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Une licence sur le développement durable financée par BNP Paribas continue de faire polémique - Faïza Zerouala, Mediapart, 22 mars 2019

samedi 23 mars 2019, par Mademoiselle de Scudéry

« Cette licence financée par BNP est le cheval de Troie d’une série à venir. L’État ne paye plus, donc le privé vient à la rescousse. On est obligés de se conformer à leurs conditions. C’est effrayant. »

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L’université PSL-Paris-Dauphine lance en septembre une licence sur le développement durable. Celle-ci est intégralement soutenue par un mécène unique, BNP Paribas. Ce partenariat suscite des inquiétudes parmi les enseignants et étudiants, qui craignent l’immixtion de la banque dans l’enseignement dispensé.
Le cursus s’intitule « PSL-Licence de l’impact positif (LIP) ». Pour le moment, la mise en place de cette nouvelle licence dédiée au développement durable à l’université Paris-Dauphine soulève plutôt des réactions négatives. En janvier, une partie de l’équipe universitaire découvre dans un petit film promotionnel posté sur YouTube la création de cette licence. La surprise est d’autant plus grande que le président de l’université Paris sciences et lettres (PSL) dont dépend Paris-Dauphine, Alain Fuchs, y apparaît aux côtés de Jean-Laurent Bonnafé, administrateur directeur général de BNP Paribas. Tous les deux évoquent les enjeux environnementaux et la nécessité d’y répondre par une formation solide.

L’attelage peut surprendre de prime abord, mais la banque française apporte des fonds à l’université. Dans ce cas précis, elle est même l’unique mécène via sa fondation. Ce qui est inédit pour une licence. Et le montant de la convention, que Mediapart a pu consulter et qui court sur cinq années, est considérable : un peu moins de 8 millions d’euros, même si aucune des deux parties ne souhaite confirmer le montant de cet accord financier.

PSL est une communauté d’universités et établissements (ComUE) et regroupe neuf établissements prestigieux comme le Collège de France, les Mines ParisTech ou encore l’École normale supérieure.

Cette licence mise en œuvre en un temps record – « à rythme tendu », dit-on à Paris-Dauphine, pour répondre à l’urgence du défi climatique – va accueillir la première promotion de trente élèves dès septembre 2019. Ce qui ne se fait pas sans quelques grincements de dents.

Un collectif d’élèves baptisé « PSL contre-attaque » s’est créé dans la foulée. Ces étudiants entendent dénoncer les termes de ce partenariat. L’une de ses membres actifs explique que cette licence telle qu’elle est construite est symptomatique de certains dysfonctionnements de l’enseignement supérieur. « L’intervention poussée d’entreprises privées dans des formations qui vont dans leur intérêt, puisqu’ils vont pouvoir recruter ceux qui auront été formés grâce à eux, est dérangeante. BNP Paribas essaie en plus d’afficher un visage éco-friendly, mais nous ne sommes pas dupes et encore moins là pour les aider à reverdir leur image après avoir financé des énergies polluantes. La manière dont cette histoire s’est déroulée montre aussi à quel point PSL fait fi de la démocratie. Nous n’avons aucune information sur le contenu précis de ces cours, par exemple », explique encore la jeune femme.

Les inscriptions ont démarré comme prévu le 6 mars, malgré la vive opposition d’élèves ou d’enseignants de l’établissement. Pour le moment, en raison de ce contexte de tensions, le nom des professeurs qui enseigneront dans cette licence est tenu secret, tout comme le contenu précis du cursus. Tout juste sait-on qu’il brassera les sciences de la nature, de la matière et de la vie, les sciences économiques et sociales et les sciences humaines.

En réalité, ce qui choque les opposants à ce projet est qu’il cristallise toutes les évolutions et les dangers qui guettent l’université française. Une enseignante à Dauphine, membre du comité de lutte et syndiquée CGT, résume le sentiment général : « Cette licence financée par BNP est le cheval de Troie d’une série à venir. L’État ne paye plus, donc le privé vient à la rescousse. On est obligés de se conformer à leurs conditions. C’est effrayant. Nous, on veut boycotter ce cursus. »

Sur le plan philosophique, les opposants à cette licence dénoncent une « marchandisation du savoir ». Ces mécénats ne sont pas nouveaux, plusieurs universités agissent ainsi pour certaines formations, mais c’est la première fois qu’un cursus de licence est financé par un unique mécène. Par ailleurs, dans la recherche, ce procédé est courant. D’autant plus que ce don est intéressant, en termes d’image comme de financièrement. Le dispositif de mécénat d’entreprise est régi par la loi Aillagon de 2003, qui prévoit que 60 % des dépenses de mécénat sont défiscalisées dans la limite de 0,5 % de son chiffre d’affaires.

Les modalités de mise en œuvre de la licence posent problème à différents niveaux. Les opposants mettent en avant le manque de concertation et de transparence qui a présidé à sa création. Ils assurent avoir découvert en janvier, sur YouTube, le petit clip annonçant l’ouverture de cette nouvelle formation. L’enseignante de Paris-Dauphine, qui veut rester anonyme, considère que cet épisode est révélateur du fait que les ComUE sont moins démocratiques que les universités. Pour elle, « c’est un passage en force ». Résultat, seuls trois représentants du corps enseignant ont voté, au conseil d’administration fin février, contre la mise en place de cette licence ; sans succès.

Sophie Bernard, enseignante en sociologie et élue au conseil d’administration de PSL, juge les ajustements opérés insuffisants. Dès le départ, explique-t-elle, le projet est vicié. Le manque de concertation provoque une colère chez ces élus, qui ont le sentiment d’être inutiles et de ne pas pouvoir jouer leur rôle de contre-pouvoir. « Tout ceci a ensuite été validé par le conseil d’administration. La direction est en train de construire la licence. Quand on monte un diplôme, ça se réfléchit, on recrute des enseignants pertinents, on réfléchit à un enseignement cohérent. Là, on ne sait rien et c’est un diplôme d’établissement, hors Parcoursup, donc on peut faire ce qu’on veut comme ce sont des formations qui créent des dérogations au droit commun. »

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