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Les écoles rurales se sentent sacrifiées par l’Éducation nationale - Faïza Zerouala, Médiapart, 21 février 2018
mercredi 21 février 2018, par
Les ouvertures et fermetures de classes pour la rentrée prochaine ont été dévoilées. Les syndicats et élus dénoncent la perte de plusieurs postes en milieu rural. Ils jugent que ces sont déshabillées pour permettre la mise en œuvre du dédoublement des CP et CE1 en éducation prioritaire, la mesure phare de l’exécutif. Le ministre de l’éducation nationale dément ce constat.
Les uns accusent le ministre d’être de mauvaise foi. Lui fustige « la démagogie » des élus ruraux, qui l’ont interpellé à plusieurs reprises à l’Assemblée nationale. Ces derniers, appuyés par les syndicats, ont pointé la situation délicate des écoles rurales, qui subiraient des fermetures de poste à la rentrée prochaine. La presse locale répercute grand nombre de mobilisations.
Ces contestations sont rituelles et se produisent tous les ans, lorsque les dotations en postes sont dévoilées par les académies à partir de la fin du mois de janvier. Mais cette année, la protestation a une tonalité et une force particulières. Elle cible la mesure phare d’Emmanuel Macron à destination de l’éducation prioritaire, le dédoublement des classes de CP en REP +, le grade maximum. Le ministre Jean-Michel Blanquer a été chargé de mettre en musique la réforme sociale phare en matière d’éducation pour ce quinquennat (lire ici notre reportage dans ces classes).
À la rentrée, après les 2 500 classes de CP, les CE1 de REP + et les CP de REP seront à leur tour dédoublés. Reste à savoir avec quels moyens. Au cœur de ces invectives, chaque camp brandit des chiffres pour expliquer qu’il a raison, accusant l’autre partie de mentir. Début février, les syndicats d’enseignants SNUipp-FSU, SE-Unsa et Sgen-CFDT dénonçaient de concert, dans un communiqué commun, la dégradation des conditions d’enseignement des professeurs, qui vont devoir composer avec des classes surchargées.
Le principal syndicat d’enseignants du primaire, le SNUipp-FSU, estime que l’école rurale est « dépouillée » et que le dédoublement est « insuffisamment budgété ». Dans un communiqué paru le 20 février, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) considère que les CP dédoublés « vampirisent » les postes, expliquant avoir été alertée sur des fermetures de classes par de nombreux parents, « particulièrement en milieu rural, et sur un manque d’enseignants dévolus à la scolarisation des moins de 3 ans. Dans certains Conseils départementaux de l’éducation nationale (CDEN), les parents FCPE se sont vu expliquer qu’il faudrait arbitrer entre l’accueil des tout-petits et les brigades de remplacement ». Elle conclut ainsi : « Cette situation est intenable, elle pénalise des territoires déjà fragilisés pour lesquels l’école est synonyme de vie et d’attractivité. »
Et ce alors qu’Emmanuel Macron s’était engagé, lors de la conférence des territoires au Sénat en juillet 2017, à ce que les communes rurales ne soient pas « une variable d’ajustement » et à ce qu’il n’y ait « plus aucune fermeture de classes dans les zones rurales ».
Des critiques qui agacent franchement le ministre. Jean-Michel Blanquer a été interpellé plusieurs fois sur le sujet ces derniers jours. « Dans chaque département rural de France, on comptera à la rentrée prochaine plus de professeurs par élève que cette année », assure le ministre en évoquant les 3 881 postes qui doivent être créés dans le premier degré, alors qu’il y aura 32 657 élèves de moins, a-t-il expliqué lors des deux dernières sessions des questions à l’Assemblée nationale.
« Il y a toujours eu des classes qui ferment, mais il y a aussi des classes qui ouvrent », a déclaré le ministre sur Public Sénat jeudi 15 février. « Il n’est pas toujours très honnête de lister les classes qui ferment sans mentionner les classes qui ouvrent. Je suis extrêmement engagé dans la renaissance du monde rural », a ajouté Jean-Michel Blanquer, qui refuse de laisser dire qu’il le « sacrifie ». Au ministère, on explique que « dans les 49 départementaux les plus ruraux, le taux d’encadrement sera élevé alors qu’il est déjà supérieur à la moyenne nationale grâce au maintien de 1 200 postes qui auraient dû être supprimés en lien avec la baisse d’effectifs de 19 864 élèves à la rentrée 2018 ». Europe 1 a voulu savoir ce qu’il en était réellement et conclut qu’à l’échelle des territoires, des postes vont manquer. Le dialogue de sourds entre le ministère et les syndicats se poursuit.
De leur côté, les organisations syndicales n’en démordent pas. Par un effet de vases communicants, les postes créés vont tous être absorbés pour réaliser les dédoublements en éducation prioritaire. Xavier Suelves, délégué national écoles du SE-Unsa, chiffres à l’appui, persiste à expliquer que le ministre a sous-estimé les besoins réels. La dotation nationale du premier degré est de 3 600 postes. La baisse démographique, avec 32 000 élèves en moins, permet de récupérer 1 200 postes. Donc, en tout, 4 800 postes sont disponibles. Or, selon le responsable syndical, il faudrait de toute façon 7 200 postes pour assurer les dédoublements en éducation prioritaire. Il manque donc 2 400 postes.
« On va les récupérer ailleurs, dans les départements, sur quatre viviers : les remplaçants, les postes de formation continue, les écoles maternelles et rurales. » Pour Xavier Suelves, la logique mathématique du ministre est simple : « On affiche une dotation positive en mettant en avant cette baisse d’effectifs réelle, mais sans mettre cela en regard avec les besoins nécessaires pour mettre en place les dédoublements. » Francette Popineau, du SNUipp-FSU, fait peu ou prou un calcul identique, même si elle table plutôt sur 6 000 postes nécessaires à déployer pour les dédoublements.
De fait, les conséquences sont multiples. Les responsables syndicaux prédisent une dégradation des conditions d’apprentissage et une désorganisation générale. Xavier Suelves pointe le fait que des enfants vont « devoir prendre un bus pour aller à l’école à 45 minutes de leur domicile car l’école aura été fermée. Cela engendre des coûts pour le conseil départemental qui doit mettre en œuvre ce transport scolaire. Les enfants doivent de fait déjeuner à la cantine, ce qui coûte aux mairies et aux parents ».
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