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Mauvaise insertion professionnelle : la faute à l’Université… Sophie Pène, 8 août 2009

lundi 10 août 2009, par M. Homais

Dans un article du 1er août 2009, intitulé « l’Etat embarrassé par sa jeunesse » [en brève sur le site de SLU], Fabrice Tassel relate le faible écho reçu par le livre vert coordonné par Martin Hirsch. Il montre que le chômage accable les jeunes et que leur insertion n’est pas facilitée par leur formation. Puis arrive un bien étrange paragraphe :

« Du côté de l’Education nationale, le bilan ne semble pas plus brillant. Pas sur le plan quantitatif, le nombre de bacheliers et de hauts diplômés demeurant élevé (bien que nos grandes écoles et universités ne soient pas les mieux classées dans le monde, loin de là), mais sur la future société qu’elle dessine ».

On comprendra plus loin dans l’article que le bilan « pas plus brillant » que Fabrice Tassel a en tête est « l’ascenseur social bloqué ». Alors, que vient faire ce coq-à-l’âne, hélas trop prévisible, cette incise méprisante à propos de l’enseignement supérieur français ? Fabrice Tassel reprend sans vergogne ce qui est devenu un lieu commun, les mauvais classements français. Ce refrain, dont le pendant est que nos universités mal classées doivent être réformées, a justifié une « stratégie du choc ». Avec ce même refrain, Valérie Pécresse a imposé une réforme expéditive, dont le cœur idéologique est une certaine idée de l’évaluation. Fabrice Tassel s’en fait sans nécessité le messager :

1. Il n’est pas rigoureux pour un journaliste d’évoquer de façon générique « les classements » comme un ensemble légitime et cohérent, alors qu’ils concernent des aspects très divers, de l’insertion à la recherche et que de nombreux commentaires éclairants sont disponibles sur la question.

2. « Les classements » sont multiples et des classements respectés mettent au contraire en relief les excellentes performances d’insertion professionnelles des écoles et de nombreux masters universitaires.

3. Le classement de Shanghai, que chacun a sur les lèvres, très contesté, ne concerne que la performance de recherche et n’a rien à voir avec l’insertion des diplômés.

Il est donc vraiment mal venu de convier le lecteur à associer la mauvaise insertion des jeunes et la supposée mauvaise université française.

Ecrire, comme une vérité connue de tous, bien que sans rapport avec le thème traité, que nos grandes écoles et universités «  ne sont pas les mieux classées du monde » n’est pas anodin. En répétant naïvement ces énoncés dévalorisants, des journalistes peu rigoureux encouragent le public à rester indifférent au sinistre sort de leur enseignement supérieur public, qui est pourtant leur bien commun, un bien commun dont ils risquent de découvrir trop tard à quel point il avait de la valeur. Un enseignement supérieur qui a réussi ce qu’aucune université au monde n’a fait avec aussi peu de moyens : encaisser, sans sélection, avec une quasi-gratuité, le doublement du nombre d’étudiants entre 1980 (1,17 million) et 1995 (2 millions). Tout en développant d’innombrables formations professionnelles, en adoptant une configuration des diplômes qui favorise la mobilité européenne, les passerelles entre cursus, et en maintenant de brillantes performances de recherche. Il y a bien d’autres causes à la situation catastrophique de notre jeunesse. La dégradation de l’emploi salarié, les relations entre entreprises et jeunes, l’abus de stages, les profondes inégalités sociales et culturelles que creusent les politiques de précarité ne sont même pas évoqués dans cet article. Sur un sujet aussi important, la maigreur des informations fait de ce papier un outil de propagande inconsciente et irresponsable contre l’enseignement supérieur public.

Sophie Pène

Professeur des universités
/ Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle, Paris.