’université, les équipes d’accueil n’étaient pas évaluées par un comité de visite. Il me semble donc que, malgré ses imperfections, l’AERES a normalisé les processus d’évaluation, a fait progresser la « culture de l’évaluation » et nous a obligés à réfléchir à notre stratégie. Enfin, j’ai constaté que les évaluations internes au CNRS aboutissaient à des résultats similaires. Je pense que 80 à 90 % des évaluations de l’AERES se passaient très bien.

Quelle est votre vision de l’évaluation de la recherche ?
FD : En tant que Président d’université, j’ai besoin de connaître ce qui se passe dans les laboratoires. L’évaluation est un outil essentiel au pilotage scientifique d’un établissement. Par ailleurs, je pense que l’évaluation doit pouvoir prendre en compte la diversité des manières de faire de la science. Nous réfléchissons avec nos interlocuteurs à la manière dont les sciences humaines et sociales et l’interdisciplinarité pourraient être évaluées autrement. Je me sens investi de cette mission car je suis convaincu que l’évaluation peut être réellement utile à ceux qui y participent et non une contrainte administrative de plus. Une évaluation constructive, animée d’une grande exigence scientifique, utile aux décideurs comme aux chercheurs, ce n’est pas une utopie.
Propos recueillis par Claire Debôves


[1Le statut juridique d’autorité administrative indépendante permet à une instance d’agir au nom de l’Etat sans lui être soumis hiérarchiquement. Les plus connues sont la CNIL et le CSA

[2Les articles 89 à 94 de la loi du 22 juillet 2013 traitent du HCERES.

[3Actuel Institut des sciences biologiques (INSB) du CNRS.