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Non, tous les chercheurs ne sont pas biologistes… Note de SLU à l’attention des titreurs de presse - 27 juin 2013

jeudi 27 juin 2013, par Mariannick

Et la biologie ne se résume pas aux sciences bio-médicales.

Emplois et budgets : polémique entre chercheurs

S. Huet, Blog Sciences<SUP>2</SUP> , 26 juin 2013

Une pétition à la ministre de la recherche, une dénonciation virulente de la dite pétition. C’est la polémique du jour entre chercheurs.

La pétition a été rédigée par les lauréats de la Fondation Schlumberger pour l’Enseignement et la Recherche. Parmi les premiers signataires on relève ces chercheurs, tous membres de l’Académie des sciences : Sebastian Amigorena, Directeur de Recherche CNRS, Bernard Malissen, Directeur de Recherche CNRS, Marcel Mechali, Directeur de Recherche CNRS, Dino Moras, Directeur de Recherche CNRS, Jacques Pouysségur, Directeur de Recherche CNRS, Alain Prochiantz, Professeur au Collège de France,Hugues de Thé, Professeur de médecine. Ils signent tous "Group Leader, Académie des sciences".

Ce texte réclame de « ramener la part de financement de l’ANR dans le budget de la recherche à son niveau antérieur » soit une remontée des crédits de l’Agence Nationale de la Recherche, alors que le ministère les a légèrement diminué afin de soutenir les crédits versés directement aux opérateurs de recherche (Cnrs, inserm, etc). Ce point a d’ailleurs fait l’objet d’une passe d’armes entre la Cour des Comptes et le ministère dans le dernier rapport de la Cour consacré à la recherche (lire cette note, dans la "réponse à la Cour", le ministère défend sa politique et conteste l’assimilation que la Cour fait de la recherche sur contrat de court terme financé par l’ANR à la "recherche d’excellence", comme si tout et uniquement ce qui est financé ainsi serait "excellent"). Il réclame aussi de « Ne pas appliquer sans discernement la loi Sauvadet à l’emploi scientifique dans la recherche publique. » […]

[Et réponse…] d’Alain Trautmann (élu au Conseil Scientifique du Cnrs) et Didier Chatenay, un physicien spécialiste de l’interface physique-biologie.

Comment une pétition de défense de la recherche biomédicale peut être délétère

Des biologistes français reconnus, lauréats de la Fondation Schlumberger pour l’Enseignement et la Recherche, ont lancé récemment une pétition intitulée "La recherche biomédicale est en danger, soutenons-la par deux mesures simples". Cette pétition adressée à la ministre G. Fioraso, l’alerte sur le risque que court la "recherche biomédicale" en France. Selon eux, deux mesures doivent absolument être prises : 1) maintenir le financement sur projet via l’agence de financement ANR 2) ne pas appliquer la loi Sauvadet au monde de la recherche et de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pas un mot sur les questions brûlantes de l’emploi scientifique ni sur l’étranglement financier des organismes de recherche.

Les récentes évolutions de l’organisation de la recherche en France ont abouti à un système incohérent à mi-chemin entre un modèle anglo-saxon basé sur des individus et un modèle français basé sur l’existence de collectifs de recherche que sont les laboratoires. Dans le premier modèle, des PIs (principal investigators), personnels statutaires en nombre très réduit et recrutés tardivement, font travailler un nombre important de personnels non statutaires (doctorants et post-doctorants), dont une partie très importante devra ensuite abandonner la recherche ; l’essentiel des moyens obtenus par ces PIs provient d’agences de financement dans un mode de financement par projet spécifique. Dans le second modèle les recherches sont menées par des personnels statutaires (chercheurs, ingénieurs, techniciens et administratifs) et des personnels non statutaires mais cette fois-ci avec le souci de limiter au maximum la période précarité que constitue le post-doctorat, ce qui jusqu’à un passé récent conduisait à des recrutements de statutaires à des âges nettement moins élevés que dans le modèle anglo-saxon ; les laboratoires recevaient des moyens correspondant à un projet scientifique collectif avec une vision à relativement long terme, moyens modulés par une évaluation pratiquée en relation avec les principaux pourvoyeurs de postes et de financement (situation totalement bouleversée et devenue absurde depuis l’apparition de deux agences découplées, l’une se consacrant à l’évaluation, l’autre se consacrant à la distribution de moyens selon un mode de financement individualisé sur projet). Les deux systèmes ont montré une efficacité certaine pour la production scientifique. Pour la production maximum, le modèle anglo-saxon est sans doute meilleur. Pour le rapport production/coût pour le pays le modèle français est sans doute meilleur. Les récentes évolutions de l’organisation de la recherche en France ont conduit à la création d’un monstre hybride issu des deux modèles décrits ici et dont on ne peut que chaque jour constater les incohérences et dénoncer, comme le font les auteurs de cette pétition, les menaces qu’il fait peser sur l’ensemble de la recherche française et pas seulement la recherche biomédicale.

Devant ces incohérences et ces dangers nous sommes arrivés à un tournant et il y a une réelle urgence à choisir le type d’organisation dont nous voulons doter notre recherche. Si le gouvernement veut soutenir le modèle français, il doit arrêter l’hémorragie des moyens attribués aux organismes de recherche, et annoncer un plan pluriannuel pour l’emploi, afin d’accroître l’emploi statutaire (mis à mal depuis plusieurs années). S’il veut soutenir le modèle anglo-saxon, il doit abandonner les organismes de recherche, donner plus de moyens à l’ANR, grande pourvoyeuse de financements sur postes précaires, diminuer le nombre de postes statutaires. Les choix gouvernementaux actuels sont les pires possibles : en refusant le plan pluriannuel pour l’emploi, en maintenant l’ANR tout en transférant 10% de ses moyens aux organismes dont les moyens sont par ailleurs en baisse constante, il ne fait que maintenir ce système devenu incohérent en faisant montre d’une absence totale de recherche d’efficacité dans l’utilisation de l’argent public !

Ce texte des "défenseurs de la recherche biomédicale" est frappant autant par ce qu’il dit explicitement que par ce qu’il omet de dire. Pour le non-dit, on notera que la défense de "la recherche biomédicale" ne prend pas la défense de la recherche en général (et bien évidemment de la biologie au sens large qui se voit réduite à sa simple part potentiellement utilitaire : celle qui peut avoir des retombées pour la santé). C’est une façon discrète de lâcher la recherche fondamentale, en tout cas toute celle éloignée a priori d’éventuelles applications (la médecine dans le cas de la biologie par exemple).

Un autre non-dit concerne le choix inévitable entre modèles français et anglo-saxon. Mais aucun doute n’est permis : l’absence dans ce texte de considération de la situation de l’emploi scientifique, de celle des organismes de recherche, démontre que c’est bien le modèle anglo-saxon qui a leur faveur. D’ailleurs, les premiers signataires signent tous, en anglais dans le texte : "Untel, directeur de recherche CNRS ou INSERM, Group Leader". Pourquoi ne poussent-ils pas la logique de ce choix jusqu’au bout de ce modèle, appliqué en France : affaiblissement accru des organismes de recherche, diminution du nombre de postes pour le recrutement de chercheurs et d’ingénieurs, augmentation de la durée du post-doctorat. Cela aurait au moins le mérite de la clarté ! Ces quinqua ou sexagénaires qui ont tiré d’énormes avantages du modèle français, avec un recrutement statutaire très jeune (un des premiers signataires de la pétition a été recruté au CNRS avant même d’avoir terminé sa thèse), défendent dans les faits, sans oser l’expliciter, les vertus supposées d’une précarité qu’ils n’ont jamais vécue, et qui, pour les générations actuelles, n’en finit plus.

Ce texte fait hélas la démonstration, qui n’est pas nouvelle, que l’on peut être tout à la fois un excellent scientifique, et, politiquement, faire preuve de plus d’inconséquence que de sens des responsabilités pour ce qui concerne le bien commun.

Outre cette absence de vision politique, les signataires démontrent à quel point ils sont éloignés des réalités en se montrant sérieusement ignorants des contraintes légales. Ce qui, en France, empêche d’employer une personne sur le même poste pendant plus de 6 ans en CDD n’est pas la loi Sauvadet, mais la loi Le Pors, bien antérieure, ainsi qu’une législation européenne. La loi Sauvadet a uniquement traité des conséquences qu’il y aurait, pour un employeur, à enfreindre ces lois. Demander la possibilité de ne pas respecter la loi Le Pors et la législation européenne, en appelant tout cela la loi Sauvadet et en imaginant que c’est possible, c’est irresponsable, de la part de très bons scientifiques s’adressant à leur ministre. Par ailleurs, les signataires de cette pétition soulignent leur opposition avec ceux qui demandent la titularisation massive de tous les post-doctorants. Sur ce point nous sommes d’accord avec eux : la demande de titularisation massive -qui est très minoritaire dans notre milieu- est une position irresponsable et irréaliste. Mais ils ne disent pas un mot de la seule proposition sérieuse et largement soutenue : celle d’un plan pluriannuel pour l’emploi, avec recrutement sur concours, d’ingénieurs et de chercheurs.

Le gouvernement qui n’ose plus rien décider, risque de trouver un soutien bienvenu dans cet appel au maintien des privilèges de brillants scientifiques paradoxalement peu concernés par l’avenir du système de recherche en France, et par l’avenir des jeunes qui s’y engagent. Le gouvernement aura ainsi beau jeu de souligner la division de la communauté scientifique, ce qui permettra de justifier ses non-choix. Et ce gouvernement continuera à affaiblir notre système de recherche public, contrairement aux choix faits au même moment par les pays du Nord de l’Europe, et même un pays pourtant en grande difficulté comme le Portugal ! D’autres choix doivent être faits, qui ne sont pas ceux suggérés par la "pétition biomédicale".

A. Trautmann et D. Chatenay, le 25 juin 2013


Lire aussi notre brève « Y’a d’l’avenir dans la précarité »

Le portage salarial, miroir de la crise de l’emploi des docteurs - David Larousserie, Le Monde, 24 juin 2013

« Les chercheurs savent se montrer débrouillards. Pas seulement pour leurs expériences, mais aussi pour exercer leur métier. Devant la raréfaction des postes permanents dans les organismes et les universités, et devant les difficultés à renouveler les contrats à durée déterminée ("Science & médecine" du 22 mai), certains se tournent vers une solution atypique : le portage salarial. »