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Vers la titrisation du Crédit Impôt Recherche - Jean-Marc L’Hermite, directeur de recherche CNRS

mercredi 12 février 2014, par Mariannick

Un article de loi adopté le 29 décembre 2013 autorise dorénavant l’utilisation des créances du crédit impôt recherche (CIR) comme fonds de garantie pour les organismes de titrisation.

Le Crédit Impôt Recherche (CIR), première niche fiscale française, verra son coût augmenter au-delà de 6 milliards d’euros en 2014. Bien évidemment au détriment d’autres budgets publics, en particulier ceux de la recherche publique. On savait déjà cela. Un fait nouveau est cependant passé plus inaperçu, créé par l’adoption de l’article de loi suivant : LOI n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, Article 35 : « Au deuxième alinéa du I de l’article 199 ter B du code général des impôts, après le mot : « articles », sont insérées les références : « L. 214-169 à L. 214-190 et ». » ???

Sous cette forme absconse se cache le fait que les «  organismes de titrisation » pourront maintenant acheter la créance qu’une entreprise a acquise auprès de l’état au titre du CIR. « Le présent article [il s’agit de l’article 35 reproduit ci-dessus] vise à autoriser les entreprises à céder leurs créances de crédit d’impôt recherche (CIR) aux organismes de titrisation » résume le Sénat. L’ « exposé sommaire » des motifs de l’amendement n°345 [1], à l’origine de cet article 35, donne plus de détails : « Lorsque le montant du crédit d’impôt recherche (CIR) obtenu par une entreprise dépasse le montant de l’impôt dû, l’excédent constitue une créance sur l’État. Sauf cas particuliers (notamment les PME et les entreprises en difficulté), cette créance n’est pas immédiatement remboursable : elle s’impute sur le montant de l’impôt dû au titre des trois années suivantes, et c’est seulement après ce délai que la fraction de créance non imputée est remboursée par l’État.
Les entreprises qui souhaitent obtenir un apport de trésorerie immédiat peuvent céder leur créance à des établissements bancaires, dans le cadre des dispositions dites « Dailly ».
Afin de faciliter les apports en trésorerie, le présent amendement permet de céder également la créance à des organismes de titrisation.
 »

Quel est le bénéfice de cette opération pour l’organisme de titrisation, peut-on se demander ? (pour l’entreprise, on le comprend bien, cela permet de se procurer immédiatement des liquidités qui sinon ne lui seraient allouées par l’État que dans plusieurs années)

Avec la nouvelle règle du jeu, les créances du CIR peuvent, par définition d’un organisme de titrisation, se transformer par anticipation en titres financiers émis sur le marché des capitaux. Autrement dit, cet argent peut être est investi sur les marchés financiers avant même d’avoir été perçu. Il sert à réaliser des plus-values par définition spéculatives. On a du mal à imaginer qu’un organisme de titrisation décide d’acquérir les créances du CIR pour des raisons philanthropiques. La créance du CIR sert donc ici de garantie à ces capitaux, au même titre que l’actif constitué par une maison d’habitation par exemple, mais en plus fiable car il est certain que l’État remboursera le CIR, alors que la valeur d’une maison peut brusquement chuter (cf une certaine crise financière récente)

Le CIR est donc utilisé ici, de par sa cession par l’entreprise qui en bénéficie à l’organisme de titrisation, pour garantir des capitaux spéculatifs, ce qui était auparavant interdit mais que rend possible le présent article de loi. On comprend aisément que ce type de garantie soit recherché car c’est une valeur sûre : l’État remboursera la créance CIR à l’entreprise (ou plutôt en l’occurrence à l’organisme financier qui l’a acquise), c’est certain.

En conclusion, les créances du CIR pourront dorénavant servir de fonds de garantie aux sociétés financières les plus spéculatrices qui soient, les organismes de titrisation. Parallèlement, Jean-Marc Ayrault déclarait encore au journal Le Point le 16 janvier 2014 : « La finance qui spécule, la finance qui fraude, c’est l’ennemi ».

Cherchez l’erreur…


[1Présenté par Dominique Lefebvre (SRC)