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"Réforme du lycée : l’histoire et la mémoire en option ?", par le CVUH (Libération du 15 octobre)

dimanche 19 octobre 2008, par Laurence

[Le CVIUH est le comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire.]

http://cvuh.free.fr/article204.html

Le Journal du dimanche du 5 octobre 2008 a annoncé une inquiétante nouvelle
 : dans la réforme prévue du lycée, et coordonnée par le Recteur Gaudemar,
l’histoire-géographie
disparaîtrait du tronc commun des programmes de Première et en Terminale. En
sommes-nous aujourd’hui au stade de la simple rumeur ou de l’effet d’annonce
quasi officiel ? Quelle que soit la réponse, cette idée est à prendre au
sérieux, notamment dans le contexte général d’une particulière sensibilité
de l’opinion publique aux questions d’enseignement, et face à cette
multiplication d’usages publics de l’histoire qui saturent les débats
sociaux et politiques. Que l’on songe seulement à la campagne électorale de
Nicolas Sarkozy et à ses références quasi compulsives à l’histoire de France
 ; au futur musée d’histoire de France qui se profile aux Invalides ; aux
différentes pratiques gouvernementales qui instrumentalisent le passé comme
lecture de la lettre de Guy Môquet dans les lycées.

Peut-être serait-ce dans le contexte plus précis d’une modification en
profondeur de la formation des enseignants que l’on pourrait chercher des
clés d’analyse de cette annonce. Que l’on se souvienne...

Dans un premier temps, les IUFM sont déclarés supprimés. Dans un second
temps s’ouvre une curieuse période où l’on voit des universités chargées à
la hâte d’inventer des formations pour des concours qui ne sont pas encore
définis. Dans un troisième temps, on « découvre » que la soi-disant
disparition des IUFM (en fait intégrés dans les Universités) a masqué la
disparition de stages de formation comme le rappelait Antoine Prost dans le
« Libération des historiens ».

Instruits de cette expérience, nous savons donc que cette annonce est le
prélude à des réformes de grande envergure. Pour l’instant nous dit-on, rien
n’est encore décidé, mais la vigilance est de mise : les enseignant(e)s ne
peuvent rester coi(te)s devant les pauvres ruses éventées de la
communication. Que l’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas ici d’une
réaction corporatiste de défense de la discipline comme si le statu quo ne
posait aucun problème. Nous insérons d’abord notre protestation dans une
critique d’ensemble des méthodes du Ministre : décisions à la hussarde,
absence de réflexion sur les objectifs de l’éducation publique dans la
réalité complexe de la société d’aujourd’hui, incohérence d’une « réforme »
du lycée après celle de l’école en laissant de côté le maillon le plus
sensible et le plus essentiel, le collège.

Certes, l’histoire n’est pas une explication naïve du présent. Mais
l’acquisition
d’une conscience historique participe de la mission essentielle de l’école,
celle de la préparation à la responsabilité à assumer dans la société de
demain. Installer les adolescents dans l’ignorance du passé et de ses
enjeux, c’est enfreindre l’acquisition de capacités critiques et les
condamner à terme à une sérieuse atrophie de leur conscience politique. En
effet, si l’enseignement de l’histoire devient optionnel, on interdit à
certains élèves tout accès à la connaissance d’une histoire toujours à
découvrir et dont l’interprétation ne cesse d’être revisitée. L’appréhension
du passé permet à tout individu d’être en capacité de se situer dans le
présent, de devenir un acteur de l’avenir. Si on laisse s’installer les
confusions, les brouillages entre passé et présent, alors les discours
politiques pourront, sans contrôle, user et mésuser de l’histoire. Le passé
sera mis au service des discours de vérité, et le débat démocratique qui
repose sur la mobilisation d’outils critiques se verra réduit à de simples
joutes d’opinions, en apparence contradictoires, en réalité stériles et
purement consensuelles. L’histoire n’est pas simplement une discipline, elle
aide à saisir les impasses dans lesquelles nous sommes plongées. Que l’on
songe à la crise financière actuelle, comment la comprendre désormais sans
remonter à la genèse du capitalisme ? Autre exemple, comment rendre
intelligible une formule aussi chargée de sens telle que "la démocratie
participative" sans l’inscrire dans le temps ? Devrons-nous nous contenter
des déclarations de quelques candidat(e)s , en quête de notoriété ?

Quel que soit le stade de la réforme annoncée, et sans défendre forcément
les filières traditionnelles, nous demandons donc que la question de la
mémoire collective, celle du poids du passé et notamment des héritages du
20ème siècle sur les problèmes d’aujourd’hui figurent explicitement dans le
cahier des charges de l’éducation de tous les adolescents français du 21è
siècle.

Que voulons-nous pour nos enfants ? La question est large, et l’enjeu est
très lourd car l’enseignement de l’histoire concerne autant les enseignants
et les chercheurs, que l’ensemble des citoyens. Ne prêtons pas le flanc à la
lancinante critique de n’être que des « lobbies disciplinaires », mais
exprimons la volonté de faire exister et perdurer dans ce pays une
intelligence collective.