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"Les conditions d’insertion professionnelle se sont détériorées" pour les non diplômés - Virginie Mora, chercheuse au Centre d’études et de recherches sur les qualifications, Le Monde, 12 juillet 2011
mardi 12 juillet 2011
En 2011, 85,6 % des candidats au baccalauréat l’ont obtenu. Le taux de réussite au bac général atteint 88,2 % d’admis, 82,3 % au bac technologique et 83,6 % au bac professionnel. Le taux de réussite atteint, en réalité, 100 % après un deuxième essai, voire un troisième. Ce qui veut dire que les jeunes qui n’obtiennent pas le bac sont… ceux qui n’y accèdent pas, ceux qui ne sont jamais arrivés jusqu’à la classe de terminale. Virginie Mora, chercheuse au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), dresse le portrait, contrasté, des "sans bac".
Combien de jeunes quittent le système scolaire sans un niveau de qualification reconnu ?
Virginie Mora : Les jeunes qui sortent de l’école sans aucun diplôme sont estimés à 120 000 chaque année, soit 17 % de ceux qui se présentent pour la première fois sur le marché du travail. Ce sont deux tiers de garçons, un tiers de filles. Leur nombre et leur répartition semblent stables depuis les années 1990.
Quand et pour quelles raisons interrompent-ils leur scolarité ?
Sur les 120 000 jeunes, environ 18 000 arrêtent au collège, parfois dès la 4e mais surtout en 3e, la majorité d’entre eux avant de passer le brevet. Trente mille "décrochent" en première année de CAP (certificat d’aptitude professionnelle). Restent 72 000 adolescents : ceux qui quittent le lycée en deuxième année de CAP, mais sans l’avoir obtenu. On pense que les difficultés qu’ils rencontrent sont multifactorielles.
Environ 50 % ont des problèmes d’apprentissage, cognitifs, qu’ils traînent depuis l’école primaire, auxquels se greffent des tensions familiales, des obstacles financiers, des problèmes d’orientation, des difficultés à se réinscrire dans la filière choisie ou dans l’établissement souhaité… On sait que les décrochages se font moins en cours d’année qu’au moment de la réinscription, entre le début de l’été et la rentrée de septembre.
Parviennent-ils à s’insérer sur le marché du travail ?
Très mal. Au bout de trois ans de vie active, moins de six de ces jeunes sur dix ont un emploi. Après trois ans, 58 % seulement travaillent : c’est un laps de temps considérable pour trouver un emploi. Ils connaissent un taux de chômage de 27 %. Autrement dit, les non diplômés sont deux fois plus au chômage que les autres.
Autant le nombre de jeunes non diplômés est resté constant, autant leurs conditions d’insertion professionnelle se sont détériorées, en particulier pour les garçons. C’est en bonne partie lié à l’évolution, rapide, du système d’emploi, à la décroissance des recrutements sur les emplois non qualifiés (les emplois industriels principalement). C’est aussi une question d’image : notre regard sur les métiers non qualifiés a changé ; ces emplois sont de plus en plus stigmatisés.
Parmi les "sans bac", il y a les jeunes diplômés d’un BEP (brevet d’études professionnelles) ou d’un CAP, nombreux eux aussi ?
Ils sont eux aussi environ 120 000 à quitter le système scolaire chaque année, plutôt avec un CAP qu’un BEP, ce dernier ayant pratiquement disparu en tant que tel avec la réforme de la voie professionnelle en 2008 [le BEP est devenu un "diplôme intermédiaire" passé en "contrôle en cours de formation", proche du contrôle continu].
Les effectifs comprennent en moyenne 40 % de filles et 60 % de garçons, avec de fortes disparités en fonction des filières. Dans cette catégorie, les enfants d’ouvriers sont surreprésentés. Les deux tiers soutiennent qu’ils n’ont pas "poussé" jusqu’au bac parce qu’ils avaient envie d’entrer immédiatement dans la vie active. La moitié affirme "avoir atteint le niveau d’études souhaité". Près de 40 % évoquent une forme de lassitude.
Leur insertion professionnelle est-elle plus facile ?
Après trois ans, 76 % d’entre eux travaillent, ce qui est plutôt rassurant. Leurs conditions d’emploi ne sont pas fondamentalement différentes de celles des bacheliers dans les premières années de leur vie active : ils ne sont pas moins bien payés, ils ne travaillent pas davantage en temps partiel...
La vraie différence en termes d’insertion professionnelle se joue entre les filières industrielles et les filières tertiaires. Un jeune diplômé d’un CAP dans les filières industrielles connaîtra un taux de chômage moins élevé (15 %) qu’un bachelier professionnel dans les filières tertiaires (16 %).
Comment les jeunes qui n’ont "que" le bac s’en sortent-ils ?
Près de 40 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché de l’emploi avec "seulement" le bac général. Plus de 9 sur 10 ont en réalité intégré l’enseignement supérieur, mais l’ont quitté avant l’obtention de la licence. On dénombre 60 000 jeunes avec le baccalauréat technologique. Eux aussi se sont très massivement portés vers l’enseignement supérieur (85 %), intégrant plutôt un BTS (brevet de technicien supérieur), sans succès.
Enfin, il y a les 80 000 bacheliers professionnels. Parmi eux, seule la moitié a tenté sa chance dans le supérieur, en BTS là aussi, sans décrocher de diplôme. Après trois ans sur le marché de l’emploi, 74 % de ces bacheliers travaillent… ce qui n’est finalement pas très différent de ce qu’on perçoit dans la population adulte en général.
Parmi ceux qui ont trouvé un emploi, les bacheliers professionnels sont ceux qui s’en sortent le mieux : la part des CDI atteint 68 %, alors qu’elle n’est que de 50 % pour les bacheliers généraux et technologiques. Le temps partiel "subi" est moins important pour les bacheliers professionnels. En revanche, pas – ou peu– de différence en termes de salaire : c’est le smic pour les trois bacs !
Propos recueillis par Mattea Battaglia
Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/ecole-primair...