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Patrick Baranger : « Les concours enseignants doivent précéder l’entrée en master », LIAISONS Notre Banque, bulletin des sociétaires de la CASDEN Banque Populaire, avril 2009

dimanche 19 avril 2009, par Mathieu

Pour Patrick Baranger, Président de la CDIUFM, si le projet de masterisation cde la formation des enseignants passait en l’état, ce serait « mission impossible » pour les étudiants, futurs enseignants. Il nous explique pourquoi.

LNB : Etes-vous favorable au recrutement des enseignants à un niveau master ?

Patrick Baranger : C’est une revendication que la CDIUFM avait depuis plusieurs années, dès que le système LMD a été mis en place dans les universités. Cette revendication est un juste retour sur leurs études, qui durent 5 ans en tout, au minimum [ndlr : licence + année de préparation au concours + année de formation IUFM]. Cela permet aussi d’être en pahse avec l’Europe, et de favoriser la mobilité des enseignants : la plupart des pays européens recrutent leurs enseignants à un niveau master et non sur concours.

LNB : Faut-il parallèlement maintenir les concours nationaux de recrutement ?

P.B. : Oui, c’est une spécificité française, et c’est une spécificité républicaine : cela évite le favoritisme et protège les fonctionnaires. Tout en garantissant une qualité de recrutement. Nous sommes donc pour le maintien de ces concours.

LNB : Mais à quel moment devraient-ils avoir lieu dans le cadre du master ?

P.B. : Pour nous le concours devrait avoir lieu à l’entrée de la formation et non à la sortie. Cela donnerait une sérénité à la formation, qui ne serait pas possible par le bachotage au concours, et éviterait à beaucoup d’étudiants de s’engager dans des études longues et coûteuses sans être sûrs de l’issue. Il faut quand même garder en tête qu’aujourd’hui, en fonction des concours, on a un taux de réussite qui peut aller de près de 50% à 5% !

Nous sommes donc favorables au système que connaissent aujourd’hui toutes les grandes professions, médecins, juristes, ingénieurs… pour lesquelles le concours se passe avant la formation, qui du coup est beaucoup plus sereine, et peut être d’une grande richesse professionnelle et scientifique à la fois.

LNB : Votre proposition a-t-elle été retenue par le gouvernement ?

P.B. : Non, et je pense qu’elle n’a pas été retenue parce que dès qu’on est en situation de formation professionnelle dans l’Éducation nationale, on est rémunéré…

LNB : A quel moment va se dérouler la formation professionnelle dans le projet actuel du gouvernement ?

P.B. : Tout d’abord, la formation au métier d’enseignant ne peut passer que par l’alternance. Pour être complète, elle doit comprendre une formation disciplinaire, une connaissance du système éducatif, une formation aux gestes techniques du métier, une formation professionnelle proprement dite [qui permette une prise de recul sur sa pratique pour mieux la fonder rationnellement et déontologiquement] et une formation d’adaptation au poste de travail qui est le sien (un certifié dans un collège en banlieue difficile ne travaillera pas de la même façon que s’il est en terminale dans un bon lycée). Or ce qui est proposé aujourd’hui par le gouvernement, c’est un compagnonnage, qui devrait permettre au jeune enseignant, après le concours, d’acquérir les gestes du métier auprès d’un enseignant chevronné. Et ce sera en même temps sa formation d’adaptation au poste. L’acquisition des gestes du métier et la formation professionnelle proprement dite devraient s’intégrer au master dans le cadre de stages en alternance. Et non venir après.

LNB : Les modalités de ce compagnonnage ont-elles été clairement définies ?

P.B. : Il ne s’agit pas d’un réel compagnonnage, qui est normalement un travail du maître et de l’apprenti ensemble.
Ce qui signifierait que le jeune enseignant partagerait ses classes avec un enseignant chevronné. C’est loin d’être le cas : le jeune enseignant sera confronté d’emblée sans préparation aucune à ses classes, avec un enseignant chevronné comme tuteur.
Je vais vous donner une image : aujourd’hui, ce qui est proposé, c’est de plonger les gens dans le bain de la piscine sans leur avoir donné des leçons de natation, avec sur les bords de la piscine un nageur confirmé qui leur criera comment il faut faire. Un petit nombre s’en sortira, un petit nombre de noiera, et la probabilité de faire de la majorité de mauvais nageurs est réelle.

LNB : Dans un tel contexte, après le concours et à l’issue du master 2, sur quoi pourra reposer la procédure de titularisation ?

P.B. En fin d’année, on dira : bon pour le service ou pas bon. Il s’est noyé ou il ne s’est pas noyé.

LNB : Quel type de maquettes de masters pourriez-vous proposer avec la CPU ? Et le délai du 31 mars est-il raisonnable ?

P.B. : Le délai n’est pas tellement un problème. On sait de toute façon qu’il faudra passer par un temps d’expérimentation, car le produit livré devra être amélioré. Il le sera d’autant qu’il devrait y avoir télescopage d’éléments incompatibles dans le master enseignant : un master est une initiation à la recherche qui devra être combinée avec une préparation des concours, une formation professionnelle et une formation suffisamment généraliste pour permettre à ceux qui n’auront pas le concours de se réorienter. Tout cela sur deux ans…

LNB : Les jeunes ayant la vocation pour le métier ne risquent-ils pas d’être découragés ?

P.B. : En effet, il y a un risque que le vivier se tarisse. D’une part parce que l’issue est incertaine au bout de cinq ans d’études, avec un concours difficile que l’on n’est pas sûr de réussir. Et d’autre part parce que pour les élèves issus de milieux défavorisés, la longueur de la formation plus l’issue incertaine, risquent de décourager.

LNB : Quelle est la solution proposée par la CDIUFM ?

P.B. : Il faut impérativement réduire les objectifs du master d’enseignement de quatre à deux. Pour cela, il faut, je le répète, avancer le concours ; ainsi, on supprime d’un coup la préparation du concours en master 2, et la partie du master nécessaire pour une réorientation.

Faute de quoi, ce sera quasiment mission impossible.