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Skhole.fr : de la "désaffection" pour les études scientifiques, par Pierre Arnoux
vendredi 22 février 2013, par
0 - Introduction
Les faits
En 1995, le nombre d’étudiants qui s’inscrivaient pour la première fois en université scientifique était de 63720. En 2005, au terme d’une décennie de chute ininterrompue, ce nombre était tombé à 38200, soit une chute de 40% en dix ans ; en 2011, on en était à 33154[1].
Un chiffre moins connu : le nombre de bacheliers scientifiques passe en 4 ans, de 1994 à 1998, de 140 497 à 122 148, pour osciller ensuite autour de 130 000 et se redresser dans les dernières années.
Ces chiffres, et de nombreux autres qui leur sont reliés, ainsi que le constat d’une baisse de niveau (moins facilement quantifiable) des étudiants dans certaines filières ont alerté au bout de quelques années les responsables ; ils témoignaient clairement d’une crise, et de nombreux rapports plus ou moins récents ont tenté d’éclaircir le phénomène à partir du début des années 2000, voir les références en fin de texte à Ourisson [10], Porchet [12], Dercourt [5], Klein [7],et Convert [3].
Une explication simple : la "désaffection’’
On a donné à cette chute une interprétation simple : si les étudiants se dirigeaient en moins grand nombre vers les études scientifiques, c’est qu’ils n’aimaient plus la science. Cette interprétation était directement compréhensible par tous ; elle a fourni le thème de nombreux articles, et pour la plupart des journalistes, cette désaffection, suivant le terme qui s’est imposé pour parler du phénomène, avait deux causes : d’une part, la science était ennuyeuse, car mal enseignée par des professeurs inaptes à la pédagogie, et d’autre part, la science avait fait la preuve des dégâts qu’elle peut causer (vache folle, Tchernobyl, Bhopal, réchauffement climatique... La liste est longue).
L’explication par la désaffection a de nombreux avantages. Elle est claire, simple, elle ne remet personne (sinon les enseignants) directement en cause, elle est mondiale (voir les chiffres de l’OCDE ), et résulte donc d’une crise de civilisation. Pour en parler, nul besoin d’études fines : s’il s’agit d’un phénomène mondial de civilisation, ce ne sont pas quelques détails qui changeront les choses, et les solutions ne peuvent venir de mesures concrètes et particulières, qui ne sauraient affecter un tel phénomène ; c’est l’ensemble de la façon dont notre société voit la science qu’il faut modifier, ce qui n’est sûrement pas à la portée de mesures réglementaires. Au mieux, on peut demander aux enseignants de faire preuve de plus de pédagogie, et proposer, comme cela a été fait, des campagnes d’information pour montrer l’intérêt de la science.
Les limites de cette explication
Je voudrais montrer que cette explication est incomplète, voire fausse, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, aucune étude sérieuse ne permet de conclure que les générations actuelles sont moins intéressées par la science que celles qui les précèdent ; comme le montre la première partie ci-dessous, les témoignages illustres de défiance pour la science ne datent pas d’aujourd’hui, et l’on n’a aucune raison de penser que l’état d’esprit général ait changé récemment, au-delà des articles récurrents sur le sujet.
Ensuite, comme je le rappelle dans les deuxième et troisième parties, cette vue des statistiques est extrêmement partielle : avant la chute actuelle, le nombre de bacheliers scientifiques et d’étudiants en sciences avait connu un quasi doublement lors de la décennie 1985-1994. Il faudrait alors expliquer comment a pu se produire une aussi extraordinaire affection pour les sciences, et comment elle a pu se retourner en un an (le processus s’inverse très brutalement en 1994 pour le baccalauréat, et logiquement l’année d’après en université). De plus, les statistiques mondiales de l’OCDE sont moins claires qu’on ne le dit : elles connaissent de fortes variations en Allemagne, assez bien expliquées par des causes économiques ; aux Etats-Unis, un rapport récent de la NSF [9] montre une augmentation de 30% du nombre de graduate students en sciences et technologie depuis 2010. Dans ce pays, l’opposition est moins entre les études scientifiques et les autres qu’entre études professionnalisées et études fondamentales, que ce soit en lettres ou en sciences. C’est d’ailleurs aussi le cas en France : on constate une chute régulière des effectifs en lettres. On pourra consulter là-dessus le petit livre de Bernard Convert, auquel cet article doit beaucoup.
Enfin, il n’y a pas de raison de croire que les étudiants se dirigent en priorité vers les études qu’ils aiment, comme le bon sens porterait à le croire ; ils choisissent plutôt, de façon très sensée, des études qui leur sont accessibles, et leur apportent des débouchés. La profession qui attire le moins d’élèves de terminale scientifique est celle d’expert financier (voir Convert) ; mais le master de mathématiques qui a le plus gros effectif en France est celui de mathématiques financières de Paris 6, réputé pour sa difficulté, son haut niveau théorique, et ses débouchés particulièrement attractifs...
Une autre vue sur la chute des effectifs
On peut, en regardant les faits, avancer une toute autre explication.
La chute, puis la stagnation, du nombre de bacheliers scientifiques, proviennent essentiellement de la réforme de la "rénovation pédagogique’’, conçue vers 1990, appliquée en seconde à la rentrée 1992 et arrivée au bac en 1995, poursuivie par la "réforme des lycées’’ de 2000 et par la dernière réforme en cours d’application ; je montre dans la deuxième partie, sur le lycée, que ces réformes, mal conçues et mal appliquées, ont eu des effets exactement contraires aux buts proclamés, aboutissant à une baisse des effectifs, une diminution du niveau et une sélection sociale renforcée, pour un coût largement accru.
La troisième partie est consacrée à l’université. La chute, beaucoup plus importante, des effectifs universitaires, peut être analysée comme une sorte "d’accident industriel’’, provenant de l’action conjointe de plusieurs causes : la diminution des effectifs de bacheliers et la présélection disciplinaire opérée en terminale se sont ajoutées à des problèmes plus anciens liés au manque d’attractivité des études universitaires fondamentales face à la concurrence des classes préparatoires et des études médicales (problème qui était masqué par la limitation des effectifs des ces filières sélectives, effectifs fortement accrus par la suite). De plus, une partie des débouchés naturels de l’université, en particulier dans l’enseignement et la recherche, sont devenus plus incertains et moins attractifs ; la désorganisation des enseignements universitaires, liée à une réforme mal menée (le fameux LMD), et la destruction de la formation des enseignants ont fait le reste.
L’intégralité de l’article, ainsi que les notes , et les commentaires de lecteurs , ici.