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Instituts de recherche technologique (IRT) ou comment faire croître les nouveaux campus de l’innovation en ôtant les personnels de la recherche des laboratoires - SNCS-Hebdo 11 n°20 30 novembre 2011
mercredi 30 novembre 2011, par
IRT : cet acronyme vous dit quelque chose ? Moins connus que les Labex, Idex ou autres SATT (1) liés au « Grand emprunt », les IRT (Instituts de recherche technologique) sont les nouveaux fers de lance de la politique industrielle menée par le gouvernement où les fonds publics viennent soutenir l’effort de R&D des grandes entreprises. Il s’agit de concentrer sur un site unique acteurs issus du public et du privé, équipements et infrastructures pour relever les défis technologiques listés dans la feuille de route de la Stratégie nationale de recherche et d’innovation (SNRI). Aux directions des établissements académiques impliqués se pose aujourd’hui la question tactique de leur participation active à ces « écosystèmes » de l’innovation, plus précisément de mettre à leur disposition ou non leurs chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens. La mise en œuvre de cette condition préalable à l’obtention de financements peut s’avérer dévastatrice pour les laboratoires concernés.
Benoît Rousseau, Bureau national du SNCS-FSU
Ce printemps 2011 a vu la labellisation officielle de six Instituts de recherche technologique (IRT) parmi les 15 projets déposés suite à l’appel d’offre initié par le Commissariat général aux investissements (CGI). Ces « instituts thématiques interdisciplinaires » ont pour vocation de devenir des géants mondiaux de l’innovation, à l’image de ce qui existe aujourd’hui aux Etats-Unis, en Allemagne et au Japon. Les IRT sont bâtis sur des pôles de compétitivité et leur montage financier stipule que pour « chaque euro public investi un euro privé soit au minimum apporté ». Après examen de leurs plans d’affaire, l’Etat a décidé de leur allouer 1,5 milliard d’€ sur 10 ans, dont 400 millions d’€ directement consommables. L’autre partie sera placée et les intérêts seront utilisés au fil du temps.
Dès 2009, Christian Estrosi, alors ministre en charge de l’Industrie, soutenait qu’au sein des 71 pôles de compétitivité labellisés par l’Etat en 2005 (ils ne devaient être que 15 au départ !), il fallait faire émerger « 5 clusters de classe mondiale ». Six ans après le lancement des pôles de compétitivité, le CGI a repris les principes qui sous-tendaient leur création : concentrer sur un site donné des « acteurs clés » pour dynamiser le partenariat « université-entreprise ». En somme, une énième tentative pour relancer la recherche industrielle avec les deniers publics, car comme le montrent les dernières enquêtes menées par l’OCDE, la recherche privée en France stagne depuis 2002. Et ce malgré, la montée en puissance du crédit impôt recherche (5 milliard d’€ en 2011) dont l’usage n’est soumis à aucune obligation d’activités de recherche (2). Nous retombons là dans une dérive du gouvernement actuel à savoir que seul l’Etat délègue aux entreprises – et donc les deniers publics- le soin de stimuler des secteurs stratégiques, sans se donner les moyens d’orientation et d’évaluation des sommes engagées.
Parmi les six IRT victorieux, trois sont implantés dans des régions largement favorisées par le CGI, si l’on compte le nombre de Labex obtenus. On recense ainsi les IRT NanoElec en Rhône-Alpes (nano-électronique), AESE en Midi-Pyrénées (aéronautique, espace et systèmes embarqués) et LyonBiotech, commun entre l’Ile de France et Rhône-Alpes (infectiologie). En revanche, les trois autres IRT sont implantés sur des territoires peu récompensés par le CGI. On distingue ainsi les IRT Jules-Verne en Pays de la Loire (matériaux composites), M2P en Lorraine et Franche-Comté (matériaux, métallurgie et procédés) et Railenium dans le Nord (infrastructure ferroviaire). Pour ces régions, les IRT apparaissent comme des structures de première envergure à même d’intensifier le développement économique local et pour lesquels les politiques de formation – recherche –innovation seront de plus en plus orientées. Les autres domaines scientifiques non labellisés au sein de l’IRT devront se contenter des miettes.
A côté ou à la place des pôles de compétitivité, des instituts Carnot centres techniques industriels ou autres centre régionaux d’innovation et de transfert de technologies, qu’apporte de plus les IRT ? La nouveauté réside dans la « mise à disposition » des personnels des organismes et des universités, comme l’a spécifié subtilement l’appel d’offre (3) préfigurant leurs sélections. René Ricol, commissaire général à l’investissement, qui vient d’être nommé le 22 novembre coordinateur de l’ensemble des dispositifs de soutien aux entreprises et directement placé sous l’autorité de Matignon (4), souhaite aujourd’hui que les IRT deviennent des centres de recherche industriels propres. Ceci sous-entend qu’ils auront la pleine possession des équipements mis en œuvre et de la propriété industrielle et deviendront, de fait, les patrons des personnels de la recherche publique. Certains directeurs de ces nouvelles structures n’hésitent plus à venir dans les laboratoires « faire leur marché » auprès des directeurs d’unité, au grand dam des établissements publics, au premier rang desquels le CNRS.
Comme toutes les structures inventées, ou ré-inventées par le gouvernement actuel, les IRT sont bel et bien une menace sérieuse pour la pérennité des laboratoires et pour la recherche publique. Le SNCS-FSU dénonce cette nouvelle tentative de hold-up des personnels du CNRS. Il s’oppose à ce que les établissements publics de recherche, dont le CNRS, consentent sous la pression du CGI, à des mises à disposition de ses personnels chercheurs, ingénieurs et techniciens dans les IRT. La recherche publique doit rester indépendante des milieux industriels.
1. Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies
2. Un enjeu pour le pays : en convaincre les élus, les médias et la population : http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=2916
3. http://www.agence-nationale-recherche.fr/investissementsdavenir/documents/ANR-AAP-IRT-2010.pdf
4. http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20111123trib000666150/rene-ricol-coordonnera-le-soutien-aux-entreprises.html