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La COMUE Bourgogne Franche-Comté - Pascal Maillard, Blog Mediapart, 30 mai 2014
samedi 31 mai 2014, par
Extrait du post
La Communauté « totalitaire »
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Au plan administratif enfin, la création de Communautés d’universités et d’établissements (COMUE) répond à l’objectif politique de passer de 80 à 25 universités, de taille mondiale ou régionale. Il s’agit de la plus grande entreprise de concentration jamais opérée dans une Fonction publique. Ces nouveaux monstres technocratiques et liberticides pouvant embrasser plusieurs académies et des dizaines d’établissements anticipent le projet de diviser par deux le nombre de régions ainsi que l’Acte III de la décentralisation. Les COMUE(s) sont mises en place en ce moment même, à marche forcée, en bafouant la démocratie universitaire, en rejetant le modèle associatif que certains défendent, et avec, quand il le faut, un chantage aux moyens : « Vous voulez l’argent d’un IDEX, adoptez une COMUE ! » (la preuve ici dans un PV de CA : p. 2). A partir d’un exemple concret de statuts de COMUE, un exemple de statuts invraisemblables, ceux de l’Université Bourgogne Franche-Comté (voir le projet de statuts en pièce attachée), je montre ci-dessous qu’il s’agit de créer de façon irréversible de nouveaux établissements gigantesques, soumis à une instance unique, rigoureusement non représentative et anti-démocratique, dirigée par un président tout puissant, qui décidera de tout sans laisser quelque marge de décision que ce soit aux universités et établissements qui auront fusionné dans ce nouveau Léviathan.
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La COMUE Bourgogne Franche-Comté rassemble deux régions qui correspondent à deux académies : les académies de Dijon et de Besançon, un territoire de 47 000 km2, soit 1/13ème du territoire français et quatre fois celui de l’Ile-de-France. Les incidences sur la mobilité étudiante et l’administration géographique de ce nouvel établissement unique seront majeures. Le contrat pluriannuel d’établissement sera unique pour un site, j’y insiste, qui ira de la lisière de l’Ile-de-France aux marches de l’Alsace, soit 400 km. Autant dire que la belle idée d’un ESR de proximité aura volé en éclat si un tel monstre devait voir le jour. L’éloignement des étudiants et des personnels des centres de décision sera une réalité géographique, administrative et politique.
Qu’en est-il de l’actuel projet de statuts de la COMUE « Université de Bourgogne Franche-Comté » ? L’UBFC est définie juridiquement comme une « communauté d’universités et établissements ». C’est un EPSCP, selon les termes de la loi. Cette nouvelle université est composée de 7 membres fondateurs : deux universités (L’université de Bourgogne à Dijon, L’Université de Franche-Comté à Besançon), une université de technologie (UTBM), trois écoles et un institut. Un 8ème membre signalé en rouge avec la mention « en discussion » est le CNRS. De même, avec un point d’interrogation, le « directeur du CNRS » pourrait faire partie du conseil des membres de la COMUE. Il faut bien mesurer la conséquence de l’entrée du CNRS comme membre à part entière dans les regroupements d’universités : ce serait la fin de la mission et du rôle national de recherche pour le première organisme de recherche européen.
La COMUE UBFC est une université de plein exercice, semblable en tous points à une autre université. Son président, élu par le CA, a les mêmes compétences que tout président (voir l’article 21). Il prépare et met en œuvre le contrat de site pluriannuel. Comme tout autre président il est assisté d’un bureau composé du président du Conseil académique, d’un VP chargé des ressources numériques et de VP délégués. Je remarque que le seul VP en titre est celui chargé des questions numériques, ce qui est politiquement lourd de sens quand on connaît les actuelles orientations ministérielles. Le Directeur général des services et le directeur de cabinet assistent aux réunions du bureau.
Si le conseil des membres exerce un rôle consultatif, son pouvoir d’orientation est important : il « prépare les travaux et la mise en œuvre de décisions du CA ». Il approuve à la majorité des 2/3 le contrat de site pluriannuel. Et ceci préalablement à tout vote du CA. Autrement dit, et c’est ici la différence majeure avec le fonctionnement d’une université telle que nous l’entendons, le conseil des membres, composé des seuls présidents et directeurs d’établissements, apparaît comme une instance qui surplombe et oriente le CA, avec à sa tête un président tout puissant, le président des présidents et directeurs, également président du CA, qui peut saisir le conseil « sur toute question de son choix ». Imaginons un instant les dérives du présidentialisme actuel de la LRU, élevées au carré sur le périmètre d’une université-COMUE de 15 membres, avec 80 000 étudiants et 10 000 personnels. Et ceci sans contre-pouvoir, ni parfois même de représentation de certains établissements au sein du CA.
Car, pour ce qui est de la composition du CA de l’UBFC (45 membres en tout), celui-ci ne comportera, parmi les 24 élus au suffrage direct que 6 enseignants-chercheurs de rang A et 6 autre de rang B, avec comme règle de composition des listes, l’obligation de faire alterner un candidat UB, un candidat UFC et un candidat d’un autre établissement. Conséquence inévitable : seuls deux établissements sur 5, hors les grandes universités, disposeront d’élus A, ou d’élus B au CA. Par exemple, l’UTBM pourrait très bien n’avoir aucun élu EC au sein du CA de la COMUE. Ce problème gravissime de représentation se pose pour toutes les COMUE(s). L’alternative est la suivante : ou bien des CA pléthoriques, ou bien des CA non démocratiques. Dans l’un et l’autre cas on n’échappe pas à la monstruosité. Elle est plus grande dans le second cas. Il est aussi prévu un corps électoral propre à l’UBFC, à savoir des personnels exerçant leur fonction au sein de la COMUE, hors universités ou établissements membres. Mais sa représentation n’est pas spécifiée, laissant la porte ouverte à de possibles recours.
J’en arrive au plus important : le transfert des compétences qui est en général le point névralgique de la rédaction des statuts de COMUE(s). Il n’y aura pas névralgie dans le cas qui nous occupe, mais une mort subite de la démocratie, comme si les rédacteurs en avaient même oublié l’existence. Les statuts de l’UBFC comportent en effet une triple originalité dont on appréciera la radicalité :
- Il n’est plus question de transfert de compétence, mais d’exercice de missions ;
- Les missions exercées par la nouvelle université correspondent à la quasi-totalité des compétences et missions assurées par toute université ;
- L’exercice de toutes ces missions commence à la date de création de l’UBFC.
Autrement dit, le vote de ces statuts par les CA des membres conduira ipso facto à la délégation totale et irréversible de toutes leurs missions et compétences. Je n’ai pas trouvé de domaines significatifs qui échapperaient aux compétences du nouvel établissement. Ça va jusqu’à l’apposition du nom UBFC sur la totalité des diplômes, la délivrance de diplômes propres, le portage de toutes les accréditations, la politique relative à l’HDR, la répartition des contrats doctoraux entre les établissements, la création de groupes de recherche, la fixation et l’attribution des dotations globales de fonctionnement aux laboratoires après versement à l’UBFC par chaque établissement de ses crédits récurrents, la signature de la production scientifique de ses doctorants et des personnels, le portage et la coordination des projets « « Investissements d’avenir », etc. On l’aura compris : il ne s’agit plus de délégation, ni de transfert, mais d’une auto-appropriation par l’UBFC de la totalité des compétences et missions de ses membres, y compris de certains crédits récurrents. Pour couronner le tout l’UBFC « peut implanter une partie de ses activités en d’autres lieux du territoire français ainsi qu’à l’étranger ». A quand les premières délocalisations ? J’ajoute pour terminer que l’administration nécessairement très lourde de cette COMUE devra se faire sans moyens financiers et humains supplémentaires, lesquels seront nécessairement prélevés sur les moyens des universités et établissement membres.
Il faudra que les représentants des CTE et tous les élus des établissements amenés à se prononcer sur de tels statuts, mesurent bien leur responsabilité et tout ce que leur vote engagera. Je n’imagine pas un seul instant qu’un représentant syndical dans un CTE puisse approuver de tels statuts, et pourtant je sais qu’il y en aura. Je le dis avec gravité : ceux-ci apporteraient alors un concours actif au grand œuvre des fossoyeurs de l’université que conduisent nos gouvernants.
Cette brève analyse des statuts de la COMUE UBFC est extraite d’une communication faite au Séminaire Politique des Sciences à l’EHESS, le 26 mai 2014, à l’occasion d’un Forum d’information sur les projets de regroupements dans l’ESR francilien.
Les statuts de l’UBFC sont téléchargeables ici