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Défendons la maternelle - Un collectif de syndicats enseignants et d’associations professionnelles, Libération, 10 février 2021

mercredi 10 février 2021, par Camille Pucessi

Un collectif de syndicats enseignants et de quelques associations professionnelles dénonce la réorientation profonde du programme de la maternelle qui cantonnerait notamment les enseignements à un « bachotage » pour préparer les tests en CP.

NDLR : SLU a toujours inclus sa lutte en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche dans une perspective globale sur la politique éducative de la nation. C’est la raison pour laquelle nous attirons l’attention sur cette réforme de la maternelle, dernier étage de la réorganisation d’ensemble du système éducatif français effectuée suivant les deux volets de la même idéologie : mise en compétition autoritaire et scientisme appuyé sur les neurosciences.

Nous sommes enseignantes et enseignants de l’école maternelle, Atsem, parents d’élèves, chercheur·e·s, militantes et militants de syndicats enseignants, d’associations complémentaires de l’école, de mouvements pédagogiques. Nous faisons vivre l’école maternelle… et pourtant notre expertise n’a pas été jugée digne d’intérêt par le conseil supérieur des programmes (CSP) qui, sur instruction du ministre, propose une réorientation profonde du programme de la maternelle transformant ses missions jusqu’à les réduire à la seule préparation du CP et à ses tests d’entrée. Cette rupture avec l’équilibre trouvé en 2015 autour du triptyque « accueil, éducation, préparation à la scolarité future » dessine le portrait d’une maternelle où l’importation brutale de contenus inspirés d’une certaine vision de l’école élémentaire et recentrés sur les seuls « fondamentaux » ne peut que nuire au bien-être et aux apprentissages des jeunes enfants, en particulier des plus éloignés de la culture scolaire.

Le programme de 2015 avait été plébiscité et approprié par les équipes pédagogiques. Toutes se retrouvent dans le projet d’une école maternelle accueillante, bienveillante, exigeante où la place centrale du langage et le rôle du jeu comme l’une des entrées dans les apprentissages ont été réinstaurés. Une école, soucieuse du développement de l’enfant dans toutes ses dimensions : langagières, cognitives, sociales, affectives, physiques, artistiques… Une école attentive aux progrès et réussites de chaque élève, aux objectifs communs ambitieux, mais avec le respect des différences de rythmes et de développement si prégnantes chez les plus jeunes, sans mise en compétition ni culte de la performance. Cette école est caricaturée et accusée de ne pas préparer suffisamment aux évaluations standardisées d’entrée au CP. Il est vrai que ces tests fondés sur une conception appauvrie de la lecture et des mathématiques, réalisés en format papier-crayon et instaurant des normes arbitraires sans rapport avec le programme en vigueur sont éloignés de ses objectifs actuels et de la richesse des apprentissages menés dans tous les domaines. Une richesse qui a valu à la maternelle la confiance sans faille des familles, bien avant que l’instruction à 3 ans soit rendue obligatoire, cette dernière servant aujourd’hui de prétexte à la révision du programme, alors qu’elle a surtout permis une augmentation du financement public des écoles privées par les collectivités territoriales.

Des fondamentaux « étriqués »

Absence de consultation, volonté de mainmise sur l’école, reprise sans condition du projet ministériel de resserrement de l’école sur les « fondamentaux » étriqués… témoignent que l’élève est perçu comme un perroquet docile. Le service public d’éducation, réduit dans ses missions, ne formerait plus à une citoyenneté éclairée. Cette réorientation aboutirait à des propositions qui confinent à l’absurde : instruire les élèves de 3 ans à l’organisation grammaticale de la phrase ou à la phonologie (relation entre les lettres et les sons)… Comme si le langage pouvait se réduire à l’étude de la langue, avant même que d’être un moyen de communiquer et de penser le monde, comme si la priorité n’était pas de mettre en confiance tous les enfants pour qu’ils et elles osent s’exprimer et s’approprier les pratiques langagières de l’école. De même, sous prétexte que la connaissance des nombres de 1 à 20 est difficile pour beaucoup d’élèves au CP, il faudrait obtenir des élèves de la Grande Section le comptage jusqu’à 100, de 10 en 10… Comme si rapprocher l’obstacle permettait de le franchir plus facilement ! Exercices systématiques de transformation de phrases, cahier de mots, carnet d’expériences scientifiques… comme si reproduire les formes scolaires de l’élémentaire permettait la réussite de toutes et tous, quand la recherche démontre que « faire trop vite, trop tôt » génère l’échec, en particulier des élèves issus des classes populaires !

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