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Un « chercheur étranger » de moins au CNRS, Stéphane Foucart, Supplément Sciences et technologies du Monde, 29 octobre 2011

dimanche 30 octobre 2011

Cruelle collision de communiqués. Le 11 octobre, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) annonçait avec satisfaction qu’il venait d’accueillir « 373 nouveaux chercheurs, dont 117 chercheurs étrangers », fait illustrant l’« attractivité grandissante à l’international » du vaisseau amiral de la recherche française. Quelques jours plus tard, le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS) dénonçait l’attitude de la direction de l’organisme, l’accusant de « décourager les meilleurs scientifiques étrangers ». Le SNCS relatait la mésaventure d’une jeune chercheuse de nationalité argentine, en contrat post-doctoral au Laboratoire Aimé-Cotton (CNRS, université Paris-XI), qui vient d’être amenée à renoncer à son poste au CNRS. Le tract syndical intervenait un peu comme un rectificatif au communiqué de l’organisme : de fait, les chercheurs étrangers recrutés cette année au CNRS ne sont plus 117, mais 116...

Au printemps, la jeune physicienne se présente au concours de chargé de recherche au CNRS. Avec succès. Mais, fait très rare, son affectation au laboratoire Aimé-Cotton (LAC), au sein duquel elle a bâti son projet scientifique, lui est refusée. Pour comprendre l’émoi provoqué par la situation de la jeune chercheuse - la publication d’un communiqué par le SNCS, mais aussi le lancement d’une pétition de soutien en sa faveur -, il faut savoir que les scientifiques ne plaisantent pas avec les recrutements. Ces derniers se font au terme d’une procédure très formalisée, qui s’appuie essentiellement sur le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS). Cette instance d’évaluation est divisée en 40 sections disciplinaires, chacune étant composée de membres de la communauté scientifique - chercheurs du CNRS, mais aussi des universités ou d’autres institutions de recherche. Devant ses pairs, le jeune chercheur doit présenter les travaux qu’il a déjà publiés et être capable de se projeter en présentant un projet scientifique - sorte de programme de recherche qui doit s’inscrire dans la continuité du travail déjà accompli.

Soupçons de décision arbitraire

A l’issue de ce processus d’admissibilité par les pairs, un second jury examine les candidats sélectionnés et, la plupart du temps, valide les choix de la section. Habituellement, pour les disciplines expérimentales, les nouveaux recrutés sont intégrés dans le laboratoire sur lequel est appuyé leur projet scientifique. Cette fois, l’affectation « naturelle » de la chercheuse, au sein de l’une des équipes du LAC, est refusée. « Nous sommes donc dans une situation absurde, dans laquelle la chercheuse ne peut pas mettre en oeuvre le projet de recherche pour lequel elle a été recrutée », dit Christophe Blondel, chercheur dans une autre équipe du LAC et qui a été membre, huit années durant, du jury d’admissibilité au CoNRS. « C’est une situation véritablement exceptionnelle », ajoute-t-il. Pourquoi une telle décision ? Tout en reconnaissant son caractère inhabituel, la direction de l’Institut de physique - l’un des instituts thématiques du CNRS qui chapeautent le LAC - précise que les jurys de recrutement ne peuvent décider de la politique scientifique de l’organisme. « Nous avons considéré que la situation interne au LAC, dans un contexte de tensions liées au changement de direction, rendait inopportune l’affectation d’un chercheur titulaire dans ce laboratoire en 2011 », explique-t-on du côté de la direction.

L’argument ne convainc guère les chercheurs du LAC interrogés par Le Monde, qui suspectent une décision arbitraire favorisant l’une des équipes du laboratoire. « Si la non-affectation de cette chercheuse tient en effet à ces tensions, c’est une décision à géométrie très variable, siffle un physicien. Car un autre chercheur a été recruté cette année au laboratoire mais dans une autre équipe, avec un contrat qui devrait conduire à une titularisation. » « Si la situation est si insupportable dans notre laboratoire, pourquoi nous permettre d’accueillir encore des doctorants ? », interroge un autre.

Le CNRS précise avoir proposé quatre autres affectations à la physicienne, en adéquation avec son projet. Cette dernière les a déclinées, préférant renoncer à sa titularisation. Elle devrait rentrer dans son pays une fois son contrat courant au LAC parvenu à son terme.


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHAT...