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Pour un Psychologue de l’Education Nationale dans le premier degré. Lettre à Luc Chatel (16 juin 0210)
samedi 19 juin 2010, par
Ce courrier de Popsyden (voir plus bas) a été envoyé à Luc Chatel le 16 juin 2010.
Au moment où circulent des instructions données par le ministère de l’Education Nationale aux recteurs et aux IA (Ministère de l’éducation nationale, 5 mai 2010, Dialogue Centrale – Académies, Schéma d’emplois 2011 – 2013) pour « évaluer les gisements d’efficience », quantifier « des marges de manœuvre » dans la perspective du « non remplacement d’un départ sur deux pour la période 2011/2013 », instructions dans lesquelles est préconisée l’analyse « des conséquences en termes de libération d’emplois de l’absence de recrutement nouveau de psychologues scolaires » et est évoquée « la mise en extinction des psychologues scolaires », nous voulons revenir sur les enjeux de la place du psychologue dans l’Education Nationale et proposer une réflexion et des analyses qui adoptent d’autres critères que des préoccupations économiques à court terme.
Il nous semble en effet important que les décideurs puissent
assumer leurs décisions en connaissance de cause.
Le texte ci‐dessous a été élaboré par un groupe réunissant des instances représentatives autour de la profession de psychologue dans l’Education Nationale, premier degré, groupe qui a choisi de s’appeler PoPsydEN (Pour un psychologue de l’Education nationale ‐ 1er degré) :
il comprend les universitaires en charge de la formation des psychologues scolaires, l’Association Française de Psychologues de l’Education Nationale (AFPEN), l’Association des Enseignants‐
chercheurs de Psychologie des Universités (AEPU), la Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie (FFPP), la Société Française de Psychologie (SFP), des syndicats (SNP, SNUIpp,
SNPsyEN, UNSA‐Education). Sans se substituer aux organisations qu’il rassemble, le PoPsydEN cherche à réunir les acteurs concernés, psychologues, formateurs de psychologues et
chercheurs en psychologie, afin de favoriser des analyses et prises de position concertées :
le texte ci‐dessous a ainsi été construit et validé collectivement.
Le ministère de l’Education rappelait encore tout récemment – le 17 juillet 2009
(circulaire n°2009‐088 du 17‐7‐2009 sur les « Fonctions des personnels spécialisés des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) dans le traitement de la difficulté scolaire à l’école primaire » , NOR : MENE0915410C, RLR : 501‐5, MEN ‐ DGESCO
A1‐1) que si « l’objectif de l’école est d’amener tous les élèves à la maîtrise des connaissances et
des compétences inscrites dans les programmes en référence au socle commun »,
il importe, « dès qu’un élève rencontre une difficulté dans ses apprentissages », de lui apporter « les aides
nécessaires » « dans le cadre du service public de l’éducation ».
Cette même circulaire évoque le rôle des psychologues scolaires qui « apportent leur expertise au sein de l’équipe enseignante de l’école.
Ils contribuent à l’observation des élèves identifiés par l’enseignant de la classe, à l’analyse de leurs compétences et des difficultés qu’ils
rencontrent et à la définition des aides nécessaires. Le cas échéant, ils aident au repérage des élèves en situation de handicap et à la réalisation des projets personnalisés de scolarisation. Ils contribuent à une relation positive avec les parents pour faciliter la réussite scolaire. » Le même texte indique encore que « le psychologue scolaire réalise, en concertation avec les parents, les
investigations psychologiques comprenant éventuellement les examens cliniques et
psychométriques nécessaires à l’analyse des difficultés de l’enfant et au choix des formes d’aides adaptées. Il peut organiser des entretiens avec les enfants en vue de favoriser l’émergence du
Pour un Psychologue de l’Education Nationale
dans le premier degré désir d’apprendre, de s’investir dans la scolarité, de dépasser une souffrance psycho‐affective ou
un sentiment de dévalorisation de soi. Il peut aussi proposer des entretiens aux maîtres et aux
parents pour faciliter la recherche des conduites et des comportements éducatifs adaptés aux
problèmes constatés. »
Conduite dans la ligne même de cette circulaire, notre réflexion commune la prolonge en précisant la spécificité de l’intervention du psychologue de l’Education Nationale dans le premier
degré, en montrant les besoins auxquels il est le seul à pouvoir répondre. Nous reviendrons alors
sur les questions posées par sa formation avant d’envisager les évolutions souhaitables, tant du
fait du contexte de la mastérisation des concours d’enseignement que du contexte européen.
I. Le rôle spécifique du psychologue de l’Education Nationale 1er degré
Ce qu’apporte le psychologue de l’Education Nationale dans son travail au sein des écoles
maternelles et élémentaires de l’enseignement public ne trouve pas d’équivalent dans d’autres
fonctions actuellement exercées dans ce cadre : il est le seul professionnel formé à une écoute
attentive et distanciée (par rapport à ses ressentis, ses émotions, ses attentes) des personnes et
des groupes, un professionnel qui manifeste de la disponibilité psychique pour aider chacun de
ses interlocuteurs (élève, enseignant, parent) à mettre en mots, en lien et en sens ce qui est
souvent vécu dans la difficulté, dans la souffrance et qui reste trop fréquemment non‐compris
de la personne elle‐même, un professionnel capable de nourrir sa réflexion et ses interventions
aux sources des recherches et travaux de l’ensemble de la psychologie actuelle, un professionnel
connaisseur de l’institution scolaire, de ses missions et de son fonctionnement.
C’est un interlocuteur de référence pour les enseignants et les familles. Ainsi est‐il très
fréquemment le premier (et parfois le seul !) psychologue que rencontrent les familles de milieu
populaire, le premier professionnel attentif à l’écoute individuelle et formé à l’aide
psychologique. Il participe aux dispositifs d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) et
assure les contacts avec les psychologues travaillant dans d’autres institutions, ou en libéral, avec
d’autres professionnels, avec les institutions de soins ; entre les enseignants et les familles il est
un médiateur central pour la recherche de liens, de dialogue et de mise en cohérence autour du
projet scolaire et personnel des enfants. Il joue également ce rôle entre l’enfant et l’enseignant
de même qu’au sein des équipes d’école. Sa présence reconnue et sa disponibilité au sein de
l’institution scolaire contribuent au maintien de la mémoire attentive des situations et des
personnes en inscrivant son action dans la durée.
Ses compétences élevées en matière d’évaluation l’aident à éclairer les enjeux de telle ou
telle difficulté d’apprentissage et contribuent à l’élaboration de projets pédagogiques et/ou
d’orientation adaptés aux besoins et possibilités de chaque élève.
Le psychologue de l’Education Nationale est appelé à intervenir, selon des modalités
variées, sur des questions très diverses et souvent complexes : sa formation large et orientée
vers l’application aux problèmes d’apprentissage lui permet de recourir à des éclairages venus de
l’ensemble des sous‐disciplines de la psychologie (psychologie du développement, psychologie
de l’éducation, psychologie du handicap, psychologie interculturelle, psychologie cognitive,
psychologie clinique, psychopathologie, psychologie sociale et psychologie des groupes,
psychologie des relations inter‐groupes, psychologie des organisations, psychologie de la santé,
psychologie comportementale, …) tout en mettant en regard ces différents apports pour les
orienter vers la compréhension de ce qui nous fait humains, dans une rencontre avec ce qui rend
chacun de ses interlocuteurs singulier et unique, en une démarche pleinement clinique.
Dans son travail, comme tout psychologue, il garantit la confidentialité ; il se réfère au
Code de déontologie des psychologues.
II. Quelques apports spécifiques du psychologue de l’Education Nationale 1er degré
L’intervention du psychologue de l’Education Nationale se situe à la fois dans la recherche
des conditions facilitant les apprentissages, dans la compréhension des obstacles à
l’apprentissage et dans la recherche de solutions adaptées.
Au sein de l’institution scolaire le psychologue de l’Education Nationale est au contact
régulier avec les difficultés d’apprentissage : il aide à en comprendre les origines et les
manifestations, sans limiter ses questions à une seule « causalité » ; il utilise des outils pour
l’évaluation des capacités intellectuelles mais il est aussi attentif à d’autres facteurs qui
perturbent actuellement l’investissement dans les apprentissages, comme les enjeux
psychoaffectifs et relationnels ou encore les contextes sociaux et culturels.
Attentif à la souffrance individuelle, qu’elle témoigne de situations difficiles dans la
famille, dans la scolarité ou dans le quartier, il offre la disponibilité d’un professionnel de
l’écoute. Ces souffrances peuvent être celles de l’enfant, mais aussi celles d’un enseignant et/ou
d’un parent.
Face aux situations de handicap, il intervient pour évaluer la nature et l’importance des
difficultés, il contribue à élaborer un projet personnalisé en apportant un éclairage sur les
difficultés rencontrées par l’enfant, à préparer l’inclusion de l’élève, aider à l’accompagnement
de la famille et à l’intervention des personnels concernés (AVS, enseignants). Par sa présence
régulière dans les écoles et auprès des équipes d’enseignants, il est sollicité lorsque surviennent
des problèmes, il peut éviter certains écueils et il soutient les enseignants dans l’accueil dans
une classe d’un enfant porteur de handicap.
Le psychologue de l’Education Nationale est sollicité par l’institution scolaire pour
apporter ses compétences et sa disponibilité psychique lors de situations d’urgence comme en
connaît parfois l’école (deuil, abus sexuel, suicide, maltraitance, violences en milieu scolaire). Il
peut être amené à participer à des cellules de crise. L’évaluation des risques encourus par un
enfant est une dimension importante de son intervention professionnelle : il est engagé dans la
réflexion quant aux actions à mener en termes de protection de l’enfant, quant aux conditions
de son épanouissement et de son devenir (scolaire et personnel).
L’adaptation des interventions pédagogiques et des projets d’école aux spécificités des
élèves (du fait des situations sociologiques, des contextes culturels, notamment) est un autre
des apports du psychologue de l’Education Nationale : sa formation en psychologie de l’enfant et
son attention aux besoins des élèves lui permettent de collaborer efficacement à la
détermination des enjeux et des possibilités d’action, qui se traduisent dans la participation au
projet d’école, à sa rédaction et à sa réalisation. La place du psychologue de l’Education
Nationale est donc aussi centrale pour la mise en place des meilleures conditions pour les
apprentissages, ce qui constitue l’un des premiers moyens à réunir pour prévenir les difficultés.
Le psychologue de l’Education Nationale peut aussi être sollicité, par l’Inspection
Départementale, les enseignants ou les parents, pour éclairer des questions d’éducation : ainsi
interviendra‐t‐il sur des questions comme l’enfant et les images, le rôle de la télévision, le
sommeil de l’enfant, les rythmes, le développement du langage, l’autorité, la parentalité. Par ces interventions, il aide à comprendre ce que vivent les enfants, les enseignants, les parents et
participe activement aux actions de prévention propres à l’école maternelle.
Le psychologue de l’Education Nationale, présent et disponible au sein de l’école, répond
ainsi à des besoins très variés, mais centraux pour l’équilibre des personnes.
Que se passerait‐il dans l’institution scolaire si, demain, il n’y avait plus de psychologue
dans les écoles ?
III. Les besoins psychologiques des élèves à l’école maternelle et élémentaire
La rencontre du jeune enfant avec l’école et ses objectifs d’apprentissage sollicite chez lui
une disponibilité sur différents plans : son développement intellectuel, ses capacités d’attention,
de concentration, d’apprentissage, sont liés à la confiance qu’il peut nourrir quant à ses
possibilités, confiance qui naît de la confiance qu’il ressent de la part de ses parents, mais aussi
de ses enseignants. Chaque enfant, pour devenir un élève qui manifeste de l’envie d’apprendre
et parvienne à apprendre, doit se sentir à sa place et reconnu comme individu, par les adultes et
les autres élèves, reconnu dans ses efforts et dans ses réussites. Cette valorisation, cette prise en
compte personnelle par les parents et les enseignants, voire cet accompagnement momentané
proposé par un psychologue de l’Education Nationale, ce sont là des nécessités pour le
développement harmonieux des élèves et leur bien‐être scolaire.
Cette préoccupation envers les besoins psychologiques des élèves, envers la manière dont
les apprentissages se passent pour chacun d’eux et sont vécus par eux, nous semble centrale. La
variété de ces besoins et de ce qui peut les contrarier suppose qu’il puisse être fait appel à un
professionnel de la psychologie compétent pour relier toutes ces dimensions : les capacités
cognitives, bien entendu, mais aussi les besoins de reconnaissance sociale et culturelle, mais
encore les ressentis et les craintes, les peurs et les doutes.
Le psychologue de l’Education Nationale est, au sein de l’institution scolaire, le
professionnel le mieux placé et le mieux armé pour maintenir cette attention portée aux besoins
des élèves et aider à trouver les moyens d’y répondre au mieux. Sa présence permet d’instituer
un lieu spécifique, de neutralité garantie, où un dialogue peut s’engager hors des enjeux de
l’évaluation.
IV. Quelle formation pour un psychologue de l’Education Nationale 1er degré ?
Dans le contexte de la mastérisation des concours d’enseignement, la formation des
psychologues de l’Education Nationale nécessite à la fois une licence de psychologie et un
master (1 et 2) mention Psychologie (le niveau de formation qui est celui de tous les
psychologues).
Pour tenir compte des particularités propres à l’exercice de la psychologie dans l’Education
Nationale, plusieurs dispositifs pourraient être étudiés, comme par exemple l’organisation d’une
formation d’une année après l’obtention du master mention Psychologie, ou encore, comme
dans d’autres secteurs de la Fonction Publique, l’ouverture de concours de recrutement de
Psychologue de l’Education Nationale 1er degré, pour un recrutement après le Master mention
Psychologie.
Cette harmonisation de la formation des psychologues de l’Education Nationale avec celle
des autres professionnels de la psychologie (qu’ils exercent en libéral, dans le secteur associatif
ou dans d’autres secteurs de la fonction publique) doit continuer de garantir le haut niveau de
compétence des psychologues intervenant au sein de l’Education Nationale. Pour ces
psychologues intervenant dans le premier degré, nous demandons l’ouverture de discussions
avec le ministère pour que soit organisé leur statut : l’exemple du corps des conseillers
d’orientation psychologues témoigne des possibilités d’évolution.
V. La situation de la psychologie à l’école dans le contexte européen
Selon les pays européens, la place de la psychologie dans l’école reste assez contrastée :
plusieurs projets d’harmonisation sont étudiés, qui témoignent de l’attention portée par de
nombreux gouvernements à cette importante question.
Et demain, en France, une école sans psychologue ? A quels coûts humains ?
Evoquer, dans un document ministériel adressé aux recteurs et IA, « la mise en extinction
des psychologues scolaires », est‐il vraiment à la hauteur des enjeux et des responsabilités des
décideurs politiques ?
Notre réflexion, nourrie de l’expérience concrète des réalités de l’éducation à l’école
maternelle et élémentaire, conduit donc au constat que, loin de devoir programmer une
suppression de la psychologie scolaire, la responsabilité politique consisterait à accroître
significativement le nombre de psychologues de l’Education Nationale dans le premier degré. La
responsabilité de l’Education Nationale est bien de créer les conditions pour que chaque élève, y
compris le plus vulnérable, puisse apprendre et construire les conditions de son autonomie.
Nous, réunis au sein du PoPsydEN, souhaitons pouvoir rencontrer au plus tôt le ministre
de l’Education Nationale afin de lui faire part de nos inquiétudes et de nos analyses. Nous nous
déclarons prêts à participer à un groupe de travail que le ministère pourrait mettre en place pour
avancer sur ces questions.
Le PoPsydEN réunit :
Les universitaires responsables des six centres de formation des psychologues scolaires :
Christine Bailleux, MCF, responsable du centre de formation des psychologues scolaires, Université Aix‐Marseille 1,Jean‐Michel Leperlier, responsable pédagogique centre de formation des psychologues scolaires,
Université Aix‐Marseille 1, Martine Alcorta, MCF, co‐responsable du centre de formation des psychologues scolaires,
Université de Bordeaux 2, Françoise Bonthoux, PR, responsable du centre de formation des psychologues scolaires,
Université de Grenoble 2, Alain Guerrien, PR, futur responsable du centre de formation des psychologues scolaires,
Université de Lille 3, Loris Schiaratura, MCF, responsable pédagogique du centre de formation des psychologues
scolaires, Université de Lille 3,
Jean‐Marie Besse, PR, responsable du centre de formation des psychologues scolaires, Université de Lyon 2,
François Marty, PR, responsable du centre de formation des psychologues scolaires, Université
de Paris 5, Laurence Zigliara, responsable pédagogique du centre de formation des psychologues scolaires,
Université de Paris 5, Vincent Estellon, MCF, co‐responsable du centre de formation des psychologues
scolaires, Université de Paris 5.
Les associations :
AFPEN (Association Française des Psychologues de l’Education Nationale), Richard Redondo,
Président de l’AFPEN et Florence Dubois, Membre du bureau de l’AFPEN
AEPU (Association des Enseignants‐chercheurs de Psychologie des Universités), Claire Leconte,
Présidente de l’AEPU
SFP (Société Française de Psychologie), Gérard Guingouain, Président de la SFP, Suzanne
Guillard, secrétaire
FFPP (Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie), Brigitte Guinot et Benoît
Schneider, Co‐présidents de la FFPP ; Jacques Garry, chargé de mission Education
Les syndicats :
SNUIpp FSU (Syndicat National des Instituteurs, professeurs des écoles et pegc‐ Fédération Syndicale Unitaire), Annette Claverie et Françoise Dalia, co‐responsables du collectif psycho.
SnpsyEN‐UNSA (Syndicat national des psychologues de l’Education nationale de l’UNSA), Farid
Bousmia,
SNP (Syndicat National des Psychologues), Anaïs Barthélémy et François Chalayer
Pour contacts : Claire Leconte – claire.leconte@univ‐lille3.fr / 06 81 24 57 37
UFR de psychologie – Université de Lille 3 – 59650 – Villeneuve d’Ascq