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Verbatim du 6e séminaire "Politiques des Sciences" (EHESS) - La loi LRU et le passage aux RCE (20 janvier 2010)

samedi 30 janvier 2010, par Laurence

Présentation : Fanny Cosandey

Dans cette séance, nous allons aborder les enjeux et problèmes de la LRU (loi « Liberté et Responsabilité des Universités »). Pour les collègues de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), c’est une question particulièrement importante parce que se discute, à l’heure actuelle, l’opportunité ou non pour l’Ecole (EHESS) de s’inscrire ou non dans ce mouvement et de passer aux compétences élargies.

C’est pourquoi j’ai demandé au Secrétaire général, Thierry Bergeonneau, de bien vouloir exposer, en quelque sorte, les principes et les perspectives du passage aux compétences élargies et également de dire un mot sur la LRU. Et puis ensuite Christophe Pebarthe dira sa position par rapport à cette question, donc pour un refus raisonné du passage aux compétences élargies.

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Thierry Bergeonneau, secrétaire général de l’EHESS

Tout d’abord, je voudrais préciser que mon propos, dans le cadre de ce séminaire, n’est pas de faire l’apologie de la LRU, ni même de la brocarder. J’ai accepté d’intervenir pour apporter l’éclairage d’un cadre administratif que je suis, d’un Grand établissement [1] au sein duquel une réflexion a été engagée pour savoir s’il est opportun ou pas de passer aux compétences élargies.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais rappeler les grandes dispositions de la LRU, qui vont au-delà de ce que nous étudions en ce moment dans le cadre du Conseil Scientifique et bientôt du Conseil d’Administration et de l’Assemblée des Enseignants.

Les grandes dispositions de la loi LRU

La LRU modifie en profondeur les modalités de gouvernance des universités ; on en a longuement parlé au cours de ces derniers mois. En quelques mots, la LRU comporte des dispositions sur les modalités d’élection des Présidents des universités, leurs compétences, qui sont beaucoup plus larges qu’auparavant, sous l’empire de la loi Savary. La composition du Conseil d’Administration et les compétences de celui-ci sont également profondément modifiées. Il en va de même du Conseil Scientifique, qui a un rôle dans les universités qui est un peu nouveau et qui porte notamment sur la carrière des enseignants-chercheurs. Le rôle du CEVU (Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire), dans les universités, a également été modifié par cette loi.

Au-delà de ce domaine qui touche davantage les universités que les Grands établissements, comme l’EHESS, il y a d’autres dispositions, comme par exemple celles qui concernent les Comités Techniques Paritaires (CTP), dont le rôle a été aussi revu assez significativement à l’occasion de la LRU, en lui conférant des compétences particulières en matière de gestion des ressources humaines. Les établissements ont désormais l’obligation, p.e., de produire au CTP un bilan social annuel. D’autres dispositions concernent également l’ensemble des établissements qui portent sur le contrat quadriennal. Ce qui était en fait déjà entré dans la pratique de la Direction Générale de l’Enseignement Supérieur a été, en quelque sorte, entériné par la LRU. Désormais, en effet, le contrat prévoit des grandes masses financières et non plus un fléchage des crédits, sur les équipes, pour ce qui concerne la recherche, ou sur les formations, pour ce qui a trait aux enseignements.

Au-delà de tout ça, il ya a un gros bloc qui concerne les responsabilités et les compétences élargies (RCE) [2] et qui comprend deux grandes parties. Une première partie est importante pour ce qui a trait au transfert de la masse salariale et des emplois des personnels, fonctionnaires pour la plupart, qui étaient jusqu’à présent inscrits sur le budget de l’Etat, et le sont encore pour les établissements qui ne sont pas passés aux RCE. Un second bloc concerne la dévolution du patrimoine immobilier de l’Etat qui pourrait être transmis aux établissements d’enseignement supérieur qui en feraient la demande. Donc, il y a un bloc obligatoire pour les établissements qui demandent à passer aux RCE, et un bloc optionnel, qui concerne le transfert en pleine propriété du patrimoine immobilier des établissements d’enseignement supérieur.

Voilà ce qu’on peut dire en termes généraux du contenu de la LRU. Maintenant, je voudrais articuler mon exposé autour de deux points : dans un premier temps, je vous propose d’examiner les nouveaux enjeux de la LRU, et puis plus particulièrement des RCE, et aussi les nouvelles responsabilités, puisque de nouvelles compétences vont être transférées aux établissements, mais aussi des responsabilités. Dans un deuxième temps, je vous propose que l’on se focalise davantage sur le cas de l’EHESS et que l’on examine ce qui se passerait si jamais les instances décident ou ne décident pas de passer aux RCE.

Les nouveaux enjeux de la LRU

- Les enjeux budgétaires

Commençons par l’évocation des enjeux budgétaires. Les compétences transférées portent sur un périmètre beaucoup plus large. Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le dire, les personnels fonctionnaires de l’enseignement supérieur étaient inscrits sur le budget de l’Etat. Les RCE se traduisent par un transfert massif des emplois et de la masse salariale correspondante sur le budget des établissements. Pour vous donner un ordre d’idée, pour un établissement comme le nôtre, nous avons un budget de 15 millions d’euros actuellement. Avec les compétences élargies, le budget passera à 54 millions d’euros. La masse salariale que représentent les fonctionnaires de l’EHESS est de l’ordre de 37 millions d’euros. On change donc complètement de dimension dans ce cadre là. Le transfert se fera pour tous les personnels, quel que soit leur statut : fonctionnaire, contractuel ou vacataire.

Les enjeux portent aussi sur l’abandon du fléchage des crédits. Jusqu’à présent, il y avait un fléchage très pointu des crédits, bien qu’il y ait eu un effort de globalisation au cours de ces dernières années. Mais quand on regarde le contrat pour la période en cours, on s’aperçoit que les crédits étaient fléchés jusqu’à l’équipe de recherche, jusqu’à la formation. Avec la LRU, désormais, il va être précisé dans le contrat quadriennal des établissements une masse globale de crédits qui pourra être ventilé selon trois masses, c’est à dire : le fonctionnement, la recherche et l’enseignement. A charge, après, pour les instances de l’Ecole, sur proposition de l’ordonnateur de l’établissement, à savoir : le président, de répartir cette masse de crédits en fonction de la politique de l’établissement.

Tout ceci est tout à fait conforme à ce qu’a prévu la LOLF [3] en 2001. Vous savez que la LRU, in fine, n’est que la déclinaison au niveau de l’enseignement supérieur, des grands principes édictés par la Loi Organique relative aux Lois de Finances votée en 2001. Il y a un autre principe important à signaler concernant le fléchage des crédits qui a été transposé dans l’enseignement supérieur : c’est la fongibilité asymétrique [4]. Ce principe vise à ce que des crédits de masse salariale puissent éventuellement, sur décision du Conseil d’Administration (CA), et en cas de disponibilité totale de ces crédits, être utilisés pour autre chose que des dépenses de personnel. C’est à dire que le Président de l’Ecole pourrait, après délibération du CA, faire passer des crédits de la masse salariale vers les dépenses de fonctionnement ou d’investissement en cas d’excédent de crédits sur la masse salariale. Cette décision ne peut être prise, chaque année, que par une délibération du CA.

L’autre point important sur les enjeux budgétaires, c’est la visibilité que va désormais donner le contrat sur les moyens de l’établissement en emplois et en crédits. En mode RCE, l’établissement aura une visibilité sur quatre ans, non seulement de ses dotations de fonctionnement, ça c’était déjà le cas, mais également de sa masse salariale et de son plafond d’emplois. Cela sera inscrit dans le contrat.

Voilà très rapidement résumés les enjeux budgétaires.

- Les enjeux en matière de gestion des ressources humaines

Le pendant lié au transfert des crédits en matière salariale, c’est la maîtrise de la masse salariale et de la gestion des emplois. C’est un point très important. Le plafond d’emplois en mode RCE identifié par l’Etat est globalisé. On fait masse de tous les emplois, que ce soient des emplois enseignants, IATOSS [5] ou même d’autres types d’emplois, en particulier contractuels. Cette masse d’emplois, que l’on appelle dorénavant des équivalents temps-plein, est notifiée à l’établissement, à charge pour lui, après délibération du CA, de définir son schéma d’emplois, c’est à dire de répartir sa masse d’emplois entre les différentes catégories, entre les enseignants-chercheurs et les IATOSS. Ceci est à la main du CA et, éventuellement, des autres instances. Le Conseil Scientifique (CS) est évidemment intéressé dans l’affaire, puisqu’il doit être systématiquement consulté, c’est ce que dit la loi, sur tous les moyens qui concernent la recherche. Autre point important concernant la maîtrise de la masse salariale et la gestion des emplois, maintenant c’est à l’établissement de décider de ces repyramidages, dans le respect de la masse salariale qui lui a été attribuée. Cela veut dire que les transformations d’emplois que nous avions l’habitude de demander jusqu’à présent à l’Etat – une transformation d’emploi, c’est p.e. demander la transformation d’un emploi de technicien en emploi d’ingénieur d’étude, ou encore la transformation d’un emploi de maître de conférences en un emploi de directeur d’étude – , désormais, en mode RCE, c’est au CA de décider.

Le CA est compétent pour définir les principes généraux de répartition des obligations de service. Cet aspect des choses touche plus particulièrement les universités, dans la mesure où s’agissant de l’EHESS, je le répète, tout est verrouillé par le statut particulier des directeurs d’étude et par le statut particulier de l’EHESS.

Des leviers nouveaux pour l’octroi de primes, dans la limite des principes arrêtés par le CA. Là aussi, c’est ce que certains appelleront une avancée, d’autres un peu moins. Le CA peut décider, sur proposition du président, de définir un régime indemnitaire à la performance. Ce levier n’existait pas jusqu’à présent. Désormais, c’est une possibilité ouverte par la LRU.

Il y a aussi une disposition très importante qui concerne l’abandon des règles encadrant le recrutement des contractuels de catégorie A. Désormais, les établissements d’enseignement supérieur peuvent recruter, en CD ou en CDI, des contractuels administratifs, enseignants et même chercheurs dans la limite d’un plafond de masse salariale défini par le contrat. Par conséquent, il y a une limite, qui est définie par le contrat, mais il y a une possibilité nouvelle qui est offerte aux établissements.

Voilà résumés les enjeux nouveaux en matière de ressources humaines.

- Les responsabilités nouvelles

Le transfert des compétences modifie nécessairement le champ des responsabilités des établissements. Parmi celles-ci on peut citer, d’une part, le respect absolu des plafonds d’emplois et de masse salariale. Les textes ont prévu un certain nombre de garde-fous pour faire en sorte que ces plafonds d’emplois ne soient pas dépassés. Les textes imposent aux établissements de mettre en œuvre un contrôle de gestion et une obligation de reporting, c’est à dire le rendu compte que doit faire l’établissement aux autorités de tutelle. Il s’agit du recteur, pour les universités, du ministre, pour un Grand établissement. Donc, un passage aux RCE signifie aussi beaucoup plus d’informations données sur la gestion aux autorités de tutelle qui sont chargées de surveiller la bonne exécution du budget et des délibérations votées par le CA. Cela veut dire qu’il faut suivre un certain nombre d’indicateurs, renseigner des tableaux de bord, etc.

La certification des comptes constitue un champ complètement nouveau pour les établissements d’enseignement supérieur. Les comptes de l’établissement doivent faire l’objet d’une certification annuelle par un commissaire aux comptes. Jusqu’à présent, ces établissements n’ont pas de commissaires aux comptes. Un établissement qui passe aux RCE est obligé d’en avoir un. C’est un processus qui a été initié avec la LOLF. La Cour des Comptes certifie désormais les comptes de l’Etat. Là, on a la déclinaison pour les établissements d’enseignement supérieur. Et ceux-ci ont l’obligation de faire appel à un commissaire aux comptes pour vérifier la régularité, la sincérité, l’image fidèle du patrimoine et la situation financière de l’établissement. L’objectif principal de la certification des comptes est de mieux identifier les risques financiers. Le commissaire aux comptes veille à ce que ces risques sont bien pris en compte.

Les perspectives pour l’EHESS dans le contexte de la LRU et des RCE

Le premier point est qu’il ne peut y avoir de passage aux RCE sans vote des instances. Nous sommes Grand établissement, nous n’avons pas d’obligation, à l’inverse des universités, à passer aux RCE au 1° janvier 2012. Les établissements d’enseignement supérieur Grands établissements, peuvent passer aux RCE, mais c’est sur délibération des instances concernées. Donc, si le vote est défavorable, on reste dans le régime actuel. Si, au contraire, à l’issue de la discussion, si le président décide qu’il y ait vote, et si celui-ci est favorable, une phase de préparation va s’engager. Elle est obligatoire. On ne passe pas comme ça du jour au lendemain aux compétences élargies sans se préparer.

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Christophe Pebarthe, MCF à Bordeaux III, bureau national du SNES-UP

Si je suis ici, j’imagine, c’est en partie parce que je suis un élu d’un Conseil d’Administration (CA) à l’université de Bordeaux-III, et que je suis aussi un membre de la direction nationale du Snes-Sup. C’est donc à ce double titre que je suis là et aussi, sans doute, comme vous tous, c’est à dire en tant qu’universitaire qui croit à la collégialité.

Un universitaire qui se retrouve, au hasard des calendriers électoraux d’une université dans un CA où, petit à petit, il apprend, sans aucune formation préalable, le mécanisme interne des universités. Ce qui passe notamment par l’apprentissage d’un vocabulaire qui nous semble parfois un peu jargonnant, dans lequel souvent le personnel administratif semble, je dis bien : semble, nager comme des poissons dans l’eau alors que nous sommes rapidement perdus. D’où cette tentation qui nous guette, qui est un risque pour la collégialité, de déléguer au personnel administratif toutes ces compétences, parce qu’on se dit : « nous, on n’y arrivera jamais et puis, après tout, le cœur de notre métier – comme on dirait dans l’entreprise, enfin, pardon, dans l’université -, c’est l’enseignement et la recherche. Donc, à partir de ce moment là, tout ça, autant s’en débarrasser le plus vite possible."

Une « anecdote » riche d’enseignement sur la nécessité de maîtriser les vocabulaires spécialisés de la gestion comptable des universités pour savoir ce que les mots veulent (vraiment) dire.

Alors, en guise d’entrée en matière, je commencerai par évoquer les petites joies que réserve la participation à un CA. Je prendrai comme exemple celui du 18 décembre 2009 à Bordeaux-III où nous votions le budget. La nouvelle agent comptable nous a présenté à cette occasion tous les avantages de la comptabilité analytique, etc. On avait des beaux camemberts exposés en Powerpoint. Cela fait aussi partie des joies des conseils d’administration. On est évidemment encore plus gênés d’intervenir face à tant de données qui nous arrivent dessus. Car, en général, les documents vous sont transmis un à deux jours avant la tenue du CA. Et puis arrive un dernier camembert qui était censé nous démontrer véritablement les mérites de la comptabilité analytique, qui nous montrait comment on dépensait l’argent à Bordeaux-III. Je n’ai gardé qu’un seul pourcentage en mémoire. Ainsi donc, après avoir passé différents postes en revue, on voit soudainement apparaître quelque chose de dérisoire sur ce camembert. La valeur affichée était de 1% et le poste concerné était celui de la « diffusion du savoir ». Je me suis un peu inquiété en disant : « mais qu’est-ce que c’est que ce 1% ? ». J’ai craint qu’un contribuable malencontreux soit présent dans la salle et, voyant cela, se dise : « mais qu’est-ce que c’est que cette université qui ne consacre qu’un pour cent de ses ressources à la diffusion du savoir ? ». Je commence par là pour montrer justement à quel point un simple regard technique aurait suffi à dissiper cette question. Parce que j’imagine que cela correspond à une catégorie tout à fait intelligible et peut-être même intelligente, de la comptabilité analytique. Mais, du point de vue de l’élu au CA, enseignant-chercheur, l’idée que l’on puisse réduire à 1% et même à quelques pour cents que ce soient la diffusion du savoir dans une université, ça fait sourire. Mais en même temps cela permet, je crois, de mesurer tous les enjeux qu’il y a derrière, à travers tous les enjeux qui nous paraissent au départ comme étant des éléments techniques, juste une nouvelle façon en quelque sorte de compter ou de mesurer, alors que derrière cette apparence anodine se cachent des outils qui pourraient très rapidement se retourner contre nous. Je vous laisse imaginer ce qui se passerait si un journaliste malencontreux, de TF1, par exemple, tombait sur ce 1%. Vous voyez tout à fait le reportage que l’on pourrait faire sur le thème : « mais qu’est-ce que c’est que l’université de Bordeaux-III qui ne consacre que 1% à la diffusion du savoir ? ». C’est effectivement un document officiel, affiché.

Les enjeux de vocabulaire dans la « réforme » de l’enseignement supérieur et de la recherche : le passage aux RCE

Donc, ce que je dis là, c’est presque sous la forme de l’anecdote, mais je crois que ça montre bien que derrière tous ces éléments il y a des enjeux et des enjeux de vocabulaire. Et c’est peut-être par là que je vais commencer. Alors, comme pour d’autres choses, l’autonomie des universités, ce sont encore les présidents qui en parlent le mieux, j’ai donc pris un document merveilleux, qui s’appelle « autonomie de l’université de Franche-Comté – Acte 1 »[1]. C’est Claude Condé, président de l’université de Franche Comté qui célèbre le passage de son université aux responsabilités et compétences élargies. Je vous conseille de lire cette première page. C’est relativement court mais ce n’est vraiment que du bonheur puisqu’il nous apprend que, je cite : « ce n’est que sous la pression que la possibilité de passer aux possibilités et compétences élargies a été étendue à l’ensemble des universités ». Donc ce je ne sais quelle pression il évoque ici, mais il se félicite que finalement il y aurait eu un mouvement dans les universités qui aurait demandé que ce statut merveilleux de responsabilités et compétences élargies qui, au début, était réservé à quelques universités d’élite, soit enfin accordé à toutes les universités, puisque, vous le savez, par le miracle de la démocratie universitaire, toutes les universités doivent passer aux responsabilités et compétences élargies, mais en les votant. Cela s’appelle le centralisme démocratique, mais cela nous semble tout à fait normal à l’université de devoir voter quelque chose qui est imposée, puisqu’à chaque fois on nous dit : « vous n’avez pas le choix. La date limite est le 1° janvier 2012 ». Il se développe donc une course à l’échalote qui consiste justement, à ne pas être le dernier à y passer et à montrer qu’on est plus fort et que l’on va y passer avant, et cela nous conduit à mon premier point de vocabulaire : c’est tout ce qui concerne cette aptitude à passer. C’est à dire que, au fond, il y a une volonté dans le vocabulaire, de nous dire qu’en quelque sorte il y a ceux qui traînent. Comme dirait Philippe Jacqué, dans Le Monde, les facultés de sciences humaines qui sont toujours à la traîne, qui ne sont pas encore passées aux responsabilités et compétences élargies, et puis ceux qui ont pris le virage de la modernité, ceux qui savent identifier les enjeux et qui vont être aptes. Et donc, à chaque fois que l’on nous présente ce passage aux responsabilités et compétences élargies, c’est toujours mis sur ce plan positif, avec une sorte de préparation, avec une sorte de jargon sportif qui, maintenant, est devenu une sorte de modèle absolu : on se prépare et on va gagner la compétition qui se présente à nous. Ce qui est très intéressant car, lorsqu’on se demande si l’on est apte à passer aux RCE, on pourrait aussi se demander tout simplement, avant même de passer aux RCE, si on est apte à remplir nos missions qui sont celles reconnues dans la loi LRU, à savoir : l’enseignement et la recherche en premier lieu. On pourrait par exemple regarder le taux d’encadrement à la fois administratif et des personnels. On va s’appuyer, pour le faire, sur un rapport du Sénat – vous voyez ce sont des sources officielles -, juin 2008, qui compare la France avec les pays de l’OCDE. Là on y apprend que, dans les pays de l’OCDE, pour un enseignant on a deux personnels administratifs, et pour la France on a deux enseignants pour un personnel administratif. Donc vous voyez, en bons gestionnaires que vous êtes, vous vous diriez : « commençons par régler ce problème ». Commençons par régler le sous-encadrement administratif qui est criant, qui est mesuré et connu, avant éventuellement d’imposer de nouvelles charges administratives en modifiant le statut. Parce que ce statut nouveau implique des charges nouvelles, donc du travail en plus, donc des recrutements nouveaux. Ça veut dire qu’aujourd’hui à l’université on « muscle », comme on dit – notez l’influence de ce vocabulaire – la DRH, les services financiers, qui sont de plus en plus musclés, pendant que dans nos UFR et ailleurs nous manquons de personnel et nous pleurons pour essayer de recruter des CAE, des CDD ou des CDI, puisque ça fait partie des joies de l’université.

Donc ça, c’est un fait, en quelque sorte. Or, le jeu de vocabulaire permet de l’oublier pour se dire qu’il y a un nouvel enjeu à dépasser. Ce nouvel enjeu, c’est être responsable et être compétent, enfin « élargi ». Et donc, on met de côté les problèmes récurrents de l’université que tout le monde connaît, qui devraient être les premiers dossiers à traiter par tout nouveau gouvernement digne de ce nom. Puisqu’ils ne cessent de dire qu’ils vont s’occuper de l’université – parfois, on souhaite qu’ils s’en occupent le moins possible -, la meilleure chose à faire serait de régler ces problèmes.

A l’université Bordeaux-III, grâce au bilan social, on a découvert que chez nous, c’était encore mieux parce que nous étions à 72% d’enseignants sur le total. C’est passé en CTP et un certain nombre d’organisations syndicales BIATOSS ont fait cette remarque de bon sens en disant : « ben finalement, il y a un peu trop d’enseignants à Bordeaux-III » puisque les pourcentages l’établissent. Et donc, à chaque départ à la retraite ils ont dit qu’il serait bon d’envisager éventuellement de transférer le poste d’enseignant au poste Biatoss pour revenir aux 66% qui sont notre norme française. Et vous savez combien nous tenons à notre identité française !

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