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L’abandon larvé de l’IRD - Sylvestre HUET, Libération, 15 janvier 2015

lundi 19 janvier 2015, par Pr. Shadoko

Dans l’attente depuis juin d’un directeur, l’Institut de recherche pour le développement est affaibli.

Le gouvernement se préoccupe-t-il d’aider les pays les plus pauvres à l’aide de la coopération scientifique ? Question sérieuse, tant il est difficile d’imaginer des solutions aux défis qu’ils affrontent - croissance démographique, alimentation, santé, développement économique, urbanisation… - sans mobiliser sciences et technologies. Et alors que leurs capacités en ces domaines sont d’une extrême faiblesse. Au regard de l’incapacité gouvernementale à nommer en temps et en heure un successeur au président de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), chargé de cette coopération, on en doute.

Depuis juin, l’IRD est donc dirigé par un Michel Laurent qui fait l’intérim de sa propre fonction de président, puisque son mandat n’allait pas plus loin. La date de son départ est connue depuis juin 2010, lors de sa (re)nomination par Valérie Pécresse. Ce dysfonctionnement met les deux ministères de tutelle de l’IRD en cause : l’Enseignement supérieur et la Recherche (Geneviève Fioraso) et les Affaires étrangères (Laurent Fabius).

La semaine dernière, une commission présidée par Laurence Tubiana a auditionné les candidats à la présidence de l’IRD. Parmi lesquels deux scientifiques de l’établissement (le biologiste Bernard Dreyfus et le géologue Pierre Soler) ou le diplomate spécialiste du développement Jean-Marc Châtaigner. Choisir le meilleur sera nécessaire, mais pas suffisant. Nécessaire tant la direction de Michel Laurent, vivement contestée par une lettre signée de nombreux directeurs de laboratoire, a déstructuré et affaibli l’IRD. La délocalisation de la direction et des fonctions centrales à Marseille fut un massacre, avec près de 83% des personnels qui n’ont pas suivi. Et un « plafond de verre » s’est interposé entre les unités de recherche et la direction, expliquent les directeurs de labos. Quant à la création d’une « agence » censée coordonner l’action avec d’autres établissements, c’est un échec cuisant.

Mais un bon choix ne suffira pas. Car Michel Laurent a mis en œuvre une orientation décidée sous la droite et poursuivie depuis. Sous couvert d’« excellence scientifique », elle a miné la raison d’être de l’IRD : conduire des recherches, former des scientifiques et réaliser des transferts de connaissances au bénéfice des pays du Sud, en particulier de l’Afrique, avec lesquels la France a des liens historiques.

De plus en plus dispersés dans des laboratoires à caractère universitaire - et pour les deux tiers en France -, les chercheurs de l’IRD font certes de la bonne recherche, mais l’activité censée justifier l’existence de l’établissement, à conduire dans les pays du Sud, s’étiole malgré les îlots de résistance, comme au Sénégal ou au Pérou. Les crises des pays d’Afrique subsaharienne y ont fortement contribué. C’est là une raison de plus pour renforcer la mission centrale de l’IRD, car son abandon larvé en signe un autre, celui des pays les plus déshérités.