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"Entre ellipse et utilitarisme : le rapport d’étape du CDHSS" - un texte sur le site de Papera (2010)

vendredi 22 janvier 2010, par Laurence

[Notes de SLU. Ces remarques émanent de Frédéric Delarue, qui se présente à la fin du texte, et figurent sur le site du collectif PAPERA]

Le Conseil pour le développement des humanités et des sciences sociales, installé le 2 septembre 2009 par Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a publié un rapport d’étape.

A sa lecture, quelques remarques d’ensemble s’imposent.

Ce long rapport compulsé cette semaine n’est guère encourageant pour les Sciences Humaines et Sociales (SHS) puisque l’approche managériale a évincé toute approche épistémologique. Ainsi, le souci de l’employabilité des diplômés en SHS, la maquette des enseignements et la polyvalence (non plus simultanée mais étalée sur l’ensemble de sa carrière) de l’enseignant-chercheur entre administration, enseignement. et chercheur au fil de sa carrière semblent être les seuls soucis de ses auteurs. On aboutit donc à de curieuses assertions.

p.9 : "ce qu’elles [les SHS] perdent en nombre, elles le gagnent en prestige : si l’on pense aux écoles normales, aux instituts d’études politiques et aux écoles de commerce (où non seulement les sciences sociales mais aussi les sciences de l’homme jouent un rôle toujours plus important dans la formation) ".

Concernant les écoles de commerce, l’analyse ne paraît pas vérifiée par les faits à moins qu’à l’exemple du rapport, on inclut la gestion dans les SHS (cf p.2), auquel cas, le droit, la gestion, l’économie (micro plus que macro) figurent bien entendu parmi les enseignements dispensés aux étudiants des écoles de commerce. D’ici à globaliser et même à évoquer un statut rehaussé des SHS, il y a un fossé qui relève au mieux de la métonymie ou pire de l’amalgame douteux.

p.59 : " L’âge de sortie du docteur en SHS sur le marché du travail est environ de 30 ans […] alors que les diplômés des écoles sortent à 23 - 25 ans. Ce peut être dramatique pour certains étudiants qui risqueront de devenir des intellectuels précaires. C’est aussi très onéreux pour la société qui paient des formations très longues, pour des gens qui cotiseront peu, ce qui est mauvais pour les caisses de retraite, et pour les individus eux-mêmes. Par ailleurs, et c’est important, une réduction du nombre de doctorants permettrait de consacrer plus de temps à chacun d’entre eux, de les placer dans une relation plus proche de l’égalité avec les enseignants, comprenant par exemple de véritables collaborations en vue de publication".

Plusieurs remarques me viennent ici à l’esprit : en SHS, il est d’usage de chercher à financer un doctorat par un poste dans l’enseignement secondaire ; les conditions d’exercice de plus en plus difficiles du professeur de collège ou de lycée ne facilitent pas les choses. L’argument des cotisations de retraite et d’assurance sociale renvoie à un problème démographique bien connu et prévisible (le baby boom de 1943 à 1964), mal anticipé par les différents gouvernements alors qu’il eût été souhaitable d’augmenter raisonnablement les cotisations retraite et mutuelle des fonctionnaires comme des salariés dès la fin des années 1980 afin d’abonder des fonds de garantie idoines . Cela n’a pas été fait pour des raisons politiques et imputer à des doctorants en SHS le tort d’être trop nombreux dans ces filières, donc trop peu nombreux sur le marché du travail, s’inscrit dans une approche à courte vue. En revanche, l’idée d’un surcoût important pour la société relève cette fois-ci de la diffamation pure et simple dans la mesure où ne sont pas ici pris en compte la valeur ajoutée créée par l’activité des doctorants en SHS et moins encore le très faible taux d’encadrement professoral des doctorants en SHS (on compte jusqu’à 20 doctorants par directeur de thèse). Il est par conséquent difficile d’imputer aux doctorants en SHS non financés un surcoût et encore moins aux doctorants financés qui doivent une quotité de service d’enseignement et rendent régulièrement compte de leurs travaux. La fin de l’argumentation prête plus à sourire si l’on songe à cette vénérable Charte des Thèses pensée dès 1995 et adoptée en 1998 et jamais révisée depuis.

Sur les finalités de ce rapport d’étape, je vous invite à vous reporter à la p.102 intitulée " Les SHS et la chance à saisir du Grand Emprunt " pour voir s’esquisser les linéaments du futur rapport final qui sera rédigé par le Conseil pour le développement des humanités et des sciences sociales à l’intention du ou de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche alors en poste.

En définitive, je reste confondu par le flou de l’épure et probablement par la volonté d’adéquation entre un abandon par l’État de pans entiers de la recherche publique (habilement déguisé par un saupoudrage dont le Grand Emprunt résume bien l’esprit) et des SHS dont l’emprise sur la Cité est chaque jour moins perceptible. De ce point de vue, la cécité du rapport reflète, semble-t-il (du moins en jugé-je par mon expérience personnelle), celle de nombreux enseignants-chercheurs en SHS qui n’ont pas (encore) pris la mesure de la débâcle qui s’annonce. Dois-je dire, en guise d’épigone, qu’étudiant en SHS depuis 1996, certifié depuis 2003, je n’ai pas reconnu la spécificité des SHS dans ce rapport ?