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La directrice des Archives nationales limogée - Florence Evin et Thomas Wieder, Le Monde, 23 février 2011

mardi 22 février 2011

Si aucun communiqué officiel n’était encore publié, mardi 22 février dans la matinée, le signe ne trompe pas : quand Isabelle Neuschwander, samedi 19 février, a quitté son bureau, des cartons plein les bras, a déposé ses clés chez le gardien, puis a lancé un laconique "adieu !" à ses collaborateurs, tout le monde a compris que les Archives nationales n’avaient plus de directrice.

Lundi 21 février, après un week-end où les téléphones ont beaucoup sonné, les personnels étaient partagés entre colère et stupéfaction. Apprenant qu’Isabelle Neuschwander avait été convoquée, vendredi 18, par le directeur du cabinet du ministre de la culture pour se voir signifier sa révocation, l’intersyndicale (CFDT-CFTC-CGC-CGT) des Archives nationales a dénoncé un "limogeage", une "décision politique" visant à "décapiter" l’institution. Mme Neuschwander, que ses proches jugent très affectée, n’a pas souhaité s’exprimer.

Qu’est-il reproché à cette femme de 53 ans, qui dirigeait les Archives nationales depuis février 2007 ? Au ministère de la culture, on jure que sa "compétence" n’est "pas en cause", mais qu’il "fallait remettre de l’autorité à la tête des Archives". Une façon de dire que sa directrice en manquait.

L’histoire est un peu plus compliquée. Depuis le 12 septembre 2010, date à laquelle Nicolas Sarkozy a annoncé l’installation de la future Maison de l’histoire de France sur le site parisien des Archives nationales, Isabelle Neuschwander se trouvait dans une situation inconfortable. Si elle n’a jamais dérogé à son devoir de réserve, allant même jusqu’à demander, à la dernière minute, le retrait d’une tribune au ton pourtant mesuré qu’elle s’apprêtait à publier dans Le Monde, elle n’a jamais manifesté d’enthousiasme à l’égard du projet présidentiel.

Au ministère de la culture, cette ancienne élève de l’Ecole des chartes, entrée aux Archives nationales en 1990, a vite été considérée comme une alliée objective des personnels qui, pendant 134 nuits, ont occupé l’hôtel de Soubise, le bâtiment le plus emblématique du "quadrilatère historique" des Archives nationales, dans le quartier du Marais, pour protester contre l’arrivée en ces lieux de la Maison de l’histoire de France.

"On reproche à Isabelle Neuschwander de n’avoir pas su éteindre un incendie que d’autres ont allumé", résume un connaisseur du dossier, pour qui "il est facile de critiquer son soi-disant manque d’autorité, alors que le problème est plutôt celui de l’autoritarisme d’un gouvernement qui a agi à la hussarde dans cette affaire de Maison de l’histoire de France."

"MME PIERREFITTE"

Depuis quelques mois, Isabelle Neuschwander se savait sur un siège éjectable. Elle se doutait qu’elle paierait un jour ses relations exécrables avec Hervé Lemoine, directeur des Archives de France depuis février 2010 et par ailleurs auteur, en 2008, du tout premier rapport consacré à la Maison de l’histoire de France.

Personne, toutefois, n’imaginait que son mandat s’achèverait si précipitamment – la méthode est rare au ministère de la culture. Car Mme Neuschwander était avant tout la femme d’un vaste projet de modernisation des Archives nationales, en cours de finalisation. Un projet qu’elle pilotait depuis 2001, à l’époque comme secrétaire générale de l’association Une cité pour les Archives nationales, présidée par l’historienne Annette Wieviorka. Un projet qui doit notamment conduire à l’ouverture, début 2013, d’un troisième site, en plus de ceux de Paris et de Fontainebleau, à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis).

"Quand je suis ici, je revis, j’oublie tous mes soucis", nous confiait Isabelle Neuschwander, casque vissé sur la tête, lors d’une visite du chantier de Pierrefitte, le 14 janvier. "Mme Pierrefitte", comme certains l’appelaient tant elle était habitée par ce projet, n’inaugurera donc pas le bâtiment, dont elle suit la construction depuis l’origine.

Son départ est-il, comme beaucoup le craignent, une remise en cause du projet ? "En aucun cas", assurait Hervé Lemoine au Monde, lundi soir, en précisant qu’un nouveau directeur – "quelqu’un qui devra travailler en bonne entente avec nous" – devrait être nommé "d’ici à la fin de la semaine".


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/culture/artic...