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Entre austérité et « modulation », les universités sous contrainte - Les invités de Mediapart, 16 décembre 2013

mercredi 18 décembre 2013

A l’heure des restrictions budgétaires, Claudine Kahane et Marc Neveu, co-secrétaires généraux du Snesup-FSU, s’alarment du maintien de la « modulation » des horaires des enseignants-chercheurs, qui conduira selon eux à la hausse de la durée d’enseignement par rapport à celle de recherche.

Les difficultés budgétaires qui se sont développées, à des degrés divers, dans toutes les universités depuis la prétendue autonomie, instaurée en 2007 et confirmée par la loi votée en juillet 2013, témoignent qu’il s’agit, non de situations conjoncturelles isolées, mais d’une austérité générée et entretenue structurellement. L’Etat, en transférant les charges qui lui incombaient – principalement la masse salariale – vers les établissements, et en ne finançant que partiellement ce transfert, rend inéluctable l’appauvrissement des universités et la mise en œuvre de mesures d’austérité : des postes sont supprimés pour convertir la masse salariale en budget de fonctionnement ; au motif de sauver des formations, de multiples pressions sont exercées sur les enseignants pour qu’ils effectuent des heures gratuitement ou à coût réduit, les tailles des groupes d’étudiants sont augmentées, des enseignements sont supprimés ou mutualisés en dépit du bon sens pédagogique... Les étudiants en sont évidemment les premières victimes.

Les cas de souffrance au travail se multiplient dans un contexte fortement dégradé : concurrence permanente entre collègues, pressions hiérarchiques allant jusqu’à des « mises au placard » ; en recherche comme en enseignement, course épuisante – et bien souvent vaine – aux financements, surcharge et perte de sens du travail, face à des missions toujours plus nombreuses, morcelées, incohérentes ; droits bafoués, telles les mutations pour rapprochement de conjoints, devenues impossibles entre universités devenues « autonomes ».

C’est dans cette situation très tendue que les modifications du « décret statutaire », qui fixe les conditions d’exercice du métier d’enseignant-chercheur, vont être examinées.

Alors qu’il s’agit de la disposition qui avait « mis le feu aux poudres en 2009 », le projet du ministère maintient, et même renforce, la modulation des services, c’est-à-dire la possibilité de définir, pour chaque enseignant-chercheur, le nombre d’heures d’enseignement qu’il doit effectuer, à la hausse, ou à la baisse par rapport à une valeur de référence, qui correspond à un mi-temps recherche et un mi-temps enseignement. Dans une période de grandes difficultés budgétaires, la tentation de recourir à la modulation des services à la hausse, pour éviter de payer des heures supplémentaires, va évidemment augmenter considérablement, voire devenir irrésistible, pour les équipes dirigeantes des établissements.

La modulation place ainsi chaque enseignant-chercheur sous la pression d’équipes dirigeantes elles-mêmes sous contrainte budgétaire. Alors que les carrières, les primes, les conditions de travail de chacun-e dépendent de plus en plus fortement de décisions locales, ce n’est certes pas la clause « d’accord écrit de l’intéressé-e » qui pourra constituer un élément protecteur face à cette pression. En clair, des économies budgétaires seront faites, en augmentant la durée du temps de travail des enseignants-chercheurs, ou au détriment de leur activité de recherche et du lien formation-recherche, caractéristique de l’université.

Le refus de la modulation est aussi l’opposition à l’individualisation des conditions d’exercice d’un métier, auquel le statut national de fonctionnaire d’Etat apporte une garantie de liberté intellectuelle et d’indépendance, tant en enseignement qu’en recherche. Face à des choix sociétaux décisifs en matière de sources et d’économies d’énergie, à l’heure des scandales pharmaceutiques, qui pourrait nier l’importance d’une recherche publique indépendante des intérêts industriels ? Dans un contexte de misère sociale et d’inégalités grandissantes, où l’exacerbation des tensions et des replis fait craindre des reculs majeurs de la démocratie, qui démentira le besoin de formation à la pensée critique et la nécessité de la mise à disposition du plus grand nombre du savoir tout juste produit ?

Dotée des moyens de remplir ces missions, l’université peut ainsi contribuer à l’émancipation des individus vis-à-vis de tous les pouvoirs. Est-ce cela qui inquiète tant ? Est-ce cela qui explique un tel acharnement à écarteler le service public d’enseignement supérieur et de recherche entre Europe et régions, dans une organisation des lieux de pouvoir et de décision où les politiques élus sont remplacés par des technocrates et par des lobbys industriels ?

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