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La biologie française minée par des manquements à l’intégrité scientifique - David Larousserie, Le Monde, 23 octobre 2018

mercredi 31 octobre 2018, par Laurence

Plusieurs affaires d’« inconduite scientifique » renvoient une image
peu flatteuse de la biologie et questionnent la solidité des garde-fous
de la recherche. Enquête sur trois affaires françaises.

Depuis trois ans, la biologie française vit dans un climat délétère,
secouée par des affaires à répétition d’inconduites scientifiques
touchant, directement ou non, des chercheurs réputés, des dirigeants
d’organisme ou d’institut. Y aurait-il quelque chose de pourri en ce
royaume ? Avant d’esquisser quelques réponses, résumons rapidement les
plus marquantes de ces affaires.

A partir de septembre 2014, des articles cosignés par une étoile
montante de la biologie française, Olivier Voinnet, sont signalés sur le
site PubPeer.com comme contenant des images incorrectes. PubPeer est une
sorte de forum destiné à discuter, y compris de façon anonyme,
d’articles scientifiques déjà publiés.

Ces signalements conduisent au lancement, en janvier 2015, de deux
enquêtes indépendantes diligentées par le Centre national de la
recherche scientifique (CNRS), l’employeur du biologiste, et par l’Ecole
polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ), où il est détaché comme
professeur. En juillet, les inconduites scientifiques sont confirmées
dans plusieurs cas, et des sanctions sont prises contre Olivier Voinnet,
mais aussi l’un de ses collègues, Patrice Dunoyer.

En septembre 2016, le CNRS et l’ETHZ lancent une enquête sur des
faits nouveaux, autour des mêmes chercheurs, qui aboutira, à l’automne
2018, à de nouvelles sanctions – un simple blâme pour Olivier Voinnet,
une dégradation d’échelon et une suspension de onze mois pour Patrice
Dunoyer.

Dans l’intervalle, deux autres affaires ont éclaté, toujours
relayées par PubPeer et par un blogueur allemand spécialisé dans ces
questions, Leonid Schneider.

La première, en septembre 2017, touche Catherine Jessus, directrice
de l’Institut des sciences biologiques, un des dix instituts du CNRS. La
seconde, qui débute en novembre 2017, vise Anne Peyroche, employée du
Commissariat à l’énergie atomique (CEA) mais présidente du CNRS par
intérim depuis la fin octobre 2017.

Dans le premier cas, une enquête menée par Sorbonne Université, où
travaillait Catherine Jessus, la blanchit de toute inconduite début
2018. Dans le second, une expertise du CEA identifie des méconduites
graves mais, faute d’avoir pu entendre la principale mise en cause, Anne
Pey­roche, en arrêt maladie, il ne peut trancher.

Voilà pour l’essentiel. Une poignée de cas d’inconduites bien moins
graves que les fraudes qui ont ébranlé ces dernières années la
biomédecine mondiale – les données falsifiées par Andrew Wakefield pour
faire croire à un lien entre vaccination et autisme et les
transplantations de trachées mortelles du chirurgien italien Paolo
­Macchiarini, par exemple. Ou encore les trucages tout récemment révélés
de l’Américain Piero Anversa (Harvard) sur des cellules souches
cardiaques, dont l’impact sur les patients reste à mesurer.

Sauf que ces « petites » affaires françaises tendent un miroir peu
flatteur à la communauté de la biologie nationale qui s’interroge sur sa
capacité à faire face collectivement à certaines défaillances dans la
culture de l’intégrité scientifique. Elles posent aussi crûment la
question de ce qu’est une preuve en science et sur la façon dont elle
est présentée, évaluée et questionnée – et, le cas échéant, corrigée.
Elles suggèrent que la confiance entre pairs, pilier de l’évaluation
scientifique, est un rempart fragile face aux tentatives de triche.

Omerta

Bref, même si les institutions commencent à se doter de « référents
à l’intégrité » et à sensibiliser les jeunes chercheurs à ces sujets, et
qu’a été fondé l’Office français de l’intégrité scientifique, ces
questions devraient mobiliser la communauté scientifique.

Mais cette dernière oppose bien souvent une omerta ou une réaction
de défense épidermique dès lors qu’on s’y intéresse – raison pour
laquelle la majorité des témoignages qui suivent sont anonymes.

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