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La refondation de l’école doit prendre le temps de bien penser la formation des enseignants - Tribune de Cédric Villani, mathématicien (Médaille Fields 2010), professeur à l’université Lyon-I, Le Monde, 16 janvier 2012

jeudi 17 janvier 2013

Les enseignants sont peut-être le maillon le plus important de la société. Ils éduquent les scientifiques et les écrivains, les politiques et les artisans, les chefs d’entreprise et les employés ; en un mot, tous les citoyens.

N’espérez pas avoir de bons scientifiques sans bons enseignants : tous les chercheurs peuvent évoquer tel ou tel professeur qui a su éveiller leur vocation.

Mais pour que les enseignants puissent remplir leur rôle, il est indispensable de leur offrir une formation de qualité... et ce n’est pas facile ! Entre 1990 et 2010, la formation des enseignants en France fut assurée principalement par les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).

LE SYSTÈME ÉTAIT CERTES PERFECTIBLE

Dans nombre de ces instituts, coupés des réalités du terrain, la pédagogie prit le pas sur le contenu des enseignements, et certains cours ont provoqué pêle-mêle l’hilarité, la consternation et l’indignation des enseignants et universitaires.

Des chercheurs renommés ont déjà dit haut et fort tout le mal qu’ils pensaient de ce système... Pour être juste, il faut cependant noter qu’au sein des IUFM, à côté des enseignements ratés, infantilisants ou dogmatiques, il y en avait d’autres qui étaient passionnants, originaux et motivants.

Le système était certes perfectible, encore aurait-il fallu mettre en place des méthodes d’évaluation efficaces et justes.

En 2010, les IUFM ont été placés sous l’autorité des universités, la responsabilité de la formation des maîtres étant partiellement transférée aux mastères. Cette réforme, partant peut-être de principes louables, a été mise en place de manière hâtive et simpliste, sacrifiant au passage l’année rémunérée de stage en alternance de début de carrière.

Certains s’émurent et tentèrent - en pure perte - d’arrêter le train de ce qui leur semblait une grave menace pour l’attractivité du métier.

Malheureusement, la suite allait leur donner raison : après la réforme de 2010, les recrutements s’effondrèrent spectaculairement. En 2012, au certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (capes), un poste sur trois en mathématique est resté vacant, un poste sur deux en lettres classiques.

L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET L’ÉDUCATION NATIONALE

Ne croyez pas que cette crise, nourrie du dérèglement de la formation des enseignants, soit pour autant interne à l’enseignement : si elle perdure, elle aura un impact sur notre société, notre économie, notre bien-être. Pourquoi l’équilibre dans la formation des maîtres est-il si délicat à établir ?

D’abord, ce sujet relève à la fois de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale, et il est vital que les futurs enseignants puissent côtoyer le monde universitaire. Ensuite, la formation doit associer de manière équilibrée les connaissances disciplinaires (il faut maîtriser son sujet à un niveau supérieur à celui où on l’enseigne !) et les connaissances pédagogiques (savoir n’est pas suffisant pour transmettre !).

D’autres équilibres sont à trouver : entre bagage théorique et expérience de terrain ; entre l’enseignement des collègues plus qualifiés, et celui des pairs plus expérimentés.

Les futurs maîtres doivent se pencher sur l’histoire de leur discipline, trop souvent ignorée même des spécialistes, et sur le sens de leur enseignement, pour répondre à la question rituelle des élèves, "à quoi ça sert ?". Il faut également assurer l’évaluation de la formation, le renouvellement régulier des formateurs, le bon calibrage du niveau des concours, la prise en compte des spécificités de l’école primaire, du collège ou du lycée...

Sans oublier un ingrédient vital : un système efficace de formation permanente. La formation des maîtres, c’est le sujet le plus important et le plus subtil, pourtant ; force est de constater que l’on en a peu parlé dans le grand débat en cours sur l’éducation.

Depuis un an, des questions telles que la carte scolaire, le nombre de postes, les rythmes scolaires sont bien en valeur dans les médias ; tous ces sujets sont importants, mais peuvent être réparés d’une année sur l’autre si l’on s’aperçoit que l’on a erré.

Alors que si nous formons mal nos enseignants, c’est pendant plusieurs décennies qu’ils souffriront, et nos enfants avec ! Le gouvernement actuel a annoncé son intention de redonner pleinement le rôle de formation à des écoles spécifiques.

A défaut de savoir ce qu’ils seront, les successeurs des IUFM ont déjà un nom : les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Des représentants de différents organismes ont travaillé sur leur mise en place, mais nombre d’acteurs importants n’ont pas encore pu faire entendre leur voix : c’est le cas par exemple du réseau des instituts de recherche dans l’enseignement mathématique (IREM), ou des responsables de mastères de formation.

URGENCE DU RÉTABLISSEMENT D’UNE FORMATION INITIALE EN ALTERNANCE

La concertation entamée à l’été 2012 et dont est issu le projet de loi pour la refondation de l’école a presque ignoré les aspects universitaires... Réciproquement, les universitaires n’ont eu que très peu l’occasion de se pencher sur le dossier de l’éducation, et tout annonce que leur implication ne sera pas à la hauteur de l’enjeu !

Dans ces conditions, il y a tout lieu de craindre que, pour nombre d’académies, le système des ESPE sera purement et simplement une résurrection du système IUFM, sans que nous ayons tiré les enseignements du passé.

Peut-on éviter cela ? Certainement, mais à au moins deux conditions.

La première est que le gouvernement évite de mettre en oeuvre une nouvelle fois dans la précipitation des réformes capitales pour l’avenir du pays. L’urgence du rétablissement d’une formation initiale en alternance ne nécessite pas pour autant de graver si tôt les choses dans le marbre.

De fait, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche a émis un avis négatif sans ambiguïté, le 8 janvier, sur le projet de loi qui lui était soumis, préconisant un report de l’ouverture des ESPE.

La deuxième condition vitale est que les acteurs concernés - universitaires, enseignants, tous ceux qui ont un rôle à jouer dans la transmission du savoir - se mobilisent pour construire ensemble des projets équilibrés et bien pensés.

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