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Lycée Arago (mais pas seulement) - Dossier, mai-juin 2018
vendredi 1er juin 2018, par
La tribune « Lycée Arago : pourquoi nous saisissons le défenseur des droits » est devenue une pétition (à signer rapidement ici avant son envoi)
Convergence des luttes…
Quand les cheminots "dénassent" les lycéens
Quelques dizaines d’étudiants parcourent en vitesse le Quartier latin pour s’en aller bloquer la Sorbonne, le mardi 29 mai. À l’intérieur de l’université, un conseil d’administration de Paris-Descartes se déroule. Cette délocalisation symbolise pour eux, la fusion des universités contre laquelle ils manifestent depuis plusieurs semaines. Au coin de la rue Saint-Jacques, ils sont rapidement dispersés puis "nassés" par la police. Quand, environ 30 minutes plus tard, les cheminots, qui manifestaient non loin de là les ont rejoints puis "délivrés". Au milieu de la liesse et des applaudissements de joie, les deux mouvements ont ensuite marché ensemble vers le Sénat pour manifester contre la réforme de la SNCF. [1]
Au lycée Bergson aussi on interpelle sans ménagements
La main de la ZAD, les fourgons d’Arago, et l’arc d’extrême-droite
lundimatin#147,Frédéric Lordon, 29 mai 2018
Dans une sorte de concentré vertigineux qui livre en un instant la vérité d’un régime, Gérard Collomb, micro « BFM » en main, avertit à mots à peine couverts que le droit de manifester en France deviendra bientôt conditionnel à l’intervention active des « manifestants ordinaires » contre les « casseurs » – et que le refus desdits manifestants de devenir la police conduira logiquement à la suspension de leur droit. […]
Pendant que ce gouvernement, donc, fait ouvertement la guerre à certaines fractions de sa population, pendant qu’il mutile, en attendant qu’il assassine, ce qu’il fait déjà d’ailleurs, comme toujours dans la nuit des quartiers, pendant qu’il ramasse des gosses de quatorze ans dans ses fourgons, qu’il tolère comme « gesticulations » les équipées frontalières de milices d’extrême-droite, et envisage sans se cacher de se passer du droit de manifester, les magazines font des couvertures sur les « dictateurs » – Erdogan, Poutine, Kim variés, grâce au ciel il n’en manque pas. La question, quasi-expérimentale, est alors la suivante : combien de temps leur faudra-t-il pour regarder au-dedans, et mettre quelques noms adéquats sur tous ces faits proprement ahurissants, ou bien sur les alarmes répétées de la CEDH et de l’ONU ? Sans doute « un certain temps », comme disait Fernand Reynaud, puisqu’au moment où sur la ZAD, Maxime, manquant de perdre la vie, venait de perdre la main, toute leur attention n’allait pas moins à « l’insupportable violence » faite à… l’effigie de Macron en flammes.[…]
Lycée Arago : pourquoi nous saisissons le défenseur des droits
Tribune dans Libération par un collectif de parents, 29 mai.
C’est en tant que citoyen.ne.s et/ou parents que nous saisissons le défenseur des droits officiellement au nom de ce qui nous apparaît comme une grave atteinte aux droits humains. Le mardi 22 mai, en marge de la manifestation pour la défense des services publics, quelques lycéen.ne.s, étudiant.e.s, et militant.e.s ont décidé de prolonger la mobilisation par une discussion en assemblée générale dans le lycée Arago. Ils sont entrés dans les lieux sans autorisation, accompagnés de quelques photojournalistes. Quelques instants plus tard les forces de l’ordre sont intervenues pour les en déloger au nom de l’illégalité de l’intrusion. Des images tournées par les journalistes présents témoignent d’un usage disproportionné de l’intimidation et de la violence malgré le caractère pacifique de la réunion ; elles montrent également l’absence de résistance des participants.
Surtout, les participants arrêtés ont été parqués plusieurs heures de suite dans des cars sans aucune information, nourriture, boisson ni même lumière, avant d’être dispatchés dans plusieurs commissariats pour des mises en garde à vue. Parmi eux, 40 mineurs et 88 majeurs dont certain.e.s sont nos enfants, et dont nous n’avons eu aucune nouvelle avant le lendemain, jour de défèrement devant le TGI de Paris. Un photojournaliste appartenant au collectif La Meute a par ailleurs subi un prolongement de sa garde à vue par une nuit au dépôt (de la prison !). L’affaire se solde par quelques rappels à la loi, des classements sans suite, des convocations ultérieures et 13 mises en examen de mineurs, à quelques jours du début du Baccalauréat. […]
Lycée Arago : les lois de la répression ne restent jamais inusitées
Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature sur la répression de la manifestation du 22 mai 2018, notamment au lycée Arago à Paris. 26 mai 2018
La répression des lycéens et militants mobilisés au lycée Arago est symptomatique d’un rapport de l’Etat à la contestation sociale et politique. Parce qu’elle vise des enfants de centre ville, elle révèle à tous des textes et des pratiques qui opèrent habituellement dans l’indifférence.
Des textes d’abord. Deux infractions ont servi l’action policière : l’intrusion dans un établissement scolaire et la participation à un attroupement en vue de la préparation de dégradations ou de violences. Ces deux infractions pénales – dont la seconde a fait un retour en force dans la répression des manifestants – sont nées sous l’ère sarkozyste, et procèdent d’un mouvement qui vise à pénaliser, non pas un dommage social réel mais une potentialité. Un droit pénal putatif donc, formidable outil dans un contexte revendicatif : le ministre de l’Intérieur peut alors déployer l’action policière, ses effets bien réels – la garde à vue – et ceux plus immatériels – la dissuasion à destination des jeunes mobilisés partout ailleurs.
Puisque la prison est la peine de référence pour la quasi totalité des délits, la garde à vue devient la règle. Parlons-en. L’avocat n’y a pas accès au dossier et la famille informée de la mesure ne sait rien des faits reprochés, pas même une qualification juridique, y compris pour les mineurs. Le prélèvement d’ADN pour nourrir le fichier des empreintes génétiques y est le principe, permis par une succession de lois aboutissant à un fichier tentaculaire. Cette réalité n’est pas nouvelle, elle justifie une mobilisation citoyenne d’ampleur. Puisse la répression d’un lycée parisien en être le tremplin.
Des pratiques ensuite. Les interpellations policières en masse – plus d’une centaine de personnes ici - ne sont pas nouvelles : les derniers mouvements sociaux les ont connues et deux années d’état d’urgence les auraient presque banalisées. L’autorité judiciaire doit exercer un contrôle, mais les politiques pénales – rappelées dans la circulaire du 20 septembre 2016 – l’enserrent dans des réactions immédiates, au nom de prétendues nécessités d’ordre public.
Suivent ainsi des comparutions immédiates et des déferrements, des procédures en théorie exceptionnelles qu’aucune loi récente n’est venue restreindre, qui surdéterminent les conditions de la répression. L’emprisonnement y est plus fréquemment prononcé, à titre provisoire ou de peine, et à défaut, la rigueur se niche dans des contrôles judiciaires qui comportent de plus en plus souvent des interdictions de paraître, cachant des interdictions de manifester.
Cette répression n’a pas commencé au lycée Arago, ni même dans les manifestations pour la défense du service public ou contre ParcoursSup. Depuis plusieurs dizaines d’années déjà, l’idéologie sécuritaire a fait de la rue – en somme, les illégalismes populaires – la priorité des politiques pénales, cet ordre public là justifiant une mobilisation policière et judiciaire permanente et immédiate, tandis que d’autres contentieux cheminent plus lentement.
Ces choix politiques sont réversibles, c’est pourquoi le droit pénal et la procédure pénale doivent être un terrain de mobilisation de tous.
Arago : comment l’arsenal législatif réprime les mouvements sociaux et étudiants
Médiapart, Michel Deléan, 25 mai 2018
L’affaire Arago le rappelle aux oublieux : l’arsenal législatif français autorise une sévère répression judiciaire des mouvements sociaux. Ancienne, la « criminalisation » des mouvements sociaux est en marche. À la suite de l’occupation de ce lycée de l’est parisien, 102 lycéens et étudiants opposés à Parcoursup, parmi lesquels 40 mineurs, ont été placés en garde à vue, notamment sur le fondement du délit d’« intrusion dans un établissement scolaire » créé sous Nicolas Sarkozy.
[…]Comme l’a signalé l’avocat-blogueur Maître Eolas sur son compte Twitter, le délit d’intrusion dans un établissement scolaire a été créé sous Nicolas Sarkozy, par la loi du 2 mars 2010. Il s’agissait alors d’afficher une volonté politique de lutter vigoureusement contre les « bandes violentes », autrement dit les bandes de jeunes des banlieues sensibles, comme le montre l’exposé des motifs de cette loi, présenté par Christian Estrosi en mai 2009. Un texte dénoncé à l’époque par le Syndicat de la magistrature, qui y voyait une résurgence de la loi anti-casseurs (en vigueur de 1970 à 1982).
Réprimés pour l’exemple.
Politis, Agathe Mercante, 24 mai
Interpelés pour avoir tenté d’occuper le lycée Arago, à Paris, 40 mineurs ont été arrêtés mardi par les forces de police. Relâchés jeudi, 14 d’entre-eux seront présentés devant un juge pour enfants. Un traitement radical.
« Sois jeune et tait-toi ». Le slogan soixante-huitard, cinquante ans plus tard, sonne encore douloureusement juste. Arrêtées, maintenues dans des véhicules de Police durant 4 heures, gardées à vue… Le sort réservé aux 102 personnes interpelées mardi dans et devant le lycée Arago, dans le 12ème arrondissement de Paris, n’a rien d’enviable. Et la suite non plus. Après 48 heures de garde-à-vue, ces dernières ont été déférées ce jeudi devant le Tribunal de grande instance de Paris. Parmi eux, 40 mineurs. « Ils sont sortis à l’instant », affirme Louis Boyard, président de l’Union nationale lycéenne (UNL). Plus d’une centaine de personnes – lycéens, parents d’élèves – étaient venues manifester contre la mise en examen de ces derniers, accusés de « participation à un attroupement en vue de commettre des dégradations et/ou violences » et « intrusion non-autorisée dans un établissement scolaire commis en réunion ».
« Ils ne veulent pas raconter ce qu’ils ont vécu, ça a dû être très difficile pour eux », avance le représentant du syndicat lycéen. « Ils sont passés par le dépôt, dans les caves du tribunal, c’est extrêmement traumatisant pour ces jeunes », s’indigne Hélène Franco, co-animatrice du Livret justice de la France Insoumise.
Lourdes sanctions
Sur les 40 jeunes arrêtés mardi, 14 comparaîtront devant un juge des enfants et 13 seront présentés au substitut du procureur pour des rappels à la loi. Si la détention de mineurs en garde-à-vue est légale, le traitement est sévère au regard des faits : ils s’étaient introduits dans le lycée Arago afin d’y tenir un assemblée générale pour protester contre le dispositif d’orientation Parcoursup. « Ce type de procédure est peu courant », confirme-t-on au sein du Syndicat de la magistrature. « Ce sont des lycéens », rappelle-t-on, « ils n’ont donc, normalement, pas ou peu d’antécédents ».
D’autant que les sanctions pourraient être lourdes. « Ceux qui seront présentés au juge des enfants encourent un an d’emprisonnement, 3 ans si le motif de réunion est retenu », indique Hélène Franco. « C’est extrêmement inquiétant », résume-t-elle. Des arrestations, une détention et de possibles jugements qui choquent, y compris au sein de la classe politique. « L’acharnement du Gouvernement contre la jeunesse, en l’occurrence les lycéen.nes, monte d’un cran. Non content de démotiver les candidat.es au bac avec Parcoursup, il répond de manière disproportionnée à une action militante non-violente », s’indigne David Cormand, secrétaire national d’Europe-Ecologie-Les-Verts.
« Les interminables gardes à vue de lycéens sont un message clair. À présent, les inculpations. #Macron est aussi en guerre contre la jeunesse. Son rêve : un monde doux aux riches, un peuple et des jeunes soumis à ses ordres. », a pour sa part réagi Jean-Luc Mélenchon.
Après deux jours de garde à vue, les « interpellés d’Arago » au tribunal
Mediapart, Christophe Gueugneau et Faïza Zerouala, 24 mai 2018
Une centaine de personnes ont été interpellées mardi soir lors d’une tentative d’occupation du lycée Arago, à Paris, dont de nombreux mineurs. Après 48 heures de garde à vue, et d’angoisse pour les parents, nombre d’entre elles se sont retrouvées au tribunal jeudi.
Le flou total qui entoure cette journée au tribunal arrive comme une suite logique aux dernières 48 heures.
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« Une stratégie d’intimidation contre ceux qui protestent contre Parcoursup »
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Séverine Lemasson a reçu un SMS de sa fille de 16 ans, lycéenne en première L dans un établissement du nord-est parisien. Celle-ci lui signalait qu’elle participait à l’occupation du lycée Arago. « Nous étions très inquiets, on lui a donné pour ordre de surtout ne pas opposer de résistance, de sortir quand elle le pourrait. » Ce qui n’a pas été possible. Un peu plus tard, la jeune fille écrit de nouveau à ses parents pour les avertir qu’elle a été arrêtée mais qu’elle va bien. « Nous avons été prévenus de son placement en garde à vue à 2 h 50 du matin. » Dans la foulée, à la première heure, ils sollicitent les services d’un avocat.
Mercredi matin, les parents n’avaient toujours pas vu leur fille puis apprennent qu’elle est au TGI des Batignolles et qu’ils doivent s’y présenter à 9 heures jeudi matin.
Séverine n’en revient pas. « Nous sommes très surpris par l’ampleur de la procédure par rapport aux faits reprochés. On a fait confiance à l’État et on a l’impression que la réponse est disproportionnée. Quand on sait que la police et la justice sont débordées, mobiliser autant de forces de polices pour cent adolescents, c’est surréaliste. » Son époux abonde dans le même sens : « Je pense que la procédure est politique plus que judiciaire. Nous, on a l’impression que nos droits de parents n’ont pas été respectés. On n’a rien fait pour nous. »
Lire ici l’intégralité de l’article.
Lycée Arago : « On a voulu faire de nous un exemple »
Libération, 25 mai 2018
BFM-TV [2]
[2] Ça rappelle de loin Robert Pandraud en 86 « Si j’avais un fils sous dialyse je l’empêcherais de faire le con dans la nuit. »