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Compte rendu de la réunion de la Commission nationale recherche, enseignement supérieur du Parti Socialiste, tenue le 17 février 2010

mercredi 21 avril 2010, par Elie

« Augmenter le nombre d’étudiants : un défi pour l’enseignement supérieur »

Intervenants :
- Bertrand Monthubert, Secrétaire national du Parti socialiste à l’Enseignement supérieur et à la
recherche
- Guillaume Houzel, ancien Président de l’Observatoire de la vie étudiante, co-auteur de "Les
étudiants en France - Histoire et sociologie d’une nouvelle jeunesse", PUR, 2009.
- Philippe Askénazy, économiste.
- Jean-Baptiste Prévost, président de l’UNEF.

Bertrand Monthubert introduit la discussion :

Il souligne une rupture historique dans le mouvement d’élévation du niveau de qualification en
France, interrompu depuis quelques années. Cette rupture se traduit par :
- une baisse du nombre d’étudiants à l’université, spécialement dans les filières de sciences
« dures »
- une baisse du taux de poursuite :

En 2002 81,5% des bacheliers poursuivaient leurs études

En 2005 81,90 %

En 2009 (estimation) 75,60%

Cette baisse de l’appétence pour les études supérieure est très grave, et traduit l’échec de la
politique de la droite en matière d’enseignement supérieur.

Dans le cadre de la construction de notre projet pour 2012 (forum des idées enseignement
suéprieur recherche le 20 octobre 2010, convention égalité réelle décembre 2010), nous devons affiner
nos propositions pour répondre à cette situation, en particulier deux d’entre elles :
- l’allocation d’autonomie universelle : quels objectifs, comment les atteindre, comment
éviter les écueils ?
- l’amélioration de l’accueil et de l’encadrement pédagogique

Philippe Askénazy souligne que les enjeux de la poursuite d’études sont multiformes :

1/ D’un point de vue individuel, on sait ce que rapporte une année d’étude supplémentaire : 5 à
10% de salaire en plus par année d’étude. C’est aussi vrai dans les pays développés que dans les pays
émergents. De plus le diplôme est une protection contre le chômage.

- Pour la société, c’est également un gain incontestable : le « rendement collectif » d’une année
d’étude est du même ordre de grandeur. Un an d’étude de plus en moyenne enrichit le pays de 5 à 10%.

Le nombre d’années d’études supérieures à un impact (individuel et collectif) non négligeable sur
la santé, le taux de mortalité, l’espérance de vie (parce qu’il rend à la fois plus riche – meilleur accès à la
santé, à une alimentation de qualité – et plus informé – cf. la consommation de tabac).

=> Tous les pays ont intérêt à avoir une population éduquée.

La dynamique du capitalisme impose également une élévation du niveau de qualification :

- Avec la fin du taylorisme, on assiste à l’émergence de technologies (NTIC) adaptées à une
main-d’oeuvre qualifiée (cette qualification n’est d’ailleurs pas nécessairement technique). Ce n’est pas
un hasard si ces technologies sont nées aux Etats-Unis, pays qui possède le plus fort capital humain.

Ce biais technologique crée un gap de plus en plus profond entre les qualifiés et les autres :
l’écart s’accroît entre ceux qui n’ont pas le Bac et ceux qui font des études supérieures.

2/ La crise devrait également conduire à amplifier l’effort de qualification :

- d’ailleurs, la plupart des grands pays industriels fait le choix de retarder l’entrée des jeunes sur
le marché du travail et de les garder dans le système éducatif (la Grande-Bretagne, les Etats-Unis qui
viennent d’augmenter leurs dépenses éducatives de 6%, l’Allemagne)

(Bertrand Monthubert : Les contrats aidés ont un coût , il serait plus intelligent de dépenser cet
argent pour former et éduquer. Si on ne le fait pas, c’est parce que l’on a une vision ultra-élitiste,
et que l’on considère que ces jeunes sont trop « nuls » pour être éduqués)

- c’est d’autant plus important que l’on sait qu’il y a des effets permanents (en termes de type de
profession et de salaires) de l’entrée sur le marché du travail à un mauvais moment du cycle
économique. De plus, on sait que l’on aura besoin de main d’oeuvre qualifiée au moment de la sortie de
crise.

- la France a également opté pour cette stratégie, jusqu’à récemment, puis cet effort a stagné
avant de régresser.

3/ - Il y a parfois des réticences, y compris chez les universitaires, à massifier l’accès aux études
supérieures (crainte de « la baisse du niveau »). Mais ces réticences doivent être dépassées : le niveau
médiocre doit justement conduire à intensifier l’effort éducatif.

- Il faut comprendre que la France a accumulé un énorme retard dans la démocratisation de
l’enseignement supérieur (20 ans sur les pays comparables). Le choc des années 1980-1990 n’a pas
encore été absorbé, et de nombreux professeurs n’ont pas été formé à accueillir ces nouveaux publics. Il
faut donc aller de l’avant.

- Ce retard a en effet de nombreuses conséquences :
- les parents des étudiants actuels sont souvent peu qualifiés (40 à 50% des parents des
jeunes de 20 ans n’ont pas dépassé le niveau du Brevet, aux Etats-Unis, c’est 20%, en
Allemagne 18%) : or la reproduction sociale dans ce domaine est considérable. => On
paye une génération de retard.
- (Guillaume Houzel) : ce retard contribue aux difficultés d’emploi des séniors. Les taux
d’emploi des séniors sont bien meilleurs dans les pays où la démocratisation s’est faite
plus tôt
- la bonne nouvelle, c’est que dans 10 ans, ce retard sera largement résorbé : on
s’achemine donc vers une nette amélioration, pour peu que l’on s’en donne les moyens.

Il faut donc, plus que jamais, pousser les jeunes à entreprendre des études supérieures.

Guillaume Houzel rappelle que le bouleversement des cinquante dernières années, le doublement de la durée des études, est interrompu depuis plusieurs années.

En ce domaine, le moment clé est la décennie 1985-1995. La proportion de bacheliers a alors été
multipliée par deux. La hausse de l’instruction a touché toute la société. Des efforts monumentaux ont été
fait et la « digestion » est quelque peu difficile.

Depuis 1995, on assiste à une stagnation, voire une régression.

- On n’a pas passé le cap des 3 millions d’étudiants. Le nombre d’étudiants en France ne
se maintient que grâce à l’apport des étudiants étrangers (100000 supplémentaires)

- Le taux d’échec en premier cycle reste préoccupant : le nombre de ceux qui sortent
sans diplôme (autour de 20%) ne diminue pas.

- Le phénomène est le même pour le baccalauréat : nous sommes rapidement parvenu
au chiffre de 80% d’une génération, mais il y a toujours 150000 jeunes qui sortent du
système sans diplôme ni qualification.

- Le taux de poursuite d’études diminue.
- Il faut noter que la seule filière dont les résultats au Bac progresse encore, c’est
le Bac Pro, or 60% des bacheliers pro ne font pas d’études supérieures, ce qui
impacte le taux de poursuite d’études

- le système français reste particulièrement discriminant socialement, et l’est davantage à
chaque niveau :
- En 6e : 12% des élèves sont des enfants de cadres
- en Terminale S : 24% des élèves sont des enfants de cadres
- en CPGE scientifique : 42% des élèves sont des enfants de cadres
Les enfants de parents éduqués se débrouillent mieux que les autres, non seulement en raison
du niveau scolaire mais aussi et surtout en raison des différences de choix stratégiques et d’ambition
scolaire.

Les freins à la poursuite d’études :

- le déclassement / l’absence de perspectives : ne pas être cadre qd on a fait des études est très
difficile à vivre

- le travail : 75% des étudiants travaillent

25% travaillent l’été, ce qui n’est pas pénalisant scolairement

10% suivent des études en alternance qui intègrent des activités
rémunérées

15 à 20% travaillent beaucoup, longtemps, en même temps que les
études. Une situation très pénalisante d’autant qu’elle contraint la
longueur des études et les choix d’orientation (IUT / prépas impossible)

Attention cependant : les étudiants ne sont pas pauvres, puisque… la plupart des
pauvres ne font pas d’études longues

- la France met trop le paquet sur la formation initiale au dépend de la reprise d’étude et la
formation continue

- La France est un pays particulier car les jeunes partent de chez eux sans autonomie financière.

=> Il faut des réponses politiques globales, de ne pas se cantonner à des solutions catégorielles.

=> Il faut prendre garde, dans la mise en place d’une autonomie financière à ne pas faire un
système redistributif à l’envers

Jean-Baptiste Prévost souligne l’intérêt d’un sujet trop peu traité et pourtant essentiel dans le cadre de la démocratisation

- La baisse du nombre d’étudiants ouvre la voie à une régression sociale très importante

- L’intérêt social de la hausse des qualifications n’apparaît plus au moment où pour de nombreux
étudiants, les promesses individuelles se révèlent être une supercherie.

- Au moment où le discours sur les étudiants les présente comme une population de privilégiés
qui coûtent cher, il y a un besoin d’un discours de confiance et d’un projet collectif.

L’explication de la baisse :

- Un effet démographique conjoncturel

- Dévalorisation de l’université, contre toute rationalité : celle-ci a honorablement réussi le défi de
la massification

- Parallèlement, attrait pour les filières sélectives dans lesquelles l’Etat investit massivement et
dans lesquelles le taux d’encadrement est élevé, favorisant les innovations pédagogiques.

Le problème de la structuration de l’enseignement supérieur

=> la structuration du paysage universitaire, avec d’un côté l’université ouverte à tous les publics
et de l’autre, la reproduction des élites dans les grandes écoles est un anachronisme : il n’y aura pas de
revalorisation de l’université sans remise en cause des GE. Il faut commencer par intégrer les CPGE à
l’université.

- L’université n’a pas toujours su s’adapter : elle formait traditionnellement les professions
réglementées (avocats, médecins…), les fonctionnaires et les chercheurs : ce n’est plus le cas
aujourd’hui

- Les premiers cycles sont complètement délaissés, et de plus en plus depuis la loi LRU : ils
doivent redevenir une priorité :
- augmentation du taux d’encadrement
- pluridisciplinarité
- lutte contre l’échec

=> La vocation sociale de l’université doit être posée

La question sociale :

Aujourd’hui, le temps de la formation et de l’insertion est un « nouvel âge de la vie » qui concerne
50% des gens, or, il ne correspondent à aucun statut social :
- aucune protection sociale
- dépendance familiale
- obligation du travail salarié, or on sait qu’au delà de 15h hebdomadaires, les taux
d’échec augmentent massivement

La France n’a pas su choisir entre les deux modèles qui existent en Europe : l’aide directe
(comme au nord de l’Europe) ou l’aide familiale (comme en Italie).

- En France, on a un système anti-redistributif avec seulement 1,4 milliard pour les
bourses et 1,7 milliards d’exonérations fiscales dont bénéficient surtout les plus riches

=> Au nom du rendement collectif de l’éducation, il faut aujourd’hui une protection sociale pour
les étudiants.

Quelques questions et éléments de débat :

- Quid des mesures pour empêcher les jeunes d’entrer sur le marché du travail ? Est-ce qu’elles
ont des effets ?

PA : En GB, on a multiplié les bourses et imposé un salaire minimum pour les moins de
23 ans, afin que les étudiants diminuent leur nombre d’heure travaillées

- Cette diminution du taux de la poursuite d’étude concerne-t-elle toutes les filières ?

HM : il y a clairement une stratégie d’évitement de l’université en raison de la misère
universitaire

Les troisième cycles scientifiques survivent grâce aux étudiants étrangers

Les filières privilégiées sont celles qui ont des intitulés professionnalisant

PA : Il est difficile de faire des mesures filières par filières, mais il est clair qu’il y a un
désenchantement universitaire. Rappelons que l’université, traditionnellement, était le
lieu où se formaient les fonctionnaires : crise des débouchés

- Y a t-il un optimum de durée d’études ?

NB : les ingénieurs qui ont fait des doctorats sont
aujourd’hui moins bien payés qu ceux qui n’en n’ont pas fait.

HM : S’il existe un optimum, on en est loin

PA : les Phd mal payés, cela n’existe nulle part ailleurs qu’en France
- lié au phénomène des Grandes écoles
- pose des problèmes