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Laissez passer les illustres !… par Pierre Assouline, blog "La République des livres", 25 septembre 2011
mardi 27 septembre 2011
Mais qu’ont-ils tous à être gagnés par cette fièvre de l’évaluation ? On sait que l’exemple vient de haut ; le chef de l’Etat ayant lui-même impulsé ce syndrome de l’excellence en matière d’éducation, la culture a suivi. Ca s’est passé l’autre jour sous les lambris avec discours du ministre et réception à la clé. Et voilà nos bonnes vieilles maisons d’écrivains, charmantes et plus ou moins poussives (toutes n’ont pas le dynamisme de Malagar, certaines tiennent plutôt du reliquaire), engagées dans la course au label de référence Qualité Française. Ou plus exactement : « Maisons des illustres ». A priori un nouveau machin dont on dira, comme François Mauriac de l’eau de Lourdes, que si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal. Sauf qu’à l’examen, c’est (un peu) mieux sans pour autant favoriser les miracles ni transformer la bicoque d’un romancier jamais réédité en musée quatre étoiles d’un pléiadisé. Le label veut distinguer et valoriser. Et même mettre à l’épreuve car il faudra s’appliquer si l’on ne veut pas perdre l’autocollant, pardon, le logotype, que le ministre a mis sur la façade. Cela dit, halte au rêve, descendants d’illustres ! Au mieux, cette pure opération de communication, dont le principal résultat en vue est un effet d’annonce, s’étendra jusqu’à un éventuel agrément fiscal en cas de réparation de la toiture, mais elle ne se traduira pas par des subventions.
111 demeures ont été embarquées dans l’aventure (ici la liste complète). Elles répondent aux critères : ouvertes plus de 40 jours par an, elles ne recherchent pas avant tout un but commercial… On les dit donc remarquables par leur histoire et par ceux qui les ont habités, qu’elles soient maisons-musées ou maisons-archives, que le remarquable en question ait enrichi l’histoire politique, sociale ou culturelle de la France. Ce qui va de soi pour la Maison Elsa Triolet-Aragon à Saint-Arnoult-en-Yvelines, celle de Zola à Médan, de Clemenceau à Jard-sur-Mer, de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne) tout juste soustraite au pire, de la petite maison au bord de l’eau de Stéphane Mallarmé à Vulaines-sur-Seine, de celle Tante Léonie à Illiers, de la Tour de Montaigne, ou du petit vallon des Charmettes cher à Jean-Jacques Rousseau et Frédéric Mitterrand. Il s’en trouvera toujours pour se demander ce que Charles Trenet, Tino Rossi, Christian Dior et le concepteur du canal du Midi font là. Ou pour faire observer que la maison du Docteur Dugoujon à Caluire, où Jean Moulin fut arrêté, est plutôt un lieu de mémoire. Ou pour s’indigner (à juste titre !) que dans le dossier de presse, le salon mauresque du château de Monte-Cristo (Port-Marly) cher au cœur d’Alexandre Dumas soit attribué à « des artisans tunisiens » (ce qui était le cas à l’origine, l’écrivain ayant sollicité le Bey de Tunis à cet effet) alors qu’une plaque y rend hommage au mécénat de Sa Majesté Hassan II dont les artisans ont restauré et refait le fameux salon salon… Mais là où ça menace déjà, c’est lorsque la notion est étendue à « des maisons où l’on a donné carte blanche à un artiste pour imaginer un dispositif qui en évoque l’esprit d’une manière nouvelle ». En toutes choses, quand il y a du dispositif dans l’air, c’est mauvais signe. Le label, c’est la solution. Alors, le problème ? Qui dit sélection dit subjectivité, exclusion, réaction. Une maison, on voit à peu près ce que c’est. Mais un illustre ? Pas un grand, un célèbre, un classique : non, un illustre. Apposée à l’entrée de La Boisserie (Colombey-les-deux églises), la plaque fait euphémisme, fût-elle un sceau en Garamont. L’exclusion fera des malheureux. S’ils se taisent, d’autres parleront pour eux. Ceux qui n’ont aucun intérêt dans l’affaire sinon à défendre un principe, une mémoire, une idée. Ecrivains et intellectuels sont là pour cela.