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La direction de Normale Sup envisage d’interdire certains débats politiques - Lucie Delaporte, Mediapart, 25 février 2011

dimanche 27 février 2011

L’école Normale Sup ne souhaite plus accueillir le débat politique dans ses murs. Après l’interdiction très critiquée, le mois dernier, d’une conférence-débat avec Stéphane Hessel sur la campagne de boycott des produits israéliens fabriqués dans les territoires occupés, la direction de l’ENS de la rue d’Ulm a décidé de convoquer, lundi 28 février, un conseil d’administration extraordinaire pour statuer sur la tenue de « réunions publiques à caractère politique » dans l’école.

Il s’agit, selon le texte obtenu par Mediapart et qui sera débattu lors de ce conseil d’administration (le texte est à lire ici), d’encadrer une longue tradition de l’école qui a toujours accueilli les multiples expressions du débat politique français, même les plus radicales, depuis la fin du XIXe siècle. L’école de Jaurès, Péguy, Sartre, Aron, Badiou et Balibar n’entend en tout cas plus servir de « caution à des causes extérieures à ces missions », selon l’expression de sa directrice Monique Canto-Sperber.

Alertés tardivement de la tenue de ce CA, une trentaine d’élèves de l’ENS se sont réunis en assemblée générale, mardi en fin d’après-midi. Une élève militant au sein du collectif Palestine-ENS a expliqué qu’à la suite de « l’affaire Hessel », la direction avait voulu montrer des signes d’apaisement. « Nous avons été reçus par trois membres de la direction qui nous ont assuré qu’il n’avait jamais été question de nous censurer, que tout cela relevait du malentendu », a-t-elle expliqué.

Mais lorsque ces mêmes élèves ont présenté, quelques jours plus tard, un programme de débats pour la semaine du 8 au 15 mars lié à la Israel Apartheid Week, le refus a été immédiat. « Nous leur avions pourtant proposé d’inviter pour cet événement n’importe quelle personnalité de leur choix pour respecter une certaine pluralité. Cela a été refusé. Je crois que c’est la Palestine qui pose problème », estime cette élève membre du collectif.

Tous ont évoqué la traditionnelle ouverture de l’école aux questions politiques. « Pendant la campagne des régionales, il y a même eu un meeting du Front de gauche à l’ENS », rappelle François Avisseau, élu CGT au CA, qui cite l’article 811-1 du code de l’éducation, selon lequel l’expression politique est un droit dans l’établissement. « On nous a déjà indiqué qu’il y aurait des possibilités de dérogation. Sur quels critères ? Ce sera laissé à la libre appréciation du prince ou, en l’occurrence, de la baronne », tranche un élu du CA. « Tout cela donne l’impression d’être fait en catimini et à toute vitesse », estime de son côté Sandro Franceschi, représentant de Sud-Etudiant.

Manifestation lundi devant le rectorat

Après plusieurs jours d’une vaine attente pour obtenir le texte qui sera débattu lundi, les élèves ont finalement été reçus par Monique Canto-Sperber. « Nous sentions que nous avions besoin de règles. Un consensus s’est dégagé sur la question. Il fallait faire un texte qui résumait nos conclusions et tienne compte des caractéristiques de l’école qui n’est pas un établissement comme les autres », a expliqué la directrice, tout en refusant toujours de communiquer ce texte. Monique Canto-Sperber a insisté sur le fait que ces nouvelles dispositions concerneront « les réunions publiques et pas celles organisées par les élèves... Disons qu’il s’agit des réunions qui ont vocation à réunir un large public ».

« Vous serez donc seule juge ? », a lancé un élève dans la salle.

« Rien n’est tranché à ce jour mais nous avons pensé qu’il serait bon d’avoir une petite cellule pour statuer », a répondu la directrice.

« Pourquoi avoir interdit la tenue de conférences à l’occasion de l’Israel Apartheid Week pourtant proposées par des élèves et des profs ? », répète cette militante de Palestine-ENS.

« Je ne souhaite pas faire une réponse individuelle, explique la directrice. La conférence n’est pas interdite, simplement, nous ne souhaitons pas l’accueillir. L’Israel Apartheid Week est un groupe de pression international qui veut promouvoir le boycott des universitaires israéliens. Il est essentiel que l’école ne soit pas instrumentalisée pour quelque cause que ce soit. L’école a un rôle dans la vie intellectuelle. Elle est utilisée comme caution, vous le savez bien. »

« Pourtant l’an dernier vous avez accueilli la conférence intitulée “Comment le sionisme légitime l’Etat d’Israël” et la plupart des personnes présentes n’étaient pas de l’école », affirme un élève.

« Il s’agissait de répondre aux livres de Shlomo Sand, dont les thèses sont extrêmement contestables d’un point de vue scientifique, dit alors la directrice. Les élèves voulaient étudier les bases théoriques du livre de Shlomo Sand... Qu’on organise un débat où il y aura une certaine diversité de points de vue ! Je ne mets pas de barrières à la réflexion politique mais avec un souci de connaissance et d’approfondissement. »

« Que vous le vouliez ou non, ni vous ni personne n’empêchera la liberté d’expression dans cet établissement », prévient François Avisseau, élu CGT au conseil d’administration. Une manifestation est prévue lundi matin devant le rectorat où doit se tenir le conseil d’administration.


Voir en ligne : http://www.mediapart.fr/journal/cul...