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Comité sur l’intervention : Que le gouvernement du Canada laisse ses scientifiques faire leur travail !
lundi 11 mars 2013, par
La mise sous tutelle des activités intellectuelles et créatrices peut aller très loin. La présidente de la Société royale du Canada a pris position en janvier 2013 sur les entraves aux libertés intellectuelles et scientifiques et sur la revendication fondamentale de pleine liberté des chercheurs.
Comité sur l’intervention : Que le gouvernement du Canada laisse ses scientifiques faire leur travail !
Ce texte peut également être lu ici.
La présidente de la Société royale du Canada (SRC), Yolande Grisé, en collaboration avec le Comité ad hoc sur l’intervention en matière d’intérêt public, a publié un article dans les journaux The Globe and Mail et Le Devoir du 4 janvier, au sujet de la relation entre les scientifiques du gouvernement et le gouvernement du Canada.
Les progrès scientifiques ont façonné la société moderne, permis d’améliorer la santé et le bien-être de la population canadienne et joué un rôle majeur dans la création des politiques publiques. La relation entre les scientifiques et le gouvernement du Canada est d’une importance capitale, étant donné le rôle crucial que joue la science en soutenant les intérêts à long terme du pays.
La Société royale du Canada (SRC) a été fondée il y a 130 ans par un acte du Parlement : on avait compris la nécessité du dialogue entre les politiques publiques et la recherche scientifique. Cette relation mutuelle entre la science et les politiques est basée sur l’importance qu’accorde le gouvernement aux avis scientifiques dans l’élaboration des politiques. Elle suppose également que les scientifiques reconnaissent que les décisions gouvernementales sont prises démocratiquement et doivent prendre en compte d’autres données en plus de celles fournies par la communauté scientifique.
Pour que cette relation fonctionne, les scientifiques ont le devoir d’agir en respectant les principes d’éthique et d’intégrité, et de communiquer leurs découvertes à l’ensemble de la communauté. La science ne peut progresser que si les découvertes faites en laboratoire ou sur le terrain sont communiquées et débattues, non seulement avec les autres chercheurs, mais également avec toutes les parties concernées.
Les gouvernements, quant à eux, sont tenus de respecter les recommandations des scientifiques et de ne pas entraver la diffusion des connaissances scientifiques.
Des scientifiques muselés
Les positions des scientifiques et du gouvernement du Canada peuvent parfois diverger, notamment lorsque la politique du gouvernement semble ne pas être alignée sur les meilleurs avis scientifiques. Cette tension peut s’avérer constructive : par exemple, le rapport scientifique d’août 2010 démontrant que les sables bitumineux polluaient la rivière Athabaska a incité différents niveaux du gouvernement à aborder sous un nouvel angle les méthodes de contrôle et l’activité industrielle de la région.
Cette relation constructive est présentement en danger au Canada. Les scientifiques employés par le gouvernement se sont vu imposer des limites déraisonnables lorsqu’il s’agit de communiquer leurs découvertes, que ce soit par le biais de la publication de leurs recherches ou de leur participation à des conférences scientifiques. Ces restrictions semblent particulièrement graves lorsqu’il s’agit de l’environnement, thème sur lequel plusieurs scientifiques à l’emploi du gouvernement canadien se sont vu refuser, ces dernières années, la possibilité de discuter de leurs travaux.
Un des cas les plus connus est celui de Kristi Miller, une scientifique du ministère des Pêches et Océans. Madame Miller a publié ses travaux sur les stocks de saumon du Pacifique en 2010, dans la revue internationale Science, mais n’a pas été autorisée à en discuter en public depuis. Pour se justifier, le gouvernement a expliqué qu’il devait contrôler les propos de ses employés, étant donné que ces propos pourraient être interprétés comme le point de vue du gouvernement.
Plusieurs organismes scientifiques, peut-être de manière plus remarquable les revues internationales de grande renommée que sont Nature et Science, ont sonné l’alarme et recommandé vivement au gouvernement du Canada de lever ces restrictions.
De telles restrictions vont à l’encontre de la propre politique du cabinet des politiques du gouvernement, à savoir que les décisions en matière de politique publique doivent s’appuyer sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles. Elles vont aussi à l’encontre des positions prises par plusieurs autres pays tels que les États-Unis et le Royaume-Uni, où l’on s’attend à ce que les scientifiques donnent leur avis de manière indépendante et sans restriction, qu’ils soient employés par le gouvernement ou non.
Des relations à clarifier
Il est possible de remédier à cette relation défectueuse entre les scientifiques et le gouvernement du Canada. Ce qu’il faut, c’est une politique, semblable à celles qui ont cours en d’autres pays, qui clarifie les relations entre les scientifiques, les recommandations qu’ils proposent et le gouvernement du Canada. Cette politique devrait préciser que c’est le rôle du gouvernement du Canada de solliciter et d’élaborer les meilleurs avis scientifiques disponibles en matière d’élaboration de politique publique. Elle devrait mettre en évidence l’engagement du gouvernement à promouvoir les connaissances scientifiques et à ne pas entraver leur diffusion.
Elle devrait aussi démontrer l’engagement du gouvernement à utiliser des données scientifiques lors de l’élaboration de politiques, en reconnaissant les incertitudes qui les accompagnent parfois et la nécessité de prendre en compte différents points de vue. Elle devrait assurer l’indépendance des avis scientifiques. Elle devrait, enfin, réaffirmer la responsabilité des scientifiques de mener leurs travaux selon les normes déontologiques, de communiquer leurs résultats de manière objective et de signaler les conflits d’intérêts auxquels ils font face. Une telle politique permettra de renforcer le rôle de la science dans l’élaboration des politiques publiques.
Dans un contexte mondial en évolution constante, le Canada ne pourra réussir que s’il tire parti des meilleures recommandations scientifiques pour prendre ses décisions. Dans l’immédiat, le gouvernement du Canada doit redonner leur pleine liberté aux scientifiques à son emploi et les laisser faire leur travail. C’est l’intégrité de l’élaboration de politiques publiques fondées sur les preuves qui est en jeu.
Le public devrait pouvoir avoir accès sans entraves aux connaissances dispensées par nos scientifiques - comme madame Miller - lorsque ceux-ci font des découvertes d’intérêt commun.
Yolande Grisé, présidente de la Société royale du Canada.