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Rapport de l’OCDE, salaire, statut et obligations de services des enseignants - Revue de presse de Ph. Watrelot du 13 septembre 2011

jeudi 15 septembre 2011, par Mariannick

Champions de l’inéquité

Une semaine après la rentrée des classes, l’actualité éducative reste toujours très riche. Aujourd’hui, c’est la publication du dernier rapport annuel “Regards sur l’Éducation 2011” , publié par l’OCDE qui mérite la Une de cette chronique.
Qu’y trouve t-on ? Le meilleur résumé est dans un titre du Figaro : “la France, pays champion de l’inéquité”. Car, dans ce rapport, l’OCDE n’est pas tendre pour la France. « Le déterminisme social est très important en France », insiste Eric Charbonnier, l’un des experts économiques de l’OCDE, interviewé aussi par ÉducPros A l’inverse, les quatre pays en tête du classement, Canada, Corée, Finlande et Shanghai parviennent à assurer une plus grande équité. À lire l’analyse de l’organisation internationale, la politique éducative de notre pays n’est guère efficace, surtout depuis 1995. Depuis cette date, les taux de scolarisation des 15-19 ans stagnent en France, voire diminuent légèrement à 84% quand ce taux a progressé de manière constante dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE, augmentant de 9,3% en pourcentage entre 1995 et 2009. En résumé, le bilan dressé par l’OCDE est très sombre mais il ne fait que confirmer les travaux des chercheurs. Celui d’une France où l’École est injuste et où le mythe républicain de l’ascenseur social et de la méritocratie s’effondre. L’ascenseur est bloqué et même recule… Un constat qui devrait peser, espérons le, dans la campagne électorale.

Le rapport de l’OCDE est aussi une claque à la manipulation des chiffres opérée par Luc Chatel qui ne cesse de répéter que l’investissement de la France est à la hauteur de ses ambitions. La version de l’OCDE est tout autre. Certes, la France investit davantage dans son enseignement supérieur depuis 2000 mais pour le reste son investissement financier dans l’éducation faiblit. C’est une conséquence logique des suppressions de postes d’enseignants, ces dernières années : entre 2000 et 2008, les dépenses éducatives ont augmenté à un rythme « plus faible que le PIB », selon l’OCDE en Allemagne, Autriche, France, Israël, Japon. Alors que la part de l’éducation dans les budgets publics est passée de 11,8% en 1995 à 12,9% en 2009, en moyenne dans l’OCDE, en France, la part dans l’éducation dans ces mêmes budgets a diminué, passant de 11,5% en 1995 à 10,6% en 2008.

Dans son interview à ÉducPros , Éric Charbonnier insiste “Il faut que l’État investisse. Un étudiant rapporte deux fois plus à l’État français qu’il ne lui coûte. Mais c’est trois fois plus en moyenne dans l’OCDE.. (Pour dire les choses autrement, chaque fois que la France produit un étudiant de plus, elle génère un rendement public supplémentaire de 47 000 euros supplémentaires sur la carrière de ce diplômé…) Ce n’est pas un dangereux gauchiste irresponsable qui dit cela et qui contredit Luc Chatel, mais un expert de l’OCDE !

A la question de savoir qu’est-ce qui serait le plus efficace, de l’augmentation des enseignants ou de la réduction des effectifs en classe, cet expert répond “Selon les études de l’OCDE, les politiques qui visent à améliorer la qualité du personnel enseignant – cela passe par une augmentation des salaires pour attirer davantage et augmenter le niveau, mais aussi par la formation, les méthodes pédagogiques, etc. – sont plus efficaces que celles qui touchent à la taille des classes. Ce qui ne veut pas dire que les politiques sur la taille des classes sont vouées à l’échec… Si une réforme va dans ce sens en France, il faut surtout l’envisager dans les établissements difficiles. ”

Statut, services, salaires…

Si une majorité d’enseignants peut s’accorder sur ce premier constat, le deuxième est plus polémique. Toujours dans Le Figaro, Bernard Hugonnier, l’un des experts économiques de l’OCDE affirme : “La situation des enseignants français est régie par des décrets qui n’ont pas bougé depuis 1950 : 15 heures de cours pour les agrégés et 18 heures pour les titulaires d’un Capes est obsolète ”. Et il ajoute “En France, les enseignants sont uniquement focalisés sur leur temps de service, c’est à dire leurs heures de cours. Du coup, ils ont l’impression que ce qu’on leur demande en plus devrait être payé en heures supplémentaires. Si on incluait dans leurs contrats toutes ces tâches qu’ils font déjà pour partie, quitte à les payer davantage, leur investissement serait meilleur ”. Il faut “négocier avec les syndicats d’enseignants”, insiste-t-il, et instituer un “système contractuel qui peut varier selon leur statut. C’est cela la modernité”, précise-t-il.

Et une bonne partie du rapport annuel de l’OCDE porte justement sur le salaire des enseignants. Comme le fait Le Monde, on peut dégager trois leçons de cette étude. 1er constat : l’enseignant français gagne moins que ses voisins. Le salaire statutaire – c’est-à-dire le salaire sans les primes et les heures supplémentaires - des enseignants ayant 15 ans d’ancienneté s’établit, en moyenne en 2009, à 24 422 euros dans l’enseignement primaire, contre 28 507 dans la moyenne des pays de l’OCDE. Deuxième constat, le salaire des enseignants a diminué entre 2000 et 2009. [1] Même si les données de l’OCDE ne prennent pas en compte la dernière “revalorisation” accordée aux entrants dans le métier suite à la masterisation (nous sommes plusieurs à parler plutôt de “hamsterisation” pour qualifier cette situation qui place les stagiaires en situation de cobayes…). Troisième leçon relevée par le Monde : la France consacre une part moindre de sa richesse à payer ses profs et celle ci a donc régressé au cours des dernières années.

L’Expansion nous rappelle utilement les données sur les salaires. Selon l’Insee, le salaire moyen mensuel net d’un enseignant du primaire était de 2367 euros en 2008, de 2423 euros pour les professeurs agrégés, certifiés et enseignants du supérieur. C’est légèrement supérieur à la moyenne du salaire d’un agent des services civils de l’Etat (2328 euros nets par mois). Mais c’est près de deux fois moins qu’un cadre dans le secteur privé (statut équivalent à celui des professeurs certifiés et agrégés), qui gagne en moyenne 4081 euros par mois. Selon la grille de rémunération du ministère de l’Education nationale, un professeur des écoles gagne 1666 euros en début de carrière puis 3026 euros en fin de carrière. Même grille de salaire pour le professeur certifié. Les agrégés gagnent plus : 2032 euros en début de carrière, 3722 euros après 30 ans de carrière. Pour les enseignants du secondaire (collèges et lycées), s’ajoutent à ces rémunérations des primes, indemnités diverses et heures supplémentaires. Le tout pouvant atteindre 200 à 250 euros par mois selon la SNES-FSU. Des niveaux bien en-deçà des autres grandes économies mondiales. En Allemagne, le salaire mensuel moyen d’un enseignant certifié de plus de 15 ans de carrière s’élève à 5400 euros, selon les données de l’OCDE. Aux Etats-Unis, le même professeur gagne 4150 euros par mois. En France, il ne touche que 1913 euros, puis 2540 euros (après 20 ans de carrière) pour finir à 3000 euros.

Un débat et des clivages

Toutes ces statistiques ne vont pas manquer d’alimenter le débat électoral pour 2012, alors que la droite envisage d’augmenter le temps de présence de cours des enseignants, moyennant rémunération. Il faut noter qu’un institut libéral l’IFRAP sert un peu d’éclaireur au gouvernement. Dans un rapport, dont rend compte Le Figaro, ce think tank libéral demande l’augmentation du nombre d’heures de cours assurés par les professeurs. Pour les rédacteurs de ce rapport, « si l’on fixait l’obligation de service non plus à un nombre d’heures hebdomadaires mais à 709 heures par an (dont deux heures de plus par semaine), cela permettrait de faire travailler deux heures de plus par semaine les 483.979 professeurs du second degré public et privé ». Pour la fondation, « cette simple mesure permettrait de faire l’économie de 44.783 postes en équivalent de postes à temps plein ». Cette question « mérite d’être posée. Même en payant un peu plus les professeurs, une telle réforme permettrait de faire des économies non négligeables sur les traitements et sur les retraites de professeurs », conclut Agnès Verdier-Molinié, la vice-présidente de l’Ifrap. On pourrait résumer ce rapport (qui au passage retombe dans le piège du calcul sur les seules heures de cours dénoncé par B. Hugonnier dans Le Figaro) par un slogan détourné : “travailler beaucoup plus pour gagner à peine plus…”.

A gauche, les propositions de Martine Aubry insistent sur la nécessité de renégocier avec les organisations syndicales un nouveau contrat et de sortir du statut de 50 par le haut en reconnaissant officiellement que les enseignants assument aujourd’hui des missions diverses telles que les heures passées dans les réunions d’équipe et les rendez-vous avec les parents, la préparation des cours, etc. Tout cela se trouve exprimé dans le projet socialiste adopté à très large majorité alors que François Hollande se déclare prêt à recréer les 70.000 postes supprimés depuis cinq ans et insiste surtout sur l’aspect quantitatif.

Le café pédagogique qui a fait un gros travail d’analyse à l’occasion de la publication de ce rapport, recense l’ensemble des réactions syndicales à l’ensemble de ce rapport . Tous reconnaissent que le constat est inquiétant et en profitent aussi pour dire que cette étude de l’OCDE constitue un vrai “pavé dans la mare” pour la communication bien huilée de Luc Chatel. Mais les divergences apparaissent sur les voies de réforme face à ce tableau noir de l’École française.

Suffirait-il de revaloriser le salaire des enseignants pour résoudre les problèmes de l’École ? Ce serait bien trop simpliste face à la complexité des difficultés actuelle de l’École. L’engagement des enseignants est certes important dans la réforme de l’École mais il faut aussi qu’on puisse leur proposer un projet clairement défini pour l’École avec un pilotage fort tout en favorisant leur capacité d’innovation. Pour une École juste et efficace…

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[1Lire aussi les réactions à cet article : Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, "cela relève d’une information déformée et partiale, comportant des imprécisions choquantes", Pierre Méhaignerie demandant au ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, de réagir aux informations du Monde, qu’il a jugées "honteuses"