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Le Sénat contre l’Université ? Communiqué de QSF, 30 octobre 2020

samedi 31 octobre 2020, par Laurence

Pour lire ce communiqué sur le site de QSF

En sa séance du mercredi 28 octobre, le Sénat a apporté à la loi LPR deux amendements que QSF estime plus dangereux l’un que l’autre.

L’un de ces amendements prévoit dans un article additionnel que « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République ». Cette addition doit tout à l’actualité : elle ne s’impose en aucune manière dans le cadre d’une loi essentiellement technique et à l’objet tout différent.

QSF, pour qui la défense de la liberté académique, autrement dit des libertés universitaires dans le cadre républicain est absolument primordiale, tient à souligner les dérives auxquelles pourrait conduire l’adoption définitive d’un tel amendement. Les « valeurs de la République » n’ont jamais fait et ne pourront jamais faire l’objet d’une définition juridiquement précise. Cet amendement, placé entre les mains de gouvernances autoritaires, pourrait ouvrir à des prescriptions inacceptables et à une véritable inquisition morale. Seule pourrait être acceptable une formulation libérale du genre : « la liberté académique est essentielle à une société démocratique. Elle n’a d’autres limites que celles résultant des infractions définies par la loi ».

En outre, le Sénat a adopté, nuitamment et sans aucun débat, sur proposition du sénateur centriste Jean Hingray, un amendement revenant sur l’obligation de qualification par le CNU des candidats aux postes de professeur des universités, puis un sous-amendement pour les postes de maitre de conférences « à titre expérimental » jusqu’en 2024.

Cet amendement s’inscrit lui aussi dans le cadre de la LPR, où il est notamment supposé accompagner le dispositif de recrutement des professeurs juniors. Il a été adopté avec le soutien de Madame la Ministre Frédérique Vidal, dont les prises de position récentes allaient pourtant en sens contraire.

QSF a déjà fait part de ses positions sur la LPR et de toutes ses réserves sur le nouveau dispositif prévu. Quant au rôle du CNU, QSF le soulignait déjà en 2013 dans une circonstance étrangement similaire : « En l’état actuel, l’abrogation de la qualification reviendrait à amplifier le phénomène du recrutement local. […] La qualification par le CNU reste actuellement la seule garantie à un niveau national contre les excès engendrés par le localisme » [1].

La possibilité de ne pas recourir au CNU serait, nous dit-on, expérimentale. Mais parce que les conséquences des recrutements universitaires se mesurent sur le long terme, le délai prévu (2024) ne permettra pas de juger de la valeur de la décision, dont les effets seront, de surcroît, fort difficiles à évaluer par le HCERES.

À l’horizon des amendements adoptés se trouve en fait la suppression du CNU. Mais celle-ci n’est nullement justifiée par le dispositif des professeurs juniors, qui devait garder un statut dérogatoire ; et elle ne saurait se concevoir sans une réelle discussion et la création d’un système alternatif offrant toutes les garanties nécessaires.

Un système de recrutement qui laisse toute latitude aux comités de sélection locaux ne peut qu’accroître le localisme. Faut-il rappeler qu’en Allemagne et dans de nombreux autres pays d’Europe, les docteurs qui ont fait leur thèse dans une université n’ont pas le droit d’obtenir un poste dans cette université, et que les universitaires ne peuvent devenir professeurs sans changer d’université ? Le ministère s’est-il avisé que la suppression de l’étape nationale de qualification pour devenir maître de conférences ou professeur conduira à un recrutement local quasi exclusif, tant des MCF que des PR, sans que la prise en compte des activités de recherche soit dorénavant garantie ?

QSF proteste vivement contre le défaut de concertation dans lequel cette mesure a été adoptée, et demande le retrait de ces amendements inacceptables. Le premier souci du législateur devrait être de garantir partout la qualité de l’ESR grâce à la qualité scientifique des recrutements : on s’engouffre ici dans la direction opposée. QSF regrette tout aussi vivement que le ministère semble avoir accepté une nouvelle fois d’élargir les pouvoirs des présidents d’université, et appelle tous les parlementaires à prendre conscience des graves répercussions que la mesure dont il s’agit ne manquerait pas d’avoir à l’échelle de l’Université tout entière.