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"Idex, une excellence comparable à celle des clubs de foot ?", blog de Philippe Jamet, éducpros.fr, 18 mars 2011

dimanche 27 mars 2011

J’extrais du compte-rendu ému d’une récente audition de projet IdeX (dépêche AEF n°147077) cette question posée par un membre demeuré anonyme du jury de haut niveau : « Quelle est la réaction du monde académique au recrutement de chercheurs payés 300 000 euros et en dehors des grilles ? ».

Malheureusement, le compte-rendu nous laisse dans l’ignorance de la réaction des porteurs du projet auditionné. C’est bien dommage. Nos collègues sont-ils restés silencieux ? Se sont-ils contentés d’un sourire gêné ? Ont-ils cru à une boutade et éludé la question ?

Je crains malheureusement que, soumis à la pression de l’exercice, effrayés à la perspective de voir s’évanouir les milliards tant espérés, angoissés à l’idée de rester secs face à un impressionnant jury ou de s’afficher démontés par une question piège, ils ne se soient efforcés d’y répondre avec application et souci de plaire à leurs juges…

Il eût pourtant été plus approprié de relever la question pour souligner son « haut niveau » dans l’ordre du mauvais goût et de la désinformation.

Par cette question en effet, se laisse deviner la vision de l’excellence à laquelle on voudrait nous préparer et qui ressemble fort à celle qui anime désormais les clubs de football. Dans cette vision, les chercheurs excellents, ces vedettes que les grandes universités voudraient tant s’arracher, seraient des espèces de commodités versatiles, disponibles sur un marché spot, où des traders sans état d’âme pourraient « emporter le morceau » en faisant monter les enchères.

Dans cette vision mercantile et sauvage de l’université du futur, il y aurait ainsi deux marchés parallèles, l’un réservé à des marchandises de qualité et animé par des tractations féroces et occultes (« en dehors des grilles »), l’autre, celui des produits de base, aux tarifs explicites et peu spéculatifs, réservé à la piétaille des chercheurs sans réputation consacrée et qu’on peut acquérir à vil prix, ceux-là même auxquels on semble demander leur avis sur « la question à 300 000 euros ».

Je regrette de le dire : il y a dans cette question, rendue publique de manière peut-être malencontreuse, une forme d’injure aux nombreux chercheurs français et même étrangers qui acceptent pour toute rétribution de leur talent la maigre solde républicaine « prévue par les grilles ».

Pourquoi faudrait-il s’alarmer, me dira-t-on, si l’avenir doit être ainsi fait ? C’est que l’exaltation à ce point excessive de motivations vénales et mercenaires dans la détermination des carrières universitaires n’est rien d’autre que la négation des valeurs humanistes et de la passion pour la science qui animent pour l’essentiel la communauté des chercheurs.

En disant cela, je ne cherche nullement à exagérer le désintéressement des chercheurs, qui sont bien comme tout le monde, c’est-à-dire ni des saints, ni des ascètes. Mais nous avons tous présentes à l’esprit les cohortes d’excellents scientifiques et de remarquables pédagogues qui, pour avoir une vie décente, se meuvent à rythme lent dans la frugalité et la modestie des « grilles » et, Dieu merci, ceux-là forment encore et pour longtemps une majorité. Si j’étais un étudiant, assoiffé de valeurs et d’exemplarité, je préférerais nettement avoir affaire à de tels maîtres et mentors, plutôt qu’aux vedettes tarifées à 300 000 euros.

Incidemment, je relève la présence, dans le jury, de deux éminents collègues universitaires expatriés. Parfait. Il ne me viendrait pas à l’idée de leur reprocher leur parcours international, bien au contraire. Mais pourquoi vient-il à la leur de porter un avis sur les moyens propices à attirer ou retenir de la matière grise de qualité dans la communauté scientifique française ? Serait-ce que ces collègues, pour peu que la France y mette enfin le prix, consentiraient à revenir dans son giron ? Je n’ose croire que leur motivation soit ainsi construite et m’étonne donc qu’ils n’aient pas, à cette question à 300 000 euros, opposé l’argument irrécusable de leur propre expérience…

Enfin cette question traduit non seulement une méconnaissance de la réalité des esprits, mais une méconnaissance encore plus grande de la réalité du marché. En tant que contribuable, je suis soucieux que l’argent du grand emprunt ne soit pas gaspillé à acheter des marchandises à un prix très au dessus du marché…

Or, voici quelques éléments sur les rémunérations des personnels académiques dans de grandes universités américaines :

Selon les données de l’AAUP (American Association of University Professors), le salaire annuel moyen des «  full-time faculty » américains (enseignants-chercheurs confirmés) était en 2009 de 79100 $ (professors : 108750, assistant professors : 76650 , associate professors : 63800).

La même AAUP précise le niveau des salaires maximaux de professeurs aux USA, qui rétribuent typiquement les grands professeurs de law schools et business schools, ou relevant de la catégorie Nobel ou nobélisable :

- Harvard : 192000 $

- Stanford : 181000 $

- Columbia : 179800 $

D’autres données sur des salaires maximaux, cette fois pour l’année 2010, selon une autre source portant sur la catégorie « ingénierie » :

- Caltech : 143000 $

- MIT : 141000 $

- Stanford : 120000 $

- Cornell : 104000$

A ces salaires, il faudrait ajouter les « benefits » que les universités peuvent aussi verser sous forme de cotisations à des régimes santé, d’avantages en nature ou de frais de scolarité réduits pour les dépendants. Je n’ai pas de données précises à ce niveau, mais je doute que ces rémunérations annexes affectent les salaires d’un facteur deux. Enfin, il ne faut pas oublier les rémunérations accessoires sous forme de consulting ou autres, mais cette composante n’entre pas dans le périmètre salarial et l’université n’a pas au fond à en connaître.

Au bout du compte, et le cours du dollar étant ce qu’il est, les salaires mentionnés ci-dessus sont un facteur deux, voire trois, voire même quatre, en dessous de la barre des 300 000 euros. Les niveaux salariaux relevant des grilles françaises, pour être inférieurs à ceux offerts dans les grandes universités américaines n’en sont pas pour autant ridicules. Ceci, ajouté aux innombrables avantages sociaux et éducatifs offerts par le pays, nous autorise d’ores et déjà une certaine attractivité.

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