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Les littéraires, nouveaux Phénix de l’entreprise, Benoît Floc’h, Le Monde.fr économie, 12 avril 2012

mardi 17 avril 2012, par Sylvie

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Devenir chef de produit chez Danone après un master en lettres ? Auditeur chez Pricewaterhouse Coopers après avoir étudié la littérature et la civilisation allemandes ? Ces parcours improbables, l’opération Phénix les rend possibles.

Depuis 2007, ce programme qui associe quinze universités et dix grandes entreprises (comme Coca-Cola, Renault ou L’Oréal) entend montrer que les facs de lettres ne sont pas des fabriques à chômeurs. L’idée ? Mettre en place une procédure de recrutement qui favorisera l’embauche de littéraires par des grands groupes.

Mardi 10 avril, la première étape de la 6e édition a débuté. Les étudiants en master 2 et les (tout) jeunes diplômés de lettres et sciences humaines ont pu, à l’occasion d’un forum organisé à Paris, rencontrer les entreprises partenaires et s’ouvrir à des débouchés qu’ils n’envisageaient pas spontanément. Suivra une phase par Internet, puis des entretiens. La nouveauté de l’année, c’est l’élargissement de Phénix à toutes les universités.

"Les littéraires sont faits pour l’entreprise !", assure le créateur du projet, Serge Villepelet. Le président de Pricewaterhouse Coopers s’en est convaincu en 2006. A l’occasion du rejet par les jeunes du "contrat première embauche" (CPE) que Dominique de Villepin voulait leur imposer, "j’ai compris, confie M. Villepelet, la profondeur du malaise et eu le sentiment d’un gigantesque gâchis... C’est à ce moment qu’est née chez moi une conviction : nous avons des difficultés à recruter, ils ont des difficultés à trouver du travail, pourquoi ne pas nous rapprocher ?"

La perspective de voir un tiers des actifs de 2005 quitter le marché du travail d’ici à 2020 angoisse les entreprises. Pour autant, elles n’imaginent pas embaucher des littéraires juste sortis de l’université. C’est une curiosité française : pour former des cadres, le pays préfère s’en remettre à un système parallèle - les grandes écoles - plutôt que faire confiance à l’université, que pourtant il finance.

M. Villepelet conteste ce système. "Nous voulons, dit-il, que la France soit un pays où avoir lu Kant et sa Critique de la raison pratique ne soit plus perçu comme un exploit d’étudiant bien mal parti dans la vie, mais comme un gage de curiosité et d’esprit critique."

Cinq ans après, où en sommes-nous ? Quelque 150 jeunes ont été recrutés. "Les littéraires, on les voit moins sur des postes à responsabilité que les autres, regrette Anne Cheignon, chargée du dossier à l’université François-Rabelais de Tours. Pourtant, confier des responsabilités à un étudiant en histoire, cela fonctionne. Phénix le montre."

"UN MANQUE DE SUIVI"

Même constat positif à la Sorbonne Nouvelle (Paris-III) : "Nos étudiants, constate Martine Yokessa, responsable du bureau d’insertion professionnelle, peuvent occuper des postes de cadres dès le départ car, même s’ils n’ont pas reçu de formation commerciale, ils maîtrisent des compétences transversales : esprit critique, capacités rédactionnelles, capacité à réfléchir de manière peut-être moins mécanique que d’autres..."

"Accepter d’évoluer dans un monde concurrentiel implique, pour l’entreprise, de multiplier les innovations, observe M. Villepelet. Et celle-ci a beaucoup plus de chances d’y arriver avec des équipes diversifiées plutôt qu’avec des gens issus de la même formation. Mettre des HEC avec des diplômés de la Sorbonne, ça marche, parce que tous ne voient pas les choses avec le même angle de vue et c’est très fructueux."

Au-delà de l’intérêt bien compris de grands groupes aux prises avec la mondialisation, l’Institut de l’entreprise, copartenaire de l’opération, met en avant la responsabilité sociale. "Notre priorité, explique Frédéric Monlouis-Félicité, délégué général de ce think tank, c’est que les entreprises se saisissent de la question de l’emploi desjeunes. Zara ou Veolia engagent des moyens considérables car elles savent que la cohésion sociale se joue aussi sur la manière dont les entreprises intègrent les jeunes."

L’expérience de Phénix montre que le chemin est long. Côté entreprises, les mentalités pourraient évoluer plus vite. Quant aux universités, les marges d’amélioration sont grandes, là aussi.

A l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, partenaire de l’opération, "le bilan est assez mitigé", explique Natacha Ferreira, la chargée du dossier : "Il y a eu des recrutements les premières années mais il n’y en a plus." En cause ? "Le manque d’adhésion des enseignants, qui n’ont pas une bonne image de cette opération. Le monde de l’entreprise est vu de manière négative dans beaucoup de filières." Les professeurs voient en Phénix un "outil de communication pour certaines entreprises".

A Paris-XIII-Nord, Gauthier Lamarre, qui s’occupe de l’opération Phénix, évoque "un" recrutement. "Ce n’est pas énorme. Mais beaucoup d’étudiants ne vont pas au bout de la procédure, dit-il. Il y a un manque de suivi. De notre part également."

Bref, le bon bilan de certains (22 étudiants de Paris-III recrutés) ne se retrouve pas partout. "J’aimerais que cela aille plus vite, reconnaît M. Villepelet. En France, il n’est pas facile de faire avancer les initiatives originales. Mais quelque chose est en train de se passer."

Dans la mythologie grecque, Phénix a éduqué Achille, le héros de l’Iliade. Il voulait faire de lui "un bon faiseur d’exploits". Exploit, le mot est lâché.

Benoît Floc’h