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Universités et entreprises : innover ensemble, Gilles Gleyze, directeur du développement de l’École Centrale de Paris, Les Échos, 31 octobre 2011

mercredi 2 novembre 2011

Pour dynamiser l’innovation, entreprises et universités apprennent à se connaître. Ces formats de coopération sont un préalable à l’« open innovation ».

De plus en plus, les entreprises franchissent le pas de l’innovation ouverte ou « open innovation ». Celle-ci repose sur le constat que l’innovation passe par le brassage de personnalités et d’idées différentes. Pour accroître la productivité d’une équipe de R & D, rien de tel que l’ouvrir à des chercheurs extérieurs qui n’auront pas peur de remettre en cause les idées reçues. C’est alors que la traditionnelle distance entre recherche académique et recherche industrielle, longtemps décriée, peut devenir un atout. Les chercheurs des universités et des écoles sont différents des chercheurs industriels : ils travaillent sur des sujets en amont ; dans des équipes plus petites ; parfois en francs-tireurs ; sans programmes prédéfinis ; sur des sujets jugés risqués ou aléatoires par les industriels ; ils visent à publier plus qu’à breveter.

Cette différence apparaît féconde ; c’est parce qu’ils sont différents que chercheurs universitaires et chercheurs industriels se complètent. Mais comment collaborer ? Il y a bien sûr le modèle traditionnel du contrat de recherche ; mais les chercheurs académiques s’en méfient parfois car il peut les transformer en simples sous-traitants. Et les industriels voient que le contrat est trop encadré pour permettre de vraies innovations. Alors il faut aussi innover dans les formes de partenariats. Les initiatives se multiplient : projets collaboratifs de type pôles de compétitivité ou projets européens ; chaires de moyens ; chaires de recrutement ; laboratoires mixtes ou localisés sur un campus ; instituts Carnot ; plus récemment instituts de recherche technologique et sociétés d’accélération du transfert de technologie (SATT).

Les chaires de moyens permettent aux chercheurs des entreprises d’associer des experts académiques à leurs travaux, sans les recruter. Les laboratoires mixtes ou localisés sur un campus cherchent de leur côté à mélanger chercheurs industriels et académiques. L’époque a beau être aux équipes virtuelles et aux laboratoires sans murs, rien de tel qu’un centre de recherche d’entreprise physiquement installé au coeur d’un campus pour décloisonner en profondeur. Par exemple, EDF prévoit d’installer une partie de ses équipes de R & D sur le futur campus de Paris-Saclay. Chercheurs d’horizons différents, cadres opérationnels et étudiants coexisteront dans un même espace. De même, l’Ecole centrale Paris prévoit d’installer un « science park » dans son futur campus de Saclay : il accueillera une dizaine de PME à forte intensité technologique, travaillant en synergie avec les équipes de recherche de l’Ecole.

Sur un modèle plus classique, les SATT et les instituts Carnot incitent les chercheurs académiques à collaborer avec les entreprises. Les instituts Carnot lient recherche appliquée et recherche fondamentale. Les SATT apportent aux chercheurs des ressources et des expertises pour breveter leurs inventions, les valoriser sous forme de contrats de licence ou création de start-up. Parfois aussi, l’entreprise construit elle-même une équipe de recherche de type académique, sur des thématiques qui l’intéressent. C’est le cas des chaires de recrutement. BNP Paribas, en créant en 2007 la chaire de finance quantitative à l’Ecole centrale Paris, a permis le recrutement de deux chercheurs académiques. Quatre ans plus tard, ces chercheurs ont capitalisé sur le financement initial pour réunir d’autres ressources, et bâtir une équipe de 12 personnes qui travaillent sur des sujets intéressant la R & D de BNP Paribas.

Alors comment identifier le bon dispositif dans un tel maquis ? Un facteur clef : la prise de risque. Les entreprises acceptent de s’engager sur des périodes qui leur semblent très longues, sans exiger de résultats. De leur côté, les académiques apprennent à discuter de leurs projets avec les industriels, à les modifier en fonction des attentes du marché si besoin. La réussite suppose la confiance ; le respect des spécificités de chacun ensuite. Les chercheurs universitaires n’ont pas vocation à se transformer en développeurs de produits industriels. Ils y perdraient ce qui fait leur force, la capacité à sortir des cadres imposés par les grands programmes de recherche industrielle. Le régime du mécénat, utilisé dans le cadre des chaires, facilite cette prise de conscience, car il interdit les contreparties ; l’université a une obligation de moyens, mais pas d’obligation de résultat. Le régime du mécénat amène les entreprises à comprendre les spécificités de la recherche universitaire.

Les divers dispositifs de coopération entre universités et entreprises transforment peu à peu le paysage de l’innovation en France. Ainsi, des dizaines de chaires voient le jour chaque année, drainant des sommes importantes. A Centrale Paris, elles représentent plus de 10 % du budget total de la recherche, contre 0 % il y a quatre ans. Des entreprises comme EDF ou PSA ont lancé des programmes systématiques de création de chaires, afin d’irriguer en amont leurs équipes de R & D. Le contexte réglementaire et fiscal est favorable : crédit d’impôt recherche ; déduction de 60 % des sommes versées au titre du mécénat. Les pouvoirs publics encouragent le mouvement. Ainsi l’Agence nationale pour la recherche vient-elle de lancer un appel à projet pour des « chaires industrielles ».

Mais comment les PME peuvent-elles bénéficier de cette dynamique sans se noyer dans la complexité des différents dispositifs ? Certains formats, tels que les chaires, leur sont difficilement accessibles ; d’autres sont en revanche conçus pour elles : le « science park » de l’Ecole centrale leur est destiné, les SATT visent largement à transférer la propriété intellectuelle vers les PME ou les start-up, les instituts Carnot distribuent un abondement supplémentaire en cas de contrat avec une PME. Il n’est reste pas moins que les dispositifs de coopération restent peu lisibles pour bien des PME, et surtout supposent de consacrer des ressources en temps souvent trop élevées pour un patron de PME.

Jusqu’où ira le mouvement ? Quand l’innovation arrive au stade du produit à breveter, les logiques propriétaires reprennent leurs droits. Même dans le mécénat, les entreprises attendent in fine un retour sur investissement. Mais un mouvement irréversible est lancé, qui amène à dépasser le vieux clivage français entre l’entreprise et l’université. L’« open innovation », c’est avant tout des gens qui se rencontrent et apprennent à travailler ensemble.

Sur le site des Échos