Accueil > Communiqués et textes des syndicats, coordinations, associations, sociétés (...) > Des Assises à dormir debout - X… chercheur embedded à l’école Boulle le 3 (...)

Des Assises à dormir debout - X… chercheur embedded à l’école Boulle le 3 octobre 2012

jeudi 4 octobre 2012, par M. Homais

Des Assises à dormir debout.

Autant vous le dire tout de suite, j’ai assisté aux Assises Territoriales de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en Ile de France en usurpant une identité. En effet pour assister à ces assises sur la recherche il fallait évidemment ne pas être chercheur et malheureusement ... je suis chercheur.


Après m’être faufilé entre les gabardines râpées de membres de SLR et SLU qui protestent inutilement devant la (comme on nous l’expliquera) prestigieuse école d’art Boulle, choisie pour son prestige pour accueillir ces prestigieuses assises, je m’introduis dans le bâtiment entre deux jeunes vigiles à oreillettes en costume Armani gris puce, puis, ayant présenté le carton d’invitation usurpé à l’une des quatre hôtesses élégamment habillées de noir pour l’enterrement de la recherche, je descends les marches pour rejoindre l’amphithéâtre où la première personne que je vois à l’entrée de la salle est Mme Claudie Haigneré qui avait tant fait pour la recherche sous le gouvernement Raffarin. La salle est à moitié vide, mais comme nous avons l’esprit positif, nous dirons que la salle était très grande et qu’elle était à moitié pleine. J’aperçois, sa directrice générale des services (DGS) en remorque, le président de mon université, fier d’avoir pu placer sa vice-présidente "insertion professionnelle" comme rapporteur délégué d’un des trois thèmes.

Dans la salle on se congratule, on se bise, entre notables se rêvant dans un dîner du "Siècle", tout concentré sur son ‘entre-soi’. Les préfets congratulent les recteurs qui saluent les présidents de choses et d’autres (comme une université), présidents venus avec leurs vice-présidents, leurs DGS. Les élus de communes saluent les représentants de régions, des membres de cabinets ministériels revoient les lobbyistes qu’ils avaient quittés la veille et autres membres bien rémunérés des organigrammes, fleuris comme des arbres de Noël, de nos merveilleuses et si multiples Agences. Ceux qui ne sont pas membres du conseil économique et social se demandent s’ils ont été invités pour leur appartenance au Lions Club, au Rotary, à Terra Nova, à Marc Bloch, ou à Futuris. Toutes ces congratulations durent tellement longtemps que la séance débute avec dix minutes de retard, par une introduction d’un président puissance invitante qui effectue le plus long remerciement de l’histoire des remerciements, à messieurs les préfets, les recteurs, aux représentants de Ministres ou de Régions, à des présidents de ceci, des vice-présidents de cela, élus de communes, cardinaux, archevêques, fils d’archevêques, ..., qui se conclue, après dix minutes d’énumération, par un ... et professeurs. J’ai eu un instant peur, qu’à la fin, on en arrive au niveau de granularité des maîtres de conférences, chargés de recherche et autre plèbe de BIATSS. Vous conviendrez que ce serait ridicule de remercier des petits personnels qui, de toute manière, n’ont pas été autorisés à être dans une salle qui va discuter de leur sort. Ouf, on sait rester entre soi. On se félicite donc de voir dans cette salle "l’ensemble de la société civile". On remercie les présidents d’université d’avoir organisé dans leurs établissements des "moments de rencontres", d’autant plus que l’on serait souvent bien en peine d’en fournir la moindre preuve. On s’auto-congratule entre Mme Untel meilleur(e) spécialiste de ... et le Grand Scientifique qui a bien voulu ..., on se félicite du soutien magnifique des rectorats qui ..., on se dédouane par avance des découpages arbitraires en une foultitude de maîtres de cérémonie, rapporteurs délégués, présidents de séances du fait du laps de temps extrêmement court qui ...

Après un grand nombre de telles magnifiques interventions liminaires particulièrement opportunes, un très politique Grand Scientifique assurera un habile déminage en déclarant que la critique que d’aucuns auraient émise, du poids exagéré donné, dans ces assises, aux institutions par rapports aux personnes, était infondée. Si cela va sans dire, cela va tellement mieux en le disant. Me voilà pleinement rassuré. Si les acteurs de la recherche sont exclus de ces assises sur la recherche, une poignée de représentants de syndicats de chercheurs servent d’alibi. Heureusement sont aussi présents ceux qui, dans le milieu syndical, ont la réputation d’être les plus hors-sol, n’ayant pas vu un laboratoire de recherche depuis vingt ans. Les prises de micro dans la salle débutent enfin par une première intervention d’un chercheur de base, la présidente de Paris 8.

Nous sommes, tous dans la salle, préoccupés par une double exigence : donner l’image d’affectation de concentration et de sérieux qui sied à notre rang, tout en étant à l’écoute des nouveaux codes et expressions qu’il va falloir apprendre pour plaire et complaire au nouveau pouvoir, sensibles à la réinvention de vocables trop utilisés, ou à la mise à l’écart d’autres trop connotés "ancien pouvoir", dans ce qu’il conviendrait d’appeler un stage de rééducation. Ainsi nous apprenons qu’il convient de ne plus utiliser le vocable de "gouvernance", qui faisait pourtant nos délices, trop marqué ancien régime, pour se le réapproprier dans le très sobre "gouvernement". L’économie de la connaissance devient "société" de la connaissance,et il importe de ne pas faire l’économie de ce changement, ici et maintenant. Je note pêle-mêle, "pilier de la future société de la connaissance", "besoin de simplification", "définition d’un nouveau paysage", "société de la connaissance permettant de sortir de la CRISE", "réussite des étudiants", "focus point", "collégialité", "compétences" ...

Je trahis mon statut de tâcheron de la recherche en griffonnant frénétiquement ces mots chatoyants. Au passage je m’aperçois de ma distance aux rites initiatiques de ces cercles de pouvoir. Visiblement tout le monde dans la salle a compris que "compétences" est maintenant un mot de passe codé qui veut dire tout sauf compétence. Je vous épargnerai la liste exhaustive de ces mots magnifiquement post-modernes maintenant qu’on les a dépouillés de tout sens. Pendant que mon cerveau gauche griffonne tous ces vocables splendides, mon cerveau droit est bercé par un très huilé ballet social qui ressemble à s’y méprendre aux assemblées d’actionnaires des grandes entreprises du CAC 40, où les même ravissantes hôtesses donnent tour à tour le micro à ceux qui, par leurs interventions, permettront l’expression de propos toujours plus convenus. Je réalise alors que je n’ai pas le boîtier électronique que l’on donne aux actionnaires pour qu’ils puissent voter, dans un splendide consensus, les même choses que les autres actionnaires.

Ici il n’y aura pas de vote des actionnaires, la loi est déjà écrite. Dans les milieux de qualité, on ne vote pas, on se coopte.



Ci-dessus, une panoplie pour ceux qui voudraient, eux aussi, s’embbedder toute une après-midi…

Lire aussi le billet de P. Dubois « Contre la démocratie participative ? »