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L’Ecole polytechnique partiellement privatisée au profit de Total - Laurent Mauduit, Médiapart, 10 janvier 2020

vendredi 10 janvier 2020, par Laurence

C’est un pas de plus dans la privatisation de l’enseignement supérieur : Total va installer sa direction Recherche et innovation sur le campus et va financer une chaire d’enseignement, au mépris de la mission de l’école, qui est de former des ingénieurs au service de l’intérêt général. La neutralité scientifique de la formation est menacée.

Un pas de plus, hautement révélateur, dans la privatisation rampante de l’enseignement supérieur : la compagnie pétrolière Total va installer sa direction Recherche et innovation sur le campus de la prestigieuse École polytechnique et financer une chaire d’enseignement, au mépris de la mission de l’établissement, qui est de former des ingénieurs au service de l’intérêt général.

Le projet est maintenant ancien, puisque c’est le 21 juin 2018 que le conseil d’administration de l’école a donné son feu vert à sa réalisation, mais il n’avait pas jusque-là été rendu public. Relevant du statut militaire, les élèves sont astreints à l’obligation de réserve, et aucun d’eux n’a donc souhaité s’exprimer, même s’ils sont très majoritairement hostiles au projet.

En effet, un document – visiblement rédigé à l’encontre du projet – circule pourtant au sein de l’école, présentant tous les détails du schéma prévu, ainsi que ses risques. Grâce à un membre du corps professoral, Mediapart a pu en obtenir une copie, consultable ci-dessous.

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Compte tenu de l’ampleur du projet, il n’est pas exagéré de parler de privatisation partielle de l’École polytechnique. Au terme de la délibération du conseil d’administration de l’école, le groupe Total a en effet été autorisé à procéder à la construction (qui devrait démarrer dans le courant du premier trimestre de 2020) d’un bâtiment au cœur même du campus de Saclay, où est implantée l’école. Ce bâtiment a vocation à accueillir la direction de la Recherche et innovation du groupe, ainsi que des laboratoires de recherche pour un effectif d’environ 250 personnes employées par le groupe pétrolier.

Le document ci-dessous montre à quoi ressemblerait le bâtiment :

Ce document constate : « Cette implantation serait historique pour plusieurs raisons. Jamais un centre de recherche privé et encore moins une direction d’entreprise entière ne se sont installés à l’intérieur du campus. En outre, le bâtiment deviendrait l’un des plus grands du campus, s’élevant sur quatre étages. Enfin, le bâtiment serait très proche des élèves. Proximité physique, puisqu’il serait situé à une centaine de mètres de leurs lieux de vie, et proximité sociale, car les équipes de Total souhaitent les intégrer autant que possible à la vie du bâtiment : lieux de sociabilité, incubateur de start-ups, conférences, etc. »

Or, poursuit le document, « la mission première de l’école est de former des ingénieurs au service de l’intérêt général. Il s’agit donc de l’influence assumée d’une entreprise privée sur une école publique formant plus de 40 hauts fonctionnaires par an. Total aurait un accès exclusif aux futurs décideurs de la politique énergétique française, complétant ainsi sa stratégie de lobbying sur le plateau de Saclay ».

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Quand le projet arrive à la connaissance des élèves, avec beaucoup de retard, presque par hasard, il suscite donc logiquement une très vive émotion et une grande indignation. À preuve, dans cette école, qui n’est pas réputée pour être frondeuse et dont beaucoup d’anciens élèves vont par la suite pantoufler dans le privé, un vote a été organisé et, rassemblant 70 % de participation, a recueilli 61 % de voix contre et seulement 20 % de voix pour.

Le document interne explique les raisons de la colère des élèves en ces termes : « Le lieu exact du bâtiment n’est communiqué à tous les élèves que le 2 novembre 2019 à travers les réseaux sociaux. Après une prise de conscience graduelle, les élèves se sont emparés de la question début décembre. Conscients des spécificités de l’École polytechnique, du fait qu’ils doivent à la nation les conditions exceptionnelles dans lesquelles ils peuvent étudier, et de l’importance d’une neutralité scientifique de leur formation dans les sujets énergétiques, plus de 200 élèves actuels signent une tribune publiée dans le journal étudiant, dénonçant l’ingérence du privé dans leur formation et au cœur de leur lieu de vie. Quelques projets et des offres de stage valent-ils la perte de l’indépendance de l’école ?  »

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