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Les opposants à Parcoursup rêvent d’une seconde manche - Faïza Zerouala, Médiapart, 25 juin 2018

lundi 25 juin 2018, par Laurence

Les vacances universitaires ont débuté, les partiels sont achevés, de futurs bacheliers attendent toujours une affectation. La mobilisation étudiante du printemps contre Parcoursup et la loi Orientation et réussite des étudiants s’est éteinte, mais les motifs d’insatisfaction sont plus que jamais présents. Les opposants à la loi espèrent que le mouvement reparte à la rentrée.

Sur le papier, tous les ingrédients étaient réunis pour permettre une mobilisation d’ampleur. L’accès à l’enseignement supérieur a été modifié en profondeur avec la mise en place de la plateforme Parcoursup. Bien que niée par le gouvernement avec constance, une sélection a été introduite. Des protestations, à des degrés divers, ont touché les universités. Et pourtant, les manifestations n’ont pas fait le plein, les blocages d’établissements sont restés circonscrits à certaines villes. Bien entendu, une dizaine de sites ont connu des occupations longues de plusieurs semaines ou plusieurs mois, comme à Toulouse. Celles-ci se sont soldées par des évacuations par les forces de l’ordre, qui leur ont porté un coup d’arrêt fatal.

Dans la société, d’autres corps comme les cheminots ou les personnels hospitaliers se sont battus (lire ici l’analyse de Pauline Graulle et Manuel Jardinaud). Avec un peu de recul, plusieurs facteurs sont mis en évidence par les différents acteurs de ce mouvement pour expliquer cet échec à faire reculer le ministère de l’enseignement supérieur, au moins en apparence.

Toutes les personnes interrogées s’accordent à dire que l’objectif initial, l’abrogation de Parcoursup, n’a pas été atteint. Certains nuancent toutefois en expliquant, par exemple, qu’un sursaut s’est produit parmi le corps enseignant à l’université, ce qui n’avait pas été le cas depuis une décennie. Et que plusieurs sites universitaires ont été touchés par les blocages, totaux ou partiels. Même l’élitiste Sciences Po Paris a rejoint le mouvement, le temps de deux journées.

D’autres expliquent encore que la configuration n’était pas favorable, puisque les organisations étudiantes et lycéennes manquaient d’éléments factuels pouvant accréditer leurs craintes quant aux effets du nouveau système.

« La bataille d’interprétation  » autour de la loi a handicapé la naissance d’un large mouvement, juge Lilâ Le Bas, la présidente de l’Unef. En effet, très tôt, dès que les concertations au sujet de la réforme ont débuté en juillet 2017, l’organisation étudiante a alerté sur les risques de Parcoursup et a pointé la mise en place d’une sélection qui ne disait pas son nom. « Nous avons eu peu de temps avec une loi annoncée en octobre et votée en mars, et appliquée avant son adoption définitive », explique-t-elle. Elle déplore que le ministère n’ait pas écouté ces craintes et considéré que les critiques formulées relevaient plus « de l’idéologie que du concret. Alors que ça touche les jeunes qui ne peuvent plus faire leur vie comme ils le souhaitent  ».

De fait, la responsable syndicale confirme que la communication du ministère de l’Enseignement supérieur a été redoutable. Notamment, en répétant sans cesse que Parcoursup était la seule alternative au tirage au sort, alors même qu’il ne concernait qu’une minorité de candidats, moins de 1 %. « Certains ont donc pu penser que la sélection sur dossier était une meilleure option que le tirage au sort, alors que nous sommes opposés aux deux. Mais, indéniablement, tout ce timing n’a pas joué en notre faveur. Le mépris du gouvernement contre le mouvement social peut aussi être démobilisateur puisque la perspective d’une victoire s’éloigne  », analyse encore Lilâ Le Bas.

Tous les interlocuteurs opposés à la réforme racontent le même désarroi face à la surdité d’une ministre déterminée à faire passer sa loi, coûte que coûte, quitte à s’aliéner la plupart des syndicats, une partie des enseignants et des étudiants actuels ou en devenir. Dans les cortèges et parmi les syndicats, tout le monde a espéré, en vain, que les lycéens se joignent à la danse. Réputés incontrôlables, ces derniers sont un cauchemar pour le maintien de l’ordre et la hantise des gouvernements.

Thomas Le Corre est lycéen. Il est à la tête du SGL, le Syndicat général des lycéens, majoritaire en termes de représentation. À ce titre, il a participé aux négociations avec le ministère. Le jeune homme en est sorti fort déçu. Mais ce qui l’affecte plus encore est que cette circonspection face au nouveau système d’affectation n’ait pas suscité une mobilisation dans la rue. « On ne va pas faire de langue de bois, le mouvement n’a pas tenu ses promesses. C’est une responsabilité collective. Mais on a tenté. Malheureusement, c’était David contre Goliath. Nous avions les informations du ministère mais le lycéen lambda avait surtout droit aux vidéos du gouvernement qui disaient que Parcoursup va changer sa vie.  » Difficile, pour lui, de contrecarrer la logique selon laquelle la nouvelle plateforme sera forcément mieux qu’APB, qui a mal fonctionné.

Pour le grand public, le ministère de l’Enseignement supérieur a le mérite d’avoir voulu éloigner deux spectres : les dysfonctionnements d’admission post-bac (APB) et le tirage au sort. « On n’avait pas de preuves factuelles sur les effets néfastes de Parcoursup avant que n’arrivent les résultats et tout le monde pensait qu’on se rebellait par principe alors que ce n’est pas le cas, on n’est pas dans l’opposition pour être dans l’opposition », précise Thomas Le Corre. Difficile de mobiliser contre un système encore virtuel.

Robi Morder, juriste et politologue, président du Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants (Germe), confirme qu’une sorte de fatalisme a émergé parmi les jeunes mobilisés. Les combats perdus contre la loi sur le travail en 2016 et contre les ordonnances à la rentrée 2017 ont pu agir comme un élément de démotivation et contribuer à l’affaissement de la colère. Bien entendu, pour le spécialiste, «  il aurait fallu une grosse mobilisation pour que la loi ne passe pas. Maintenant, il faut voir s’il y a des frustrations dans les admissions, et si cela peut repartir ».

Si la mobilisation n’a pas accouché d’un leader évident, certains étudiants mobilisés comme « Juliette de Tolbiac » ouVictor Mendezde Nanterre ont pu émerger. Ce dernier, par ailleurs engagé chez les jeunes du NPA, a ferraillé contre la loi Orientation et réussite des étudiants, mégaphone en main jusqu’au bout. L’étudiant ne considère pas la mobilisation contre Parcoursup comme « une défaite en tant que telle car ce qui l’a arrêtée n’est pas Macron, qui aurait réussir à nous convaincre, mais les vacances qui ont vidé les facs  ».

Le président de la Fage, Jimmy Losfeld, soutien de la réforme, est beaucoup plus catégorique. Il considère tout simplement pour sa part que « les jeunes n’avaient pas envie de se mobiliser sur le fond car nous ne sommes pas en 1986 et la loi Vidal n’est pas la loi Devaquet ». Pour lui, même si la réforme est critiquable et devrait être « rééquilibrée » et abondée de plus de moyens, elle n’instaure pas de sélection généralisée. De prime abord, raconte-t-il, certains jeunes pouvaient être choqués. Une inquiétude vite tempérée lorsque ceux-ci se voient expliquer «  le pragmatisme  » de ce nouveau système, affirme encore celui qui préside la désormais première organisation étudiante.

Le paysage syndical étudiant a en effet connu une évolution qui a pu influer sur le devenir de la mobilisation. La Fage est devenue l’organisation majoritaire, quand bien même au regard de la faible participation aux élections universitaires (entre 5 et 10 %), il faudrait relativiser la représentativité de ces organisations.

Cette organisation étudiante est née en réponse à la loi Jospin de 1989, à partir de laquelle les organisations étudiantes ont dû au moins emporter un siège dans les instances nationales du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) et du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) pour être considérées comme représentatives. Sur le terrain, en tant que telle, la Fage est absente de fait. Et pour cause, personne n’y adhère à proprement parler, elle réunit une kyrielle d’associations locales type BDE, estimée à 2 000 environ.

La docteure en science politique Julie Le Mazier analysait en mars dans une interview à Mediapart les forces en présence. Pour elle, « la Fage est aussi le reflet de la transformation étudiante où la culture de revendication de droits a perdu du terrain. Elle n’est pas un syndicat, elle rassemble des associations sous une étiquette unique. Cette fédération d’associations ne souhaite pas utiliser la grève comme moyen d’action, ce qui est préjudiciable à la contestation  ».

La chercheuse considère que, par un effet de vase communicant, l’Unef a pu perdre quelques forces vives pour mener le travail de pédagogie nécessaire auprès des étudiants dans les amphis. Même si elle nuance son analyse : « On dit qu’ils ont perdu de leur audience, mais cela continue quand même de marcher. »

« Réussir à limiter la casse »

Lilâ Le Bas partage ce dernier constat. Pour elle, il n’y a pas de perte en termes d’adhérents, mais plutôt de visibilité médiatique et aussi de légitimité. En tant que deuxième organisation représentative, elle est moins sollicitée qu’auparavant. « De toute façon, l’Unef se renforce par les mobilisations  », poursuit la présidente, peu inquiète.

Il ne faut pas non plus négliger les autres forces politiques comme Solidaires étudiant.e.s, met en garde Robi Morder. Pour le chercheur, l’attitude de la Fage n’est pas surprenante. Cette organisation veut apparaître comme « responsable » aux yeux des autorités pour se distinguer de l’Unef et à ce titre peut difficilement s’engager dans une lutte incertaine.

Pour lire la fin (reprise dans 48h).