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Des étudiants étrangers aux gilets jaunes - Tribune invitée sur le Blog du Groupe Jean-Pierre Vernant, 20 novembre 2018

mardi 20 novembre 2018, par Elie

De temps à autre, nous recevons anonymement des textes proposés à la publication. Nous avons souhaité diffuser celui-ci, qui réagit à l’annonce par le Premier Ministre d’une augmentation des frais d’inscription pour les étrangers.

“Notre stratégie : opérer une forme de révolution pour que notre attractivité ne soit plus tant fondée sur la quasi-gratuité que sur un vrai choix, un vrai désir, celui de l’excellence. (…) Un étudiant étranger fortuné qui vient en France paye le même montant qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et payent des impôts en France depuis des années. C’est injuste.”

M. Philippe, 20 novembre 2018.

Pour lire cette tribune sur le site du Groupe Jean-Pierre Vernant.

Avec un art consommé du timing politique, puisqu’au milieu de la mobilisation des gilets jaunes, le premier ministre a annoncé une augmentation des droits de scolarité à destination des étudiants étrangers, espérant sans doute que personne n‘irait s’émouvoir du sort de ces derniers.

C’est pourtant un signal inquiétant, et à plusieurs titres.

D’abord par le caractère insultant d’un argumentaire [1] qui laisse entendre que le faible coût des diplômes français serait la seule motivation des étudiants qui souhaitent étudier en France (et quelle curieuse façon ce serait, si c’était leur seule motivation, de promouvoir le système universitaire français par une hausse de son coût !). Parce que nous sommes enseignants-chercheurs, nous recevons depuis ce matin des messages bouleversés et humiliés d’étudiants mexicains, chinois, turcs… qui ont eu la faiblesse de croire aux valeurs que notre pays prétend incarner et se voient soupçonnés d’être des profiteurs.

Inquiétant, ce signal l’est aussi parce qu’il ouvre la porte au déploiement en France de plusieurs étapes de la marchandisation internationale de l’enseignement supérieur : à partir du moment où l’on vend des études (nous avons pu en avoir l’expérience pour ceux d’entre nous qui ont enseigné comme professeurs invités dans des universités étrangères à 40.000 euros l’année), il devient bien difficile de ne pas donner ce diplôme qui a été en fait acheté.

Autre effet collatéral que l’on peut anticiper dans le cas de cette bascule : à qui viendra acheter des diplômes, il faudra bien sûr permettre de les acheter dans la monnaie linguistique internationale, l’anglais, alors que la régulation par la langue des études aboutissait dans son immense majorité à limiter les études en France à qui avait déjà fait l’effort de maitriser le français (pas toujours parfaitement soit, mais ce point là était améliorable) ; un principe de régulation plus porteur d’une démarche intellectuelle que la sélection par l’argent.

On répondra, parfois de bonne foi, qu’il n’y a aucune raison que le contribuable français paie pour les études de jeunes chinois qui ne paient pas d’impôts en France [2]. Ce raisonnement est spécieux, et à plusieurs titres. Il néglige évidement le bénéfice que pourrait retirer notre pays à continuer à promouvoir une langue pas si marginalisée que ça, et dont les échanges et le rayonnement international pourraient se soutenir. De plus ce raisonnement pourra vite se retourner contre d’autres : pourquoi les taxes et impôts des plus modestes en France iraient-ils aussi abonder le financement des études des enfants des classes moyennes ? Ou de n’importe qui faisant des études quand soi-même l’on n’en fait pas ? Toute l’histoire de l’immigration montre qu’une innovation (en général répressive) en matière de politiques publiques appliquée aux étrangers ne s’est jamais arrêtée à ces derniers. Derrière la porte ouverte à l’augmentation des frais d’inscriptions pour les étrangers, et en dehors même de l’image singulièrement rabougrie qu’elle donne de notre pays et de son attractivité intellectuelle, c’est demain la perspective d’une augmentation des frais d’inscription pour tous qui se dessine [3]. Et qui demain exclura, au premier chef, les enfants des gilets jaunes d’un enseignement supérieur en passe de leur tourner le dos, comme l’ont déjà fait tant d’autres services publics.


[3Lire aussi la tribune d’Alain Trannoy « Payer plus pour étudier mieux ? » (Le Monde du 12 novembre 2018) et sa relecture par SLU