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Fabrique de la loi LPpR - 9 novembre 2020
mardi 10 novembre 2020, par
Loi votée, commission mixte paritaire passée : le pire est là.
Les réactions sont à la mesure…
Le choix du pire contenu possible, et pire encore : compte-rendu de la CMP.
Par les Rédacteurs d’Academia, 9 novembre 2020 (à lire ici)
Vingt-huit parlementaires se sont réuni·es cet après-midi, pour sceller le sort de la loi de programmation de la recherche. Parmi eux, quatorze avaient pouvoir de voter : neuf hommes et cinq femmes – formant ensemble une « commission mixte paritaire » (CMP) – qui avaient donc la lourde responsabilité de trancher les points de désaccord persistants entre l’Assemblée et le Sénat.
Rappelons d’abord, une fois encore, que seule une portion réduite de la loi se trouvait encore dans le panier des discussions, dans la mesure où les chaires de professeur junior, les CDI de mission ou encore les contrats doctoraux de droit privé avaient d’ores et déjà été acceptés, au moins dans leur principe, par les deux chambres.
Ce qui restait en discussion devant la CMP n’était pas, pour autant, d’intérêt mineur.
[…]
Le choix du pire contenu possible
Venons-en au contenu du texte issu de la commission mixte paritaire – qui sera donc, désormais, le texte de la loi de programmation de la recherche. L’Assemblée et le Sénat ne l’ont pas encore rendu disponible, mais Academia est en mesure de vous en faire une première synthèse.
Il n’est pas caricatural de dire que ce texte est, sur à peu près tous les points, le pire qui pouvait ressortir de cette CMP.
Il n’y a qu’un seul point de satisfaction, en vérité, mais il concerne un article qui avait de toutes façons peu de chances de passer le filtre du Conseil constitutionnel : le si polémique amendement n° 234, qui subordonnait les libertés académiques au respect des valeurs de la République, est intégralement reformulé, pour être neutralisé. La nouvelle formule qui a été retenue a vocation à ne produire aucun effet juridique, et c’est tant mieux tant on craignait les apprentis-sorciers de la CMP : « Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs ».
[…]
Mais la CMP a fait plus fort encore, et c’est le troisième point sur lequel nous insisterons. Car c’est peut-être le point qui, en réalité, nous inquiète le plus — et depuis longtemps. La CMP ne s’est pas contentée de reprendre le désastreux amendement n°147, qui introduisait dans le code pénal une disposition nouvelle, propre aux établissements d’enseignement supérieur, sanctionnant d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 7 500€ d’amende, l’entrave aux débats tenus dans les locaux universitaires. Elle a fait bien pire : elle pénalise désormais :
« le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité […] ou y avoir été autorisé […], dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ».
Le nouveau texte de la CMP prévoit même, par un simple jeu de renvoi entre dispositions du code pénal, que lorsque ce délit « est commis en réunion, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende ».
Academia écrivait il y a quelques jours que « La LPR n’est que la première étape d’un mouvement légistique qui en comprendra deux, dont les blocages seront les prochaines cibles ». Et bien, la LPR aura finalement réussi ce tour de force de réunir ces deux étapes en même temps, et c’est très grave : une telle disposition est une arme de destruction massive entre les mains des chefs d’établissement, car punir d’un an à trois ans d’emprisonnement le trouble à la tranquillité ou au bon ordre de l’établissement, c’est, disons-le clairement, la fin pure et simple des contestations sur les campus et la porte ouverte à toutes les dérives autoritaires. Les effets sont simples à deviner, en effet. D’abord, une répression très lourde, que l’on observera très rapidement à l’oeuvre, contre les blocages ou les perturbations de conseils d’administrations et autres instances universitaires. Ensuite, des effets plus insidieux : comme à chaque fois que l’on pénalise un champ qui ne l’était pas, qui plus est en prenant appui sur des critères aussi généraux, on le contraint à s’auto-discipliner de manière préventive ; et, sous prétexte de réagir à quelques entraves ponctuelles, on introduit une atteinte nouvelle à la liberté d’expression, dont les effets insidieux débordent largement les hypothèses initiales. Enfin, n’oublions pas un point essentiel : sur le fondement de cet article, le procureur pourra engager des poursuites, indépendamment de toute plainte du ou de la président·e d’université. Autrement dit, cet article est une autoroute pour la reprise en main des universités, et une attaque très directe – une de plus – contre les vieilles franchises universitaires.
Cet article, en un mot, est scélérat.
Lire la suite…
Lire aussi une analyse plus détaillée du développement de l’amendement 147
Mise au point : les dangers de la nouvelle pénalisation des universités
La CMP a inséré dans la loi un nouvel article 20 bis AA qui dispose que :
« Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est passible des sanctions définies dans la section 5 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal ».
(lorsque ce délit est commis en réunion, les peines sont portées à 3 ans de prison et 45.000€ d’amende)
Simon Persico, EC de sciences politiques à Grenoble
Un fil de tweets à lire déroulé ici
Je sais que ma tl est remplie de chercheur.e.s et d’enseignant.e.s chercheur.e.s qui savent déjà tout ça. Mais je voudrais dire en quelques tweets pourquoi le vote de la Loi de Programmation de la Recherche, dans une version aggravée, est une honte absolue⬇️
Rappel des faits : la crise du Covid et le confinement de mars, tout à fait justifié, ont étouffé le mouvement contre la LPPR. Un peu comme il est venu étouffer le mouvement contre la réforme des retraites.Ce mouvement était d’autant plus vif que la LPPR posait de nombreux problèmes et n’en résolvait presque aucun. Je ne vais pas revenir sur tout ce qui est nul est dangereux dans cette loi, ça prendrait trop de temps. @Academia_carnet ou @JulienGossa, entre autres, ont tout dit.
Pour résumer, la LPPR promeut, pour l’essentiel, plus de mise en compétition, plus de course aux financements sur projet, plus de bagarre pour la meilleure place dans des classements internationaux calculés sur des critères bibliométriques parfois absurdes.Bref, en mars, tout le monde universitaire (du militant étudiant gauchiste à la représentante légitimiste de l’excellence scientifique) était vénère contre cette loi pourrie. Mais tout le monde s’est confiné en s’évertuant à assurer la continuité pédagogique et de recherche.
Il fallait voir nos gueules et celles de nos étudiant.e.s. Dans leurs 10m2 ou chez leurs parents ; dans nos cuisines ou les gamins sur les genoux. On a tenu (plus ou moins bien) notre morceau de service public. Idem au retour des vacances, dans les conditions que vous connaissez.Face à une telle situation, un.e Ministre responsable aurait décidé d’attendre avant de légiférer. C’est ce que le gouvernement a fait sur les retraites. Mais @VidalFrederique n’est pas une Ministre responsable.Au lieu d’écouter les mises en garde de @Naturepub répétant ce que l’ensemble de la communauté universitaire lui hurle depuis des mois, elle vient de faire passer une LPR pire que ce qui était sur la table en mars. https://academia.hypotheses.org/28130 Je voudrais juste m’arrêter sur un point, le plus scandaleux à mon sens : certains types de mobilisations étudiantes et universitaires classiques sont désormais passibles de prison (!!!).
La loi votée hier pénalise en effet « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité […] ou y avoir été autorisé […], dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ».
Débrayer un amphi ? Intervenir dans un Conseil d’administration sans y être invité ? Bloquer ponctuellement l’accès aux cours ? Quiconque ayant passé quelques semaines dans une fac en France sait qu’il n’y a rien de plus commun.Certains trouvent que cela nuit au bon déroulé des formations. Pas entièrement faux. Mais ces mobilisations servent aussi d’apprentissage, version TP, de la démocratie. Pas que pour les étudiant.e.s mobilisé.e.s. Elles seront désormais passibles de prison (re- !!!). On sait pertinemment que, en temps à peu près normal, une telle disposition aurait entraîné un blocage de pans entiers de l’enseignement supérieur. Il y a fort à parier qu’elle aurait vite reculé.Mais elle profite de ce que les étudiant.e.s et les profs triment et dépriment, confiné.e.s, seul.e.s derrière leur ordi, pour porter un coup bas historique à leur modes d’expression et de mobilisation... Une honte absolue, je disais. (Source : https://threader.app/thread/1326055364756975617)
Un courrier de RogueESR
• L’information la plus importante, et la plus pénible, vous est peut-être déjà parvenue. La Commission Mixte Paritaire s’est accordée sur un texte de synthèse pour la LPR, suite à une alliance entre la majorité LaReM et les groupes de droite et du centre au Sénat. Le seul point sur lequel le texte n’ait pas été nivelé vers le bas concerne l’assujettissement des libertés académiques aux “valeurs de la République”, remplacé par une référence à la garantie constitutionnelle de ces libertés. Ce repli tactique n’efface pas le maintien des amendements sénatoriaux les plus délétères, notamment celui portant sur le CNU, tandis que sur le plan budgétaire, c’est la version de l’Assemblée Nationale, prévoyant un étalement des crédits sur dix ans (contre sept), qui a prévalu. C’est donc le choix du moins-disant budgétaire qui a été fait, malgré la critique unanime, y compris du Conseil d’Etat. La LPR sera validée par des votes formels dans les jours à venir. Nos pensées vont à toutes celles et tous ceux dont cette loi sacrifie l’avenir. Avant tout, il est nécessaire de retisser des liens de solidarité effectifs, concrets : prenons soin les uns des autres.
• Cette situation rend d’autant plus nécessaire une entreprise de reconstruction politique et programmatique sur la longue durée. Nous en avons posé les jalons lors des journées “Refonder l’Université et la Recherche” des 25 et 26 septembre. Cet effort doit être poursuivi. À nos yeux, un des enjeux de ce travail est de déconstruire les discours selon lesquels les pays dont les performances scientifiques sont supérieures à celles de la France le doivent au choix de la précarité, censée inciter à l’innovation et à l’originalité. Nous reviendrons vers vous très prochainement avec des éléments sur ce sujet, en commençant par une analyse de la situation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en Allemagne et de ses dynamiques récentes.
• Ce travail implique de conserver la mémoire de nos productions et de nos réflexions. Pour y contribuer, nous avons ouvert une archive de nos billets, que nous compléterons dans les jours qui viennent :