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Chatel ou le syndrome de l’édredon - Libération, 6 septembre 2010
mardi 7 septembre 2010
Un an et demi après sa nomination, le ministre de l’Education nationale, accusé de sarkozysme aigu, est décrié par une profession qui se sent peu écoutée et méprisée.
« On doit être le seul pays au sein de l’Europe, et même de l’OCDE, à avoir un ministre qui, avant la rentrée, parle déjà de la réforme des sanctions. Alors que les élèves n’ont pas repris et que le règlement intérieur ne se change pas en cours d’année. Mais cela doit faire partie d’une stratégie globale de communication sur la sécurité, et puis cela évite de parler d’autres problèmes » : lors de sa conférence de presse le 30 août, Philippe Tournier, responsable du syndicat des proviseurs (le SNPDEN-Unsa), semblait trouver la ficelle un peu grosse. A une semaine de la rentrée, Luc Chatel, ministre de l’Education, occupait le terrain médiatique, parlant de tout - des rythmes scolaires, des conseils de discipline - sauf des sujets brûlants, telle la réforme de la formation des enseignants.
Infatigable. Un an et demi après sa nomination, Luc Chatel commence à agacer. Succédant à Xavier Darcos, dont les relations avec les syndicats étaient exécrables, il avait été bien accueilli, avec sa rondeur souriante et ses promesses de dialogue. Aujourd’hui, les plus indulgents reconnaissent quelques bonnes intuitions. Mais ils se moquent de sa frénésie d’« annonces » - parfois les mêmes répétées à quelques mois d’écart (son grand plan numérique pour l’école). Les autres parlent d’un « ministre-édredon », qui donne l’impression d’acquiescer lorsque vous lui parlez mais qui, dès que vous avez le dos tourné, reprend sa forme initiale et fait ce qu’il a décidé comme si de rien n’était.
La semaine avant la rentrée, le ministre, aussi porte-parole du gouvernement, a été infatigable. Un jour, il annonce le nombre d’établissements qui proposent cours le matin et sport l’après-midi. Un autre, il promet de multiplier les équipes mobiles de sécurité (EMS) dans les établissements les plus difficiles. Le 26 août, il fait même coup double. Le matin, il annonce qu’il veut systématiser les sanctions pour violence verbale, et l’après-midi, il part à Copenhague étudier les rythmes scolaires danois.
« Luc Chatel a sorti de son chapeau cette question des rythmes scolaires, explique Christian Chevalier, responsable du SE-Unsa, car c’est sa tactique : dès qu’il y a un creux, il essaie de l’occuper. »
« Heurts ». Le syndicaliste pointe ensuite les risques d’un double discours : « La méthode Chatel est alors : je lance le débat, je crée une commission comme pour les rythmes scolaires, et avant même ses conclusions, je commence à mettre en place les dispositifs que je veux retenir. » Le Snes est encore plus sévère. « Avec Luc Chatel, on ne sait pas ce qu’il pense lorsque l’on entre pour un entretien, et on n’en sait pas plus en sortant, explique Daniel Robin, cosecrétaire général. En fait, il n’y a pas vraiment de discussion. On a en face de soi le porte-parole du gouvernement qui dit : je suis là pour appliquer la politique de Nicolas Sarkozy. »
Au Snes, on en viendrait presque à regretter la brutalité d’un Xavier Darcos. « Au moins avait-on un interlocuteur en face de soi, souligne Frédérique Rolet, cosecrétaire générale. Il y avait des heurts, et après chacun cherchait des marges de compromis. »« Si Darcos cherchait à nous affaiblir par des affrontements, poursuit-elle, Chatel, qui nous reçoit très peu, le fait par la non-reconnaissance et une forme de mépris. »
Le Sgen-CFDT lui reconnaît une certaine ouverture. « Il est arrivé sans idée préconçue, souligne Thierry Cadart, son secrétaire général, et il a su voir certains blocages, au lycée notamment. Mais sa politique est contradictoire et aujourd’hui, il fait du sarkozysme aigu. Demain, si Nicolas Sarkozy voulait entraîner l’école dans ses dérapages sécuritaires, Luc Chatel saura-t-il s’y opposer ? » Ce sera le test du « ministre édredon », ou pas.
Voir en ligne : http://www.liberation.fr/societe/01...