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Elèves de classes prépas : pourquoi cette animosité contre nous ? - Alice Maruani (Etudiante) Rue 89, 27 mai 2013
lundi 27 mai 2013
Les classes prépas pourraient devenir payantes et ouvertes à des quotas. Pour Alice, élève d’une prestigieuse prépa littéraire, on veut les faire disparaître
Je suis le type d’élève de prépa qu’on honnit. J’ai la chance – mea culpa – d’avoir bénéficié pendant mes études d’une sécurité financière, et d’avoir pu accéder à cette exception française, les classes préparatoires, qui sont une formation d’excellence (ce mot peut faire peur mais il reflète une réalité dans les exigences de travail à tous niveaux).
J’ai passé trois ans au sein du prestigieux lycée Fénelon, dans le VIe arrondissement de Paris, en classe préparatoire littéraire.
Making of
Alice Maruani a envoyé à Rue89 son texte, en réaction aux deux amendements au projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, votés par les députés dans la nuit du 23 au 24 mai. Ils pourraient bousculer le recrutement des élèves dans les classes préparatoires aux grandes écoles avec :
l’instauration de quotas : les lycées qui auraient obtenu les meilleurs résultats de leur établissement auraient le droit de rejoindre automatiquement plusieurs filières sélectives, dont les classes prépas ;
la fin de la gratuité. Les étudiants des prépas devraient régler un droit d’inscription de l’ordre de celui des universités (environ 180 euros par an).
« [Ces lois] sont avant tout symboliques, elles tapent sur l’élitisme pour éviter d’en régler le problème en profondeur », écrit Alice Maruani, ancienne élève de prépa.
Je souhaiterais évidemment que d’autres puissent en bénéficier, avec une plus grande mixité sociale. Mais j’ai l’impression qu’au lieu de les ouvrir socialement, on voudrait bien les faire disparaître, ces prépas qui dérangent.
Les élèves de classes préparatoires passent pour les symboles de la reproduction sociale bourdieusienne. C’est sûrement vrai, et je suis mal placée pour faire un contre-exemple, je viens moi-même d’un milieu privilégié. Mais bon, j’ai fait mon collège et lycée en Bretagne, et j’ai de la chance : mes parents ne sont pas profs agrégés.
Malgré cela, je n’ai pas eu l’Ecole normale supérieure (ENS) et je n’ai pas passé d’autres concours – écoles de commerce ou Instituts d’études politiques (IEP).
Aujourd’hui, je suis en master à la fac – comme une large partie de mes anciens camarades de classe –, avec d’autres élèves venant de licence.
Je découvre l’anonymat, l’administration compliquée, les problèmes de salles, de toilettes bouchées, l’angoisse de l’avenir.
La reproduction sociale, bien avant le bac
Les deux mesures récemment adoptées à l’Assemblée [lire encadré ci-dessus, ndlr] semblent contradictoires. Elles sont inspirées toutes deux par une animosité mêlée de préjugés contre les classes prépas.
Leur but est de :
- favoriser la mixité sociale au sein des filières sélectives, au lieu de se demander comment revaloriser les autres filières ;
- renforcer les passerelles et décloisonner les formations, de façon à favoriser l’ascenseur en aval, ce qui nécessiterait de véritables mesures sur le long terme ;
- changer nos mentalités sociales figées dans des statuts...
Alors ce qui compte, c’est d’élargir l’accès aux sacro-saintes grandes écoles, prestigieuses par leur sélectivité. On veut promouvoir l’accès des élèves défavorisés aux classes prépas. Classes qui semblent être la seule façon de réussir aujourd’hui aux yeux des élites qui nous dirigent et sont passées par l’Ecole nationale d’administration (ENA) avant de s’éloigner de la réalité des études.
Je lis que certains lycées n’y envoient aucun élève, alors même qu’il y a des places « en trop » : on met donc en place des « quotas » pour les élèves qui ont les meilleurs résultats au bac.
On facilite l’accès des meilleurs bacheliers en leur réservant des places dans les filières d’excellence et on semble oublier que la reproduction sociale existe dès le lycée, voire dès l’école primaire. Les résultats du bac général sont le reflet de cette reproduction.
Quotas : une réforme symbolique
La sélection en classes prépas se faisait jusque-là sur dossier, avant le bac, comprenant toute l’évolution de l’élève au lycée, de ses résultats et de ses aptitudes.
Bien sûr, il y a des ratés dans les deux sens mais malgré tout, chaque dossier est examiné attentivement. Les profs, qui connaissent leur métier, ne font pas de discrimination sociale volontaire (surtout dans les petits lycées en zone rurale, qui sont ceux visés par la loi ; certains lycées parisiens en revanche favorisent les « bons lycées », il est vrai).
On peut honnêtement supposer qu’ils choisissent des élèves qui ont l’attitude et l’aptitude pour réussir dans leurs classes, tout simplement pour éviter le massacre. On porte donc un faux soupçon sur une sélection qui coopterait les élèves des classes sociales élevées.
On dit que la loi a pour but de lever les inhibitions des élèves venant des ZEP (« c’est pas pour moi »), et d’éviter l’évaporation des élèves issus des classes populaires lors du choix des filières. Il est vrai que ces frontières sociales intérieures existent mais je ne suis pas certaine que des quotas règleront un problème global, complexe, reconduit par tout un système scolaire.
C’est symbolique, apparemment. Cette loi porte un message : « Vous aussi, vous pouvez. » Message que les profs devraient porter dans leurs classes, sûrement plus efficacement.
Peut-être qu’on devrait se demander pourquoi ces élèves ne veulent pas aller en prépa ? Violence symbolique ? Peur de l’échec ? Grandes écoles trop chères, hors ENS ? Manque de bourses ?
« Faisons-les payer » : tapons sur les élèves
Le deuxième amendement veut mettre fin à la gratuité des classes prépas. Néanmoins, il tend à orienter le sens réel de la loi : taper sur les classes prépas pour faire oublier le reste. Bien sûr, c’est symbolique là aussi (le montant correspond à celui d’une inscription à la fac) tout comme la gratuité l’était, mais le message est révoltant.
Côté pratique, on l’ignore souvent, mais les élèves de prépas payent l’inscription en parallèle à l’université. On se demande d’ailleurs au passage à quoi ça sert, mes camarades et moi n’ayant jamais vu l’ombre d’un diplôme de licence alors qu’il est supposé nous être délivré grâce à ces inscriptions. Nous sommes réduits à monnayer nos « équivalences » simples ou doubles, pour rentrer en master, équivalences incompréhensibles par exemple à l’étranger. Bref, ces frais couvriront-ils les accords avec l’université ou seront-ils ajoutés ?
D’autres part, les frais de concours, de la banque d’épreuves communes, hors ENS, sont souvent très importants. On argue que les élèves de prépas coûtent plus que les élèves d’université : certainement, les cours et l’accompagnement coûtent chers, même si les profs font toujours – et gracieusement – un large nombre d’heures supplémentaires. Ce n’est pas cette participation qui amortira les coûts.
La symbolique, derrière, veut dire « faisons-les payer » ; après tout, leurs parents peuvent se le permettre, et c’est la crise. Bien bien. Tapons sur les bons élèves, ils font de bons boucs émissaires, ils y sont certainement pour quelque chose dans les inégalités sociales.
Bientôt la fin d’une exception française ?
C’est la loi du marteau : quand quelque chose gêne, on sort une mesure ou deux, incohérentes et partielles, pour calmer les esprits. On sait que la reproduction sociale existe, que l’ascenseur social est bloqué, et que la crise renforce largement ces lois sociologiques.
Alors, on construit un mythe : les classes prépas, sorte de « monstres » modernes, miroirs faciles des iniquités scolaires puis professionnelles. Cette réforme est un écran de fumée, le coup médiatique d’un gouvernement crevant d’une triste impuissance. Un premier pas vers la suppression des prépas ? C’est bien possible.
J’ai peur aujourd’hui que cette exception française, formation d’excellence gratuite, soit sacrifiée au mauvais fonctionnement global du système scolaire et universitaire, incapable de se réformer en profondeur. Une mesure punitive nourrie par le large mépris qui touche aujourd’hui la culture et la connaissance.