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La formation liquidée ? Vive le bricolage ! Par Cécile de Hosson, maître de conférences à l’université Paris-Diderot, et Aline Robert, professeur à l’IUFM-université de Cergy-Pontoise, chercheuses au laboratoire de didactique André-Revuz de l’université Paris-Diderot - L’Humanité, 11 mars 2010
vendredi 12 mars 2010, par
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Comment le service public d’éducation est-il cassé ?
Le 2 juin 2008, au cours d’un Conseil des ministres, Nicolas Sarkozy annonçait une réforme visant à modifier la formation et les modalités de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire. Cette réforme, couramment appelée mastérisation, s’articule autour de deux changements majeurs : recrutement des enseignants à bac + 5, suppression de l’année d’alternance rémunérée à bac + 4. Qu’un diplôme universitaire de niveau bac + 5 vienne valider la formation des enseignants apparaissait comme un projet non dénué d’intérêt. D’une part, cela avait le mérite de réparer une situation insatisfaisante, voire injuste : les enseignants sont de fait recrutés après cinq années d’études. D’autre part, cette idée ouvrait la voie à la possibilité d’un renforcement de la formation des enseignants tant sur le plan disciplinaire que sur le plan professionnel. Si l’idée avait de quoi séduire, les conditions de sa mise en application apparurent vite inconciliables avec les principes qui président à une formation des enseignants efficace et adaptée. De cette incompatibilité est née la contestation que l’on sait, et qui n’a eu de cesse de s’accroître face aux choix catastrophiques de cette année.
Rappelons les éléments à charge. La disparition de l’année d’alternance à bac + 4 et le report d’un an de l’entrée dans la vie active des futurs enseignants constituent un péril pour le renouvellement de la profession : beaucoup d’étudiants ne se lanceront pas dans l’aventure pour des raisons essentiellement financières, et la base sociale du recrutement des enseignants risque fort de se restreindre. En outre, on voit se dessiner la perspective de la création quasi immédiate d’un vivier d’enseignants non fonctionnaires (reçus au master et collés au concours) que l’État pourra embaucher sur des contrats précaires en fonction des besoins des établissements. Aujourd’hui, l’année d’alternance se voit dissoute dans un cycle de deux ans et s’organise autour de la préparation aux épreuves du concours (écrits au début de la deuxième année et oraux à la fin). Dans cette configuration, la formation professionnelle occupe une portion plus que congrue (108 heures de stages en tout et pour tout). À l’issue de ce cursus, les lauréats du concours enseigneront l’année suivante à plein-temps. De courtes périodes de formation leur seront proposées pendant lesquelles ils pourront se voir remplacés par des étudiants encore en master (non diplômés, donc). Quel bricolage ! Pauvres élèves !
Nous restons attachées au retrait sans condition de la réforme. Mais nous pensons également que la réflexion sur la formation des enseignants mérite d’être poursuivie. Les pistes à explorer sont nombreuses, et si les avis sur les modalités concrètes apparaissent parfois divergents, certains principes font toutefois consensus. L’ensemble des acteurs de la formation s’accorde sur la nécessité d’une maîtrise cohérente et assurée des connaissances associées à la discipline à enseigner, et celles-ci s’acquièrent y compris en enseignant. Il y a également convergence sur le fait que prendre une classe en main, cela s’apprend, mais que les stages seuls n’y suffisent pas. La formation doit être un espace d’accompagnement, de prise de conscience des contraintes et des choix possibles. Elle doit conduire les enseignants à s’adapter à tous les élèves et à l’évolution des connaissances. Enfin, une alternance, organisée sur un temps suffisamment long, hors concours, et assortie d’un horaire allégé devant les élèves, garantit une entrée dans le métier progressive et encadrée. Les principes généraux cités ci-dessus forment l’ossature de la formation telle qu’elle est actuellement pratiquée dans les IUFM. Si elle n’est pas parfaite, c’est que la question des besoins des « apprentis enseignants » reste ouverte et largement débattue : comment choisir les savoirs à privilégier en formation ? Comment faire pour que les savoirs académiques et les savoirs sur les apprentissages des élèves alimentent efficacement les pratiques des futurs enseignants ? Comment impliquer des élèves très éloignés des conditions culturelles et sociales dans des activités d’apprentissage performantes ?Une réforme dirigée par le souci de la qualité de la formation des enseignants aurait pris ces questions pour appui, aurait pris le temps d’une concertation élargie à tous les acteurs concernés, aurait intégré les nombreuses recherches nationales et internationales réalisées dans les domaines de l’éducation et de formation. Bref, une réforme menée pour le bien commun n’aurait pas eu pour objectif les économies réalisées par la suppression des 16 000 postes d’enseignants stagiaires sur le budget 2 010. Si l’on ajoute les autres suppressions (celle des aides-éducateurs, des Rased, de la carte scolaire), les baisses d’horaires de la scolarité… c’est bien la casse du service public d’éducation qui est en marche !