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"Autonomie des universités" : la rigueur gâche la fête pour Le Monde.fr (30 décembre 2011) et Libération organise un face à face autour des facs (2 janvier)
lundi 2 janvier 2012
La loi LRU réforme phare du mandat ? La presse en débat de façon plus ou moins large.
Autonomie : face à face autour des facs
Pour lire les entretiens avec L. Wauquiez et I. This Saint-Jean sur le site de Libération
Interviews : La quasi-totalité des établissements sont désormais sous le régime de la « loi Pécresse ». Interviews parallèles du ministre de l’Enseignement supérieur et de la « Madame université » de Hollande.
Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et la socialiste Isabelle This Saint-Jean, conseillère auprès de Vincent Peillon pour le supérieur dans l’équipe de campagne de François Hollande, ont répondu séparément aux questions de Libération sur l’autonomie des universités, quatre ans après le vote de la loi l’instituant (la LRU) et alors que, depuis hier, pratiquement toutes sont devenues autonomes.
Quel bilan en faites-vous ?
Laurent Wauquiez :
Le principal acquis est d’avoir libéré la créativité et l’initiative des universités. Les présidents et les universitaires ont su se saisir des atouts de l’autonomie. Cette réussite est d’abord la leur. On a aujourd’hui des approches beaucoup plus originales là où avant tout était cloisonné, avec des croisements entre disciplines comme entre droit et histoire de l’art à Paris-II et Paris-IV. On a aussi un meilleur accompagnement des étudiants, avec des prérentrées, des réorientations à mi-parcours en cas d’échec et la disparition des sessions de rattrapage de septembre. L’autonomie, ce sont aussi des universités conciliant un enracinement local et une démarche d’excellence - Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, La Rochelle… Enfin, l’autonomie a permis d’améliorer l’insertion professionnelle des étudiants : un tiers effectuent aujourd’hui un stage. La meilleure preuve que l’autonomie, ça marche, est que l’écrasante majorité des présidents d’université ne veut en aucun cas revenir en arrière.
Isabelle This Saint-Jean :
La LRU n’est pas une loi d’autonomie des universités. C’est une loi qui met en place un mode de gouvernance hypercentralisé, avec la vision d’une université qui doit être dirigée par un homme et par une équipe. Or c’est une institution qui doit fonctionner sur les principes de la collégialité et de la démocratie. Pour moi, il s’agit d’une fausse autonomie. Les établissements ne se sentent pas libres car ils sont tenus par des moyens financiers insuffisants. De plus, en leur sein, les libertés académiques sont en régression à cause de cette nouvelle gouvernance. Enfin - on vient de le voir -, lorsqu’ils n’arrivent pas à présenter leurs budgets en équilibre, ils sont mis sous tutelle de l’Etat.
Pouvez-vous distinguer les points positifs et négatifs ?
L.W. : Pour moi, le principe de l’autonomie n’a que des aspects positifs. C’est un « plus » incontestable pour les présidents. Avec le recul, ceux qui, les socialistes en tête, il y a trois ans, rejetaient l’autonomie veulent aujourd’hui rattraper le train de l’histoire. On est en train de dessiner le paysage du supérieur pour les trente à quarante ans à venir. Mais l’autonomie, ce n’est pas un coup de baguette magique. Il faut apprendre un nouveau dialogue entre le ministère et les universités. Cela se construit sur la durée et nous en sommes aux travaux pratiques. L’autre point important est que cela suppose un rattrapage, après trente ans de sous-investissement dans le supérieur. Nous avons commencé. Mais cela doit se poursuivre, en fonction des moyens dont l’Etat disposera. D’après moi, on en a encore au moins pour dix ans de rattrapage.
I.T. S.-J. : Je vais avoir du mal à trouver des points positifs. Toute la politique menée depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy est une grande occasion manquée. La communauté universitaire était prête à des réformes. Mais celles menées n’ont pas du tout été celles attendues. En plus du problème de gouvernance, la LRU pose un problème de moyens. Elle a donné des compétences nouvelles aux universités sans que ceux-ci aient suivi. Résultat : les établissements ont du mal à voter leur budget.
Le troisième problème est la mise en concurrence des universités entre elles. C’est absurde. Chaque université appartient au service public. C’est l’ensemble du service public qu’il faut renforcer. La mise en concurrence comme principe d’efficacité ne marche pas. Au lieu d’avoir des cartes de formations équilibrées sur tout le territoire et des chercheurs travaillant ensemble, on fractionne, on déchire le tissu. Et on se retrouve avec un paysage illisible, oùles institutions se superposent, telles un millefeuille : l’ANR (Agence nationale de la recherche), l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), des Pres (pôles de recherche et d’enseignement supérieur), des alliances, des pôles de compétitivité, des fondations… Avec le grand emprunt, on a rajouté des Labex (les laboratoires d’excellence), des Idex (les initiatives d’excellence), etc.
Comment expliquer les problèmes budgétaires de certaines universités ?
L.W. : Sur 150 établissements d’enseignement supérieur [les 81 universités mais aussi tous les autres établissements dépendant de son ministère, ndlr], trois - deux universités et une école - connaissent des difficultés passagères. Je préfère citer les 147 autres pour dire que les universités ont parfaitement su gérer les budgets qui leur ont été alloués. Il peut toutefois y avoir des tensions passagères. L’autonomie, c’est mettre des dépenses en face des recettes. Cela s’apprend et on est en phase d’apprentissage.
I.T. S.-J. : Le gouvernement assure avoir privilégié le secteur en n’appliquant pas la règle du 1 sur 2 [un départ à la retraite sur deux non remplacé, ndlr]. Mais avec la LRU, il le fait faire par les établissements. Etant donné les budgets qu’il leur alloue, les universités qui gèrent désormais leurs ressources humaines, sont contraintes de recourir à des suppressions - le chiffre d’un millier circule actuellement. Et ce n’est pas la faute des présidents : ils font ce qu’ils peuvent avec leur budget.
Nicolas Sarkozy a promis 9 milliards d’euros au supérieur et à la recherche durant son mandat. Promesse tenue selon vous ?
L.W. : Promesse tenue à la lettre ! Le crédit impôt-recherche [des réductions d’impôts aux entreprises qui investissent dans la recherche, ndlr] a augmenté de 3,6 milliards d’euros et l’ensemble des moyens budgétaires, de 4,6 milliards d’euros, notamment pour la revalorisation de carrière (380 millions d’euros), pour le 10e mois de bourse et pour les moyens de fonctionnement des universités qui ont progressé de 23%, soit 2 fois plus en quatre ans qu’au cours des dix dernières années. Le reste des 9 milliards a été dédié à un effort immobilier exceptionnel. Et encore, j’aurais pu incorporer tous les investissements d’avenir [le grand emprunt, ndlr] - environ 13 milliards d‘euros engagés aujourd’hui -, ainsi que l’effort immobilier et l’opération Campus (de rénovation immobilière). Mais pour être le plus transparent possible, je sors tout ce qui est extrabudgétaire. Aux 9 milliards, ce sont 27 milliards qu’il faudrait ajouter. Cette année, on verra d’ailleurs une centaine de chantiers s’ouvrir sur les campus.
I.T. S.-J. : C’est très compliqué d’avoir une vision claire sur les chiffres. Sur ces 9 milliards, il y a convergence pour dire que 4 milliards sont réellement arrivés. Et encore, il faut enlever l’inflation et certaines modifications dans les calculs - on a inclus les retraites par exemple. En plus, il s’agit pour l’essentiel de l’explosion du crédit impôt-recherche, une forme de subvention du secteur privé. Or, peut-être que cela aide les entreprises à ne pas délocaliser, mais dans la réalité, cela ne bénéficie pas à la recherche.
Quant aux 5 milliards annoncés de l’opération Campus, seuls 56 millions d‘euros ont été dépensés au bout de quatre ans. Le grand emprunt, lui, a réservé 18,9 milliards d’euros à l’enseignement supérieur et à la recherche. Mais quasiment rien n’est encore arrivé dans les labos et dans les universités.
Les étudiants n’auraient-ils pas été oubliés ?
L.W. : Il y a eu des gestes importants. On est passé de neuf à dix mois de bourse, on a pratiquement doublé le rythme de construction des logements étudiants, on a mis à niveau des bibliothèques et des centres d’e-learning. Il y a aussi eu un rattrapage entre le sous-investissement pour les étudiants d’université et les moyens mis pour ceux en classes préparatoires. Il reste toutefois deux grands défis : la réussite en licence, et la question de la diversité et de l’ascenseur social.
I.T. S.-J. : Si l’on tient compte des annonces ministérielles mirobolantes, tout a été traité durant ce quinquennat : les conditions de vie et d’études, la santé étudiante, les bourses, la vie culturelle, etc. En réalité, de plus en plus d’étudiants ne sont pas en condition d’étudier. Ils sont obligés de travailler. Et beaucoup, en situation de précarité, ne se soignent pas. On observe un tassement du nombre de jeunes allant dans le supérieur et plus encore de ceux qui y réussissent, et l’on assiste à un recul de la démocratisation du supérieur. Les conditions de vie étudiante ainsi que le premier cycle devront être des grandes priorités de la prochaine mandature.
Laurent Wauquiez, diriez-vous qu’avec l’autonomie, la droite a fait la réforme que les socialistes auraient voulu faire ?
L.W. : On a fait la réforme qui aurait dû être faite depuis trente ans et que les politiques, faute de courage, ont toujours repoussée. Aujourd’hui, une chose est sûre : plus personne ne reviendra dessus. J’observe même quelque chose d’assez drôle : le PS, qui avait refusé de voter la LRU, ne prévoit aucune remise en cause de l’autonomie dans son programme. Tant mieux car à mon avis, on peut construire un consensus républicain sur l’université. Il annonce quelques ajustements techniques. Mais moi aussi, je suis d’accord pour amender. La réalité est que sur le supérieur où la gauche donnait l’impression d’être en pointe, elle n’a rien fait ces trente dernières années. Le vrai progrès, c’est nous qui l’avons enclenché avec l’autonomie.
La question à poser aux socialistes est celle-ci : « Vous n’avez pas voté la LRU. Trois ans plus tard, mettez-vous dans votre programme que vous retirez l’autonomie aux universités ? » Je mets au défi M. Hollande de dire : « Je recentralise. » La gauche a loupé ce rendez-vous avec les universités. Bien sûr, on peut améliorer l’autonomie. Mais le principe de l’autonomie a gagné. C’est une très belle victoire pour une réforme si attaquée. L’autonomie est une des plus belles réformes du quinquennat.
Isabelle This Saint-Jean, si François Hollande est élu, va-t-il abroger la LRU ?
I.T. S.-J. : Non, mais on y touchera car on veut revenir sur la gouvernance. Il y a trop de concentration de pouvoir entre les mains des présidents et un conseil d’administration trop restreint. Il faut renforcer la vie démocratique dans les établissements. Le mode de désignation du président doit aussi être repris afin d’éviter certains blocages. Mais nous sommes attachés au principe de l’autonomie qui doit permettre aux universités de définir leur projet d’établissement. Nous sommes aussi favorables à la délégation de gestion [le fait que les présidents gèrent les ressources humaines, ndlr]. Il va donc falloir revenir sur la LRU de même que sur le pacte sur la recherche. Nous allons le faire en discutant avec la communauté universitaire et de recherche, alors que ce gouvernement a été incapable de dialoguer. Il faudra ensuite reprendre les textes, avec pourquoi pas une grande loi-cadre qui permettrait de clarifier le vaste méandre législatif actuel.
Propos recueillis par V. Soulé
"Autonomie des universités : la rigueur gâche la fête"
Pour lire l’article du Monde sur le site du Monde.
Le président de la République pouvait espérer un aboutissement plus éclatant pour l’une des réformes phares de son quinquennat. Tandis qu’au 1er janvier 2012, à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, 80 des 83 universités françaises seront autonomes, les déboires budgétaires d’une poignée d’entre elles, fin 2011, ont un peu gâché la fête. Les opposants à la réforme n’ont pas manqué de souligner qu’ils "l’avaient bien dit".
Il n’en reste pas moins que la réforme arrive à son terme, conformément au calendrier fixé en 2007. Le 1er janvier, huit nouvelles universités rejoignent le peloton des établissements "libres". Elles bénéficieront des modalités prévues par la loi libertés et responsabilités des universités (LRU), portée par la ministre de l’enseignement supérieur d’alors, Valérie Pécresse : gouvernance resserrée autour du président, gestion autonome de la masse salariale et des ressources humaines, voire du patrimoine immobilier. Le ministère de l’enseignement supérieur se réjouit du "succès de la réforme" : "Le désir d’autonomie des universités ne s’est jamais démenti depuis 2007." Les trois établissements manquants (Polynésie, Antilles-Guyane et Réunion) seront autonomes d’ici quelques mois.
"L’émancipation est l’idée de fond de cette réforme, rappelle Khaled Bouabdallah, président de l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne, parmi les premiers, en 2009, à se lancer dans l’aventure. C’est cela qui compte. C’est une vision de progrès et c’est pour cela que nous y sommes favorables." Dorénavant, souligne-t-il, les établissements sont maîtres de leur avenir.
Une position de principe que Louis Vogel, président de la Conférence des présidents d’université (CPU), reprend à son compte. "L’autonomie, c’est une loi de décentralisation, observe-t-il. Avant, nous ne pouvions créer un poste. Il fallait transmettre la demande au ministère qui donnait ce qu’il pouvait. Aujourd’hui, dans la limite d’un nombre d’emplois et d’une masse salariale définis, il est possible, si la communauté universitaire est d’accord, de supprimer un poste de professeur d’histoire du droit pour créer un poste de directeur informatique. La gestion s’en trouve assouplie, plus proche des besoins, plus réactive." Les trois établissements (Auvergne, Toulouse-I et Poitiers) qui sont déjà parvenus à la forme la plus aboutie de l’autonomie - avec la maîtrise du foncier - ont pu rénover leurs amphis ou construire des locaux.
"DIFFICULTÉS PASSAGÈRES"
Pour autant, précise M. Bouabdallah, "sur les modalités de mise en oeuvre de la loi et les moyens, il y a des choses à dire". Là est en effet la limite que beaucoup d’interlocuteurs mettent en avant pour évoquer "un bilan mitigé", à l’instar d’Olivier Beaud, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas (Paris-II). "Tout le monde voulait l’autonomie. Alors que la gauche était paralysée par l’UNEF (proche du PS), qui ne voulait rien changer, Sarkozy a fait ce qu’il fallait. Mais la manière dont cela se passe pose plusieurs problèmes", dit M. Beaud, l’un des fers de lance du "groupe des refondateurs" qui, depuis 2009, défend une refondation plus large de l’enseignement supérieur.
L’actualité a montré combien "les conséquences économiques de la loi" ont été "mal évaluées", relève M. Vogel. En octobre 2011, des coûts salariaux que les universités ne pouvaient assumer ont obligé l’Etat à débloquer 14,5 millions d’euros. En novembre, une poignée d’établissements était placée, après des exercices 2009 et 2010 déficitaires, sous la tutelle du recteur d’académie. "L’arbre qui cache la forêt d’une réussite incontestable", relativise le ministère. Mais autant d’éléments qui confortent le Syndicat national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Snesup-FSU), pour qui "la loi va de pair avec le désengagement de l’Etat". Confrontés à des dépenses incontrôlables, les présidents "gèrent la pénurie", estime Stéphane Tassel, secrétaire général du Snesup. L’université de Bretagne-Sud a dû geler une vingtaine de postes. C’est également le cas à Rennes-I ou à Limoges, rapporte M. Tassel, qui estime que "1 000 postes sont gelés en France".
L’Etat, pourtant, se défend de tout désengagement. "Le budget des universités a augmenté de 23 % en moyenne" entre 2007 et 2011, précise le ministère. "Mystification !, répond M. Tassel. Les dotations qui arrivent dans les établissements sont bel et bien en baisse."
Qu’en est-il à Saint-Etienne ? "Les chiffres du ministère sont justes, reconnaît M. Bouabdallah. Dans mon université, le budget a augmenté de 25 % sur la période. Mais cela correspond notamment à des missions nouvelles, comme le plan Réussir en licence. Si l’on s’en tient au budget de fonctionnement, l’augmentation est faible, voire nulle. Elle ne couvre pas, par exemple, le coût de l’énergie pour chauffer les amphis... En outre, si la hausse de la dotation de l’Etat a été forte les premières années, l’effort a aujourd’hui beaucoup ralenti. Cela entraîne des difficultés de gestion qui remettent en question le projet politique de l’autonomie, car nous n’aurons plus à gérer que les inconvénients sans avoir la capacité de nous développer. Or c’est précisément cela qui justifie le fait que nous devions assumer les charges. L’enjeu de l’autonomie, ce n’est pas de faire des fiches de paie !"
La question du financement est d’autant plus sensible que les universités étaient "sous-dotées et sous-équipées", souligne M. Vogel, qui évoque notamment "des systèmes d’information (qui) ne sont pas au niveau de l’autonomie". Olivier Beaud constate "un manque de manageurs compétents", ce qui entraîne "une gestion périlleuse". "On bricole", dit-il.
Enfin, les débuts de la réforme ont révélé ce que M. Beaud appelle les "malfaçons d’une loi bâclée". Il déplore que "tous les pouvoirs" aient été donnés au président, d’autant plus que celui-ci est "mal élu", sur des "bases démagogiques plutôt que pour ses compétences managériales". Professeurs, maîtres de conférence, personnels administratifs et étudiants votent dans des collèges séparés. Et ces derniers sont souvent en position d’arbitre. "A Paris-I, le nouveau président l’a emporté en promettant aux étudiants des examens plus faciles", estime M. Beaud. L’intéressé proteste. "J’ai promis de supprimer l’obligation pour les étudiants d’obtenir une double moyenne, dit Jean-Claude Colliard, mais je ne suis pas déshonoré par cette promesse car cela correspond à ce que je pense. J’ai toujours trouvé ce système idiot."
Ces "difficultés passagères" sont normales, se défend le ministère, qui promet des améliorations. "C’est un processus d’apprentissage pour les universités et pour l’Etat."
Benoît Floc’h
Article paru dans l’édition du 31.12.11