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L’Université libre de Berlin découvre l’élitisme : Fac contestataire de la guerre froide, la « FU » a été retenue pour être une des neuf universités d’excellence allemandes. Un tournant radical. Libération, 27 septembre 2010

mardi 28 septembre 2010

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« C’est là-bas que le prix Nobel de chimie Otto Hahn a réalisé pour la première fois la fission de l’atome », explique fièrement Peter André Alt, président fraîchement élu de l’Université libre de Berlin, en montrant par la fenêtre de son bureau une grosse bâtisse de style wilhelminien. Installé dans le quartier bourgeois de Dahlem (ouest), au milieu de pelouses et de rues ombragées, le cœur du campus urbain de la « FU » (Freie Universität), comme on dit ici, se plaît à adopter une petite allure oxfordienne : « Au classement 2008 du Times, nous sommes arrivés en 3e position pour les Sciences humaines derrière Oxford et Cambridge », souligne d’ailleurs le Pr Alt, quadragénaire au regard exigeant, l’un des artisans de la renaissance de l’Université : « Il faut garder les pieds sur terre et voir d’où nous venons. La FU a 60 ans et 350 millions d’euros de budget annuel. Oxford est vieille de plusieurs siècles et possède la moitié de la ville du même nom. »

Rivale. Depuis trois ans, la FU est l’une des nouvelles fiertés de Berlin. Elle est la seule université du nord de l’Allemagne à avoir obtenu le titre envié d’université d’élite dans le cadre de « l’initiative d’excellence » organisée par le gouvernement fédéral. Les huit autres lauréates se trouvent toutes dans les riches régions du sud-ouest. La récompense en a surpris plus d’un. En effet, créée en 1948 avec l’aide des Américains, en réponse à l’Université Humboldt de Berlin-Est, la FU a longtemps été plus réputée pour son climat politique opposant les anticommunistes purs et durs aux « lanceurs de pierre » gauchistes. Et à la Réunification, elle a dû partager ses moyens avec sa vieille rivale de Berlin-Est, vidée d’une bonne partie de ses professeurs jugés idéologiquement inaptes à poursuivre leur enseignement : « Nous sommes passés de 730 professeurs à 350 aujourd’hui et le nombre de nos étudiants a presque été réduit de moitié. Cela a été un processus très douloureux mais qui nous a obligés très tôt à réagir et à penser stratégiquement notre avenir », explique Peter André Alt.

« Avec l’Initiative pour l’excellence, nous écrivons une page de l’Histoire des Sciences », déclarait Annette Schavan, ministre fédérale de l’Education, en dévoilant le nom des universités gagnantes. Organisée en trois étapes, l’initiative décidée en 2005 par l’Etat fédéral et les Länder, est destinée à relancer la recherche et les universités allemandes dans la compétition internationale. Entre 2006 et 2017, les pouvoirs publics vont dégager près de 5 milliards d’euros de crédits supplémentaires pour les meilleurs projets universitaires de recherche et de développement, et ce sur trois niveaux. Sont récompensés : les centres universitaires pour doctorants, les « clusters » de recherche, c’est-à-dire les projets thématiques mettant en réseau plusieurs centres de recherches, et enfin le niveau suprême, les « universités d’élite » ayant présenté un concept d’avenir particulièrement convaincant : « Nous avons reçu le titre d’université d’élite pour notre concept de mise en réseau internationale des ressources universitaires, mais aussi pour notre Centre d’études sur l’Amérique du Nord, pour celui sur l’étude des cultures et sociétés musulmanes, ou, entre autres, pour notre cluster sur les "langages de l’émotion" », énumère Peter André Alt qui a participé à la création de modules internationaux de cours et au développement à l’étranger de la FU, via ses bureaux basés à New York, Pékin, Bruxelles, Moscou, New Delhi, Rio de Janeiro et Le Caire.

Hôtel. Pour l’Université libre, cette réussite signifie un apport financier supplémentaire de 25 millions d’euros par an. Et peut-être bientôt plus, puisque les résultats de la dernière phase de l’initiative gouvernementale, destinée à soutenir plus particulièrement les sciences sociales et les sciences naturelles, seront connus en 2011 : « La première année, nous avons pu investir 6,5 millions d’euros de plus pour faire venir des professeurs de l’extérieur. Cela change beaucoup de choses », explique Peter André Alt. A côté du « Sénat académique », sorte d’assemblée interne de l’université, de nouvelles structures sont apparues comme le « Conseil de l’excellence », le « Centre pour la coopération internationale » ou le centre de « Développement des clusters ». De nouveaux bâtiments et même un petit hôtel pour accueillir les invités étrangers de plus en plus nombreux, sont même sortis de terre.

95 euros. Evidemment, cette révolution en choque plus d’un : « Une université d’élite, peut-être, mais nos amphithéâtres sont toujours surchargés et les toilettes ne sont pas pour les élites », s’esclaffent un groupe d’étudiants sur le parvis du grand bâtiment central de l’Université construit dans les années 70 à quelques rues de la présidence : « Je ne me plains pas du niveau des cours, mais les conditions d’études ne se sont pas vraiment améliorées, même avec 500 euros de droits d’inscription », explique Jonas, étudiant en deuxième année de lettres.

Pour l’enseignement, le gouvernement vient de débloquer 2 milliards d’euros supplémentaires jusqu’en 2020. Soit, à raison de 2,1 millions d’étudiants allemands, 95 euros de plus par étudiant et par an. « On est loin du compte », commente ce professeur qui condamne aussi la dernière initiative du gouvernement Merkel qui accordera dès l’année prochaine 300 euros mensuels supplémentaires pour 10 000 étudiants brillants : « C’est vrai, l’initiative actuelle n’est pas suffisante, admet Peter André Alt. Mais sur mes 350 enseignants, environ 200 bénéficient des retombées du programme. C’est déjà pas mal. A mes yeux, l’intérêt principal de cette initiative, c’est d’avoir poussé les universités à réfléchir à leur profil et à penser leur avenir sur les dix ou vingt prochaines années. »