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Lettre ouverte à Jean-Robert Pitte, ancien Président de l’Université Paris-Sorbonne, Membre de l’Institut, par Denis Labouret, Barthélémy Jobert, Michel Fichant, Jean-François Courtine

samedi 21 février 2009, par Laurence

Cher collègue,

Vous avez tenu à plusieurs reprises, ces dernières semaines, des propos
désastreux sur l’état de la recherche dans les universités en sciences
humaines. Dans le journal Challenges du 3 février, vous soutenez
qu’« en lettres par exemple, la moitié des maîtres de conférences et le
tiers des professeurs ne publient plus rien et ne font qu’assurer leurs
192 heures d’enseignement sur l’année
 ». Le Figaro du 13 février
confirme ces propos et rappelle qu’en sciences humaines et sociales,
vous « estimez à 40 % le nombre d’enseignants du supérieur qui ne
publient pas
 ». Et le journal de citer vos dires : « C’est l’omerta, car
personne ne veut l’avouer ! Aucune sanction n’est possible. Personne ne
peut les obliger à faire de la recherche et certains s’en donnent à
coeur joie.
 »

Si vos propos sont bien rapportés – on peut encore espérer que ce ne
soit pas le cas –, ils sont insultants pour l’ensemble de l’Université
française, et en particulier pour ceux qui travaillent à vos côtés à
l’Université Paris-Sorbonne. Le lecteur peut supposer en effet que les
chiffres que vous évoquez sans en donner les sources et que vous seriez
donc le seul à posséder seraient le fruit de votre longue expérience à
Paris IV et de la fréquentation quotidienne de vos collègues, géographes
et historiens, linguistes ou littéraires. Il suffit pourtant de
consulter les rapports remis récemment à l’Agence d’Evaluation de la
Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES) pour prouver le
contraire. En substituant aux réalités et aux faits que vous connaissez
parfaitement des pseudo-statistiques qui ne reposent sur aucune étude,
vous accréditez et cautionnez, du fait de vos qualités éminentes
d’ancien Président de l’Université Paris IV et de Membre de l’Institut,
un discours idéologique anti-intellectualiste qui rejoint la pire
tradition populiste. Vous n’honorez assurément pas ainsi les sciences
humaines et leurs méthodes. Vous jetez surtout un grave discrédit sur
une université que vous disiez pourtant, il n’y a pas si longtemps,
vouloir faire rayonner.

Nous ne voulons pas nous interroger sur les raisons qui vous poussent à
de telles allégations, mais nous vous demandons de prendre toute la
mesure de l’insulte que vos propos font à l’ensemble de la communauté
universitaire, et tout spécialement à l’établissement auquel vous
appartenez. Dans votre article paru dans Le Monde du 5 février, vous
concluez que les universités devraient se réjouir de ce que les nouveaux
projets de réforme leur permettent « de se gérer elles-mêmes sous la
houlette de leur président
 ». L’image est saisissante. A lire vos
accusations, on frémit d’imaginer le sort d’une université tombée « sous
la houlette
 » d’un président qui n’aurait pas la moindre considération
pour ses pairs et qui refuserait de les évaluer sur la réalité de leur
recherche et de leur engagement.

Denis Labouret (Vice-président du Conseil d’administration)

Barthélémy Jobert (Vice-président du Conseil scientifique)

Michel Fichant (Président du Comité stratégique)

Jean-François Courtine (Professeur délégué à la Recherche)